LE PLAISIR DE DOUTER
26032007par Georges Krassovsky
(Article paru dans le bulletin ESPRIT LIBRE no 8,
édité par l’auteur: B.P. 164, F-75664 PARIS Cedex 14)
J’ai vu l’autre jour à la devanture d’un kiosque à journaux l’affichette publicitaire d’une revue de vulgarisation scientifique sur laquelle on pouvait lire – en gros caractères – LE PLAISIR DE SAVOIR. Une affirmation qui m’a aussitôt paru gratuite et même fausse, du moins pour ce qui me concerne. Je n’ai en effet jamais éprouvé le moindre plaisir à emmagasiner « le savoir ».
Précisons toutefois de quel « savoir » il s’agit. C’est qu’il y en a deux sortes:
Il y a les connaissances que l’on pourrait qualifier de « pratiques » et qui sont effectivement utiles et souvent même indispensables pour se comporter dans la vie d’une façon à peu près rationnelle. Voici un lot d’exemples qui me viennent à l’esprit: je sais que pour aller de Paris à Bordeaux il faut que je prenne un train, je sais que les T.G.V. sont plus rapides que les autres, je sais qu’il faut que j’achète un billet, je sais que je dois le composter, je sais que si j’oublie de le faire cela risque de me coûter fort cher, je sais que ma tendre amie m’attendra à la gare de Bordeaux, je sais que les hommes et les femmes sont faits pour s’aimer, je sais en quoi cela consiste, je sais que cela leur fait plaisir… Je m’arrête là car, selon toute évidence, ce n’est pas de ces « connaissances » ni de ces plaisirs qu’il s’agit dans la « pub » qui vante « le plaisir de savoir ».
Le savoir dont il est question est avant tout, et sans doute même exclusivement, le savoir scientifique, autrement dit l’ensemble des connaissances concernant les structures et le fonctionnement de tout ce qui existe: l’univers, les atomes, le système solaire, la planète Terre avec sa biosphère, le fonctionnement des organismes vivants, les particularités de l’homo sapiens et, notamment son psychisme. Tout cela fait l’objet de la « recherche scientifique » et des sciences correspondantes: la physique, la chimie, la biologie, la botanique, la zoologie, l’anthropologie, l’anatomie, la physiologie, la psychologie. Comme tout un chacun j’ai quelques notions au sujet de ces sciences et je conviens qu’elles ne sont pas dénuées d’intérêt, mais sans plus.
Lors de mes études, je saisissais assez vite les grandes lignes de toutes ces « disciplines » mais étais franchement agacé s’il fallait mémoriser les détails. Estimant sans doute que j’en avais assez, je n’avais nulle envie d’approfondir mes connaissances. Dans la plupart des cas, mon raisonnement était fort simple:
la Terre tourne autour du soleil. C’est grandiose! Qu’elle continue à tourner! – Les plantes se nourrissent par les racines et réalisent la photosynthèse. C’est prodigieux! Qu’elles continuent à pousser! – Le battement du cœur est une succession de systoles et de diastoles. C’est formidable! Qu’il continue à battre! – Il s’agit de connaissances pour ainsi dire élémentaires et indiscutables. Mais il y en a d’autres, beaucoup d’autres, sur lesquelles les scientifiques continuent à discuter et, notamment, sur « l’infiniment grand » (le cosmos) et sur « l’infiniment petit » (l’atome) car tout y est infiniment complexe.
Une théorie scientifique est à peine érigée qu’un doute s’y glisse et elle est aussitôt battue en brèche par une autre. Et j’avoue que j’en suis fort aise car cela rabat le caquet aux technocrates qui se croient omniscients et omnipotents. Je m’en méfie d’ailleurs d’autant plus du fait (pour une fois indéniable !) que les applications inconsidérées des découvertes scientifiques ont, la plupart du temps, un effet désastreux: la chimie empoisonne la terre, les mers, l’air et nos humeurs; les armes atomiques sont – telle une épée de Damoclès – toujours suspendues au-dessus de nos têtes; les déchets atomiques s’amoncellent… Lorsqu’on a pris conscience de « revers de la médaille » on commence à douter des prétendus « bienfaits de la science » et il se pourrait que ce doute soit salutaire. Et – disons-le en passant – il y a de quoi être également circonspect pour ce qui concerne la médecine allopathique.
Les scientifiques – que certains s’obstinent à appeler « savants », – alors qu’en fait ils ne savent pas grand chose – ont pour vocation de répondre à la question « Comment ? », mais il y a une autre interrogation qui surgit par rapport à tout ce qui existe, c’est la question « Pourquoi ? » Ce qui nous induit d’emblée dans les domaines de la philosophie et de la religion. Eh bien, je dois avouer que, là encore, les diverses réponses que les philosophes et les mystiques se sont ingéniés à donner à cette question ne m’émeuvent pas outre mesure et souvent même m’irritent. Les constructions mentales de tous ces « penseurs » sont, certes, curieuses mais m’apparaissent, en fin de compte, inconsistantes, le mystère de l’existence restant toujours entier. Il y a, effectivement, une sorte de piège qui consiste à substituer les mots à la réalité, ce qui revient à prendre des vessies (et des « messies ») pour des lanternes. (Mille excuses aux croyants pour ce jeu de mots, je conviens quelque peu iconoclaste).
Toutes ces considérations m’ont rendu sceptique vis-à-vis du « plaisir de savoir » et m’ont donné envie d’évoquer « le plaisir du doute ». Oui, le doute procure un réel plaisir car, à partir du moment où l’on doute, on se libère de l’emprise de tout système abscons à caractère dogmatique. C’est si bon de vivre sans croire quoi que ce soit, se disant que « tout est possible, mais que rien n’est certain », bref en ayant l’esprit libre!
Il y a certes une foule de gens qui prétendent être heureux de croire, de savoir ou, du moins, ils le disent. Il y en a même qui écrivent le mot « Connaissance » avec un grand C et le mot « Vérité » avec un grand V, sans toutefois préciser de quelle connaissance et de quelle vérité il s’agit. Si je me laissais aller, c’est le mot « doute » que j’écrirais avec un grand D et le mot « liberté » avec un grand L, mais je ne le ferai pas car j’ai des réserves à formuler même à propos du doute et j’ai fini par comprendre que la recherche systématique de la liberté peut empêcher, elle aussi, d’être… libre!
Je ne pense pas être le seul à éprouver cette sorte de méfiance vis-à-vis de tout ce qui est d’essence « purement » intellectuelle et je me fais un plaisir de citer, en guise de conclusion, ces vers du grand poète russe, Alexandre Pouchkine (1799-1837) qui, s’inspirant du Faust de Goethe, a écrit ces deux vers que je traduis à mon tour en français :
Connaissance profonde n’apporte pas le bonheur
J’ai fini par maudire sa fausse lueur.
Mes alexandrins ne sont sans doute pas parfaits, mais le « témoignage » passe.
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