Discours sur la vertu

7042007

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Par M. Michel Serres 

Le jeudi 2 décembre 1993 (L’Académie Française)

Pourquoi ne parlons-nous plus de la vertu ? 

Parce que nous avons changé tout cela : et de nom et de place. Depuis qu’un mélange de morale puritaine et d’une psychologie aussi luxueuse en lexique lourd que légère en résultats efficaces baptisa mégalomane l’ancien orgueilleux et l’envieux paranoïaque, les vices passèrent du confessionnal au divan et de la prison à l’hôpital. 

L’avarice trahit une rétention fécale : ces matières abondèrent derrière l’or et l’argent ; nous désintoxiquâmes de l’alcool les ivrognes gourmands ; l’obsession servit d’excuse à la luxure. Mais pourquoi, j’y pense tout à coup, jugeons-nous et punissons-nous encore, la corruption et le viol ? 

Miséricorde 

Aimez le pardon miséricordieux qui parut effacer, par un progrès soudain, la culpabilité, pour rapatrier les fautifs dans les lits des malades, et remplaça tout jugement par un diagnostic. Ne condamnez pas, essayez d’apaiser : nous gardons et pratiquons cette devise.  Mais elle pose une question concernant le pronostic : si les anciens vices s’expliquent par la pathologie, pour se soigner dans des cures, une fois reconnus et guéris, comment, de l’autre côté, définir la santé, traduction de l’antique vertu ? À quel critère la reconnaître ? 

La vérité oblige à dire que le traitement ignore ce qui sera dit dans le silence des organes enfin sains. Comment et pourquoi donc chercher à recouvrer une norme sans nom ? Exemple : si la pharmacopée offrait pilules ou piqûres contre le racisme et l’exclusion, qu’aurions-nous encore à faire des vertus de tolérance ? 

L’éthique se réduit-elle au retard de la médecine ? Que des sciences décrivent, avec quelque pertinence, ces maladies, nos anciens vices, et nous ne parlerons plus de santé ni de vertu. 

Le positif éblouit-il nos capacités d’analyse

L’utopie réalisée   

Nous vivons désormais installés dans l’utopie que Samuel Butler, naguère, appelait Erehwon, étrange nom de lieu qui cherche à désigner l’envers de nulle part, dans ce rêve presque réalisé ici même, où s’efface la séparation entre l’hôpital et la prison, la condamnation et les soins, le délit et le malheur.  Le mal de coulpe a cédé, enfin, au poids du destin. 

La miséricorde et la justice réputent victime celui qui comparaissait autrefois comme coupable, mais il arrive aussi que celle-ci, la justice, exige que chacun assume la responsabilité de soi. Pouvons-nous, en effet, affronter, de nouveau, le destin, lorsqu’il nous devient contraire même sous l’aspect de la pathologie, autrement que par vertu ? 

Nous devinons qu’elle ne se réduit point à la santé, silence des organes ou du désir, mais qu’elle chante et danse dans la lutte quotidienne pour la survie. 

II 

Mais nous avons changé tout cela, vous dis-je : les vices laissent place aux maladies ; la vertu n’existe plus, du point de vue des sciences, et, si, d’aventure, nous avons à parler d’elle, nous cherchons à tourner la difficulté.  Mais nous restons fautifs, je le confesse, et, par exemple, violents ou corrompus. 

Revenons donc aux vices, plus aisés à décrire, puisque nous ne savons plus parler de la vertu. L’avarice entasse ; la colère et l’orgueil enflent ; la gourmandise bâfre ou se soûle ; la luxure collectionne ; l’envie creuse le trou noir de son ressentiment ; fatiguée jusqu’à bâiller sans cesse, elle cherche encore du repos, la paresse ; sans ces reprises, point de plaisir aux vices. 

En manque tragique et permanent de compliments, le vaniteux en quête, partout, de tous ; il faut toujours au ladre, inassouvi, un sou pour finir un franc et compléter son bas de laine troué ; gonflé d’ire, le furieux demande à toutes les circonstances des raisons de rage ; le goinfre et l’alcoolique ont à jamais perdu la satiété ; le lubrique allonge en sa rubrique mille et trois femmes, et plus encore, s’il peut ; tous les détails assurent le jaloux en sa haine ; le fainéant s’épuise sur sa couche nécessaire… jamais comblés, entraînés dans la spirale qui les emprisonne, les sept vicieux du canon souffrent tous d’un seul mal : la croissance. Dont l’assuétude leur apprend l’intelligence : qui montre plus d’habileté que l’orgueilleux pour dominer, de ruse que le luxurieux pour séduire, l’avare pour épargner, l’alcoolique pour se procurer sa prise, le passif pour ne rien faire ?… Le monde entier pourrait crouler, croissance névrotique première servie. 

Chacun porte en lui un puits infini qu’une intolérable anesthésie l’oblige à combler : à nouveaux frais, il doit réexciter le dégoût, relever l’insensibilité blasée, réchauffer la froideur. Le vice reprend le vicieux comme la spirale d’un retour éternel, égal et morne, relance une trajectoire extensive et rationnellement prévisible. Faute de comprendre la vertu, voici que l’ensemble des vices prend, sous nos yeux, la belle unité d’une cohérence : une vie entière se voue à l’inflation, à l’agrandissement d’une masse qui s’expanse. 

Croissance générale 

La variable principale de cette croissance évolue selon une pente d’allure narcotique : l’avare, le paresseux et le gourmand se droguent de sommeil, d’alcool ou d’argent ; il faut augmenter la dose de fureur, de haine ou de gloire pour rester longtemps enchanté de colère, d’envie ou d’orgueil. 

 Pourquoi ne parlons-nous plus de la vertu ? 

Parce que le monde où nous vivons se construit, tout justement, sur une croissance, générale et quantifiable, que l’économie, la finance, la consommation et le progrès innovateur des sciences ou des techniques, tout ce qui paraît sérieux et lourd, semblent rendre aussi nécessaire qu’un destin, aussi indispensable que l’assuétude. Du coup, notre culture elle-même ressemble à s’y méprendre à une narcose croissante qui asservit à sa dépendance. 

Pourquoi les enfants se droguent-ils ? Pour imiter leurs parents, intoxiqués d’argent, de travail, d’emploi du temps, de consommation, de représentation… soumis à des prises horaires obligatoires, plongés dans l’enchantement de la croissance. 

Les jeunes générations obéirent-elles jamais avec plus de soumission ? 

Vertu narcotique de la croissance 

Ils faisaient au moins rire, les vices, quand, autour d’eux, le monde ne s’adonnait pas encore à l’augmentation pure de la quantité ; nous ne les voyons plus, désormais, parce qu’ils suivent fidèlement les lignes principales de notre paysage, économique, historique et social ; quand la forme ressemble tellement au fond sur lequel sa silhouette se dessine, elle devient invisible.  Et nous les sentons aussi peu que notre milieu puisque tous les deux jouissent de cette vertu, dormitive ou narcotique. 

La vertu, celle que la tradition de cette maison m’oblige aujourd’hui à rechercher, nous réveillera-t-elle d’un sommeil général, ou nous invitera-t-elle à résister aux croissances toxiques ? Certes, nous ne savons pas désenchanter une civilisation, pour ne point connaître de pharmacien ni de vétérinaire pour le gros animal, mais nous pouvons peut-être résister, individuellement, aux voies de cet entraînement global ou aux charmes de ses extases. 

Comment ? Le regard lucide fixé sur la mort, la reconnaissance de la finitude, désenchantent aussitôt de la croissance. Nous vivons vite, alors, dans l’évidence qu’elle n’a de fin en aucun sens : pas d’arrêt, pas de but, pas de finalité, donc pas d’intérêt. 

Seule, donc, la mort nous retient, quand elle nous retient, rarement. La finitude définit les bornes de cette sagesse. 

Avons-nous trouvé la vertu, réputée introuvable ? 

Croissance positive 

Non. Glacée, morbide, blasée, cette première éthique reste aussi extatique et intellectuelle que la croissance à laquelle elle tente de résister ; nécessaire, peut-être, mais insuffisante, elle caractérise les morales sans passion, dont la prudence évite les vices mais n’exaltent d autre vertu que cette fascination funéraire.  Réveiller donc la croissance, du côté de la vertu, nous oblige à reconnaître nos capacités infinies d’exploits positifs et de productions. 

Nous semblons ignorer nos incroyables capacités : increvable et faite pour la pénurie, la bête humaine peut souquer à l’aviron pendant des mois pour traverser le Pacifique, travailler sa vie entière dans la désapprobation générale, passer sept jours d’orage dans une paroi verticale de glace, en haute montagne hivernale, ou trente années de maladie à composer, dans l’étouffement et la souffrance, une œuvre musicale, traverser le Groenland ou l’Antarctique par des froids mortels à tous les animaux, combattre un État criminellement pervers, jusqu’à faire basculer, à elle seule, tout le contrat collectif qui le conditionne ; certains vieillards courent cent kilomètres en quelques heures ; des jeunes gens souffrent chez les misérables, simplement pour vivre avec eux ; combien de mères patientes affrontent le chômage, la pauvreté, l’insécurité, le désespoir où survit leur famille… Donner sa vie paraît la moindre des politesses à cette bête, sainte pour mépriser, justement, ces limites évidentes. Ces actes ne renvoient point au recouvrement de la santé ni à une sagesse morte et plate dont le conseil n’excède pas le raisonnable. 

Seules les bêtes, dit-on, connaissent leurs bornes : celles, précisément découpées, de l’instinct. Animaux sans instinct, les hommes plantent leur tente fragile et mobile, sans mur ni protection contre l’illimité. Voici donc la question dure, et contradictoire : croître ou ne pas croître, jouir de l’extension ou souffrir sa finitude ? 

  III 

Mais pourquoi ne parlons-nous donc plus de la vertu ? 

Nous dissertons plus aisément sur les vices parce que leur vraie nature, tout intellectuelle, se comprend mieux. D’où ces sciences, la croissance, la toxicité. Ils sortent de la tête et ne cessent de faire des comptes : arithmétique grise et simpliste des plaisirs, des prises, des femmes conquises, des trésors amassés, du volume bruissant de la renommée, des coups comparés portés à l’adversaire, des heures passées à ne rien faire… contrairement à de vaniteuses apparences, rien de tout cela ne concerne le corps, mais tout, au contraire, y désigne des chiffres ou l’extensive homothétie d’une géométrie métrique : les vices, intellectuels, et les maladies, nerveuses, prêtent indéfiniment au discours. 

Même la santé ou la vertu émanent de la raison pure, lorsqu’on inverse la croissance ou la liste des vices. L’analyse, donc, s’y trouve chez soi, tout autant que l’enchantement. Nous nous droguons surtout de langue et de nombres. 

Courage, corps, cœur 

Inversement, mais alors pour de bon, issue du corps ou du cœur, non de l’entendement, la valeur vient du courage : de la reconnaissance, à la fois, et du refus de notre finitude.  Première et seule vertu qui vaille, et dont les autres se déduisent, il ignore la raison autant que le corps se moque de l’esprit et l’invention de la critique. 

De nature corporelle, cordiale, cardiaque, le courage, essentiel et premier, se comprend aussi difficilement que l’élan vital : sa générosité ne réfléchit ni ne médite longtemps la concorde ; sans chercher de médiation, sa fidélité trouve immédiatement la miséricorde… Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain résonnant ou une cymbale qui retentit… La vertu ignore autant la mort que l’intelligence analytique : bavards sonores, nous ne savons donc plus parler de la première

IV 

Mais de quoi parlons-nous donc ? 

Le mot ne signifie pas seulement une qualité morale, mais aussi, et peut-être surtout, le principe ou la cause des choses ; nous célébrons, en effet, la vertu curative de certaines plantes ou la vertu réparatrice du temps, pour l’effacement des douleurs. 

Pour découvrir leur vertu, il faut donc pénétrer jusqu’à l’essence ou à la condition des hommes, aux racines mêmes de la vie, aux réactions chimiques primaires de l’énergie ou aux premiers rythmes du temps ; là naît le courage dans son principe, au secret de son efficacité, à l’expression inchoative de ses forces. Dans la chaleur du métabolisme ou le jaillissement de l’élan vital, au battement élémentaire du cœur… voilà d’où se lance le courage, oubli total et chaleureux de soi vers le monde, les autres, le prochain et les objets. 

Au moment de la naissance sort de la porte du temps ouverte entre les jambes de la femme, un torrent jaillissant, un flux de non-être, un geyser vital et chaud, que les doctes appelleront plus tard courage ou charité, un trésor prometteur de puissance, un cri sauvage, une première expiration rauque appelant des myriades d’autres souffles, aptes à réchauffer l’extérieur. La vertu de vitalité transmet la vie, plus l’amour. 

Mort et vie, risque et sécurité 

Oui, par quel miracle de vie, le courage se moque-t-il de la mort, l’aguiche-t-il sous le nez, la provoque-t-il au royaume sombre de sa loi ? Le cœur nous tire là où nous refusons, de tout notre jugement, d’aller.  Cette vertu se moque de la précédente, et funéraire, sagesse, de même que le corps sait aller au-delà de la tête, quoi qu’elle en pense. 

La mort seule fonde notre humanité, donc toutes nos morales, les vices et la vertu ; le courage devant la camarde trace nos limites et ouvre nos aspirations vers l’illimité ; cette bête, bonne, sait mais ignore qu’elle meurt. Son geste traverse l’obstacle fatal vers quelque chose ou quelqu’un d’autre. Inversement, la santé ou la vie à tout prix involue la vie même vers une conduite animale ou infantile. 

Ainsi le courage se moque de la vie pour elle-même et méprise une civilisation qui l’a prise pour valeur unique : culture vaniteuse, richarde, pleutre, décadente, sans projet, si contraignante dans ses mornes conventions qu’elle ne discourt plus que de confort et de sécurité, au moment où des milliards d’hommes, que la mort talonne, périssent de faim, de maladies incurables et de misère, condamnés, eux, au courage. 

Que vaut la vie sans raison de vivre ?

Avons-nous même perdu le courage de parler de la vertu ? 

Mais pourquoi donc n’en parlons-nous plus ? 

Parce que, continûment consacrés aux mauvaises nouvelles, maux, vicissitudes et meurtres, nos médias, lorsque enfin ils en parlent, masquent le courage en pose et rodomontade : capitaine courageux, dans la mêlée obscure des combats, tel devient Fracasse sur les planches du théâtre. 

Plus bas que le vice, quand elle s’exhibe, triomphante et exaltée, la vertu tombe, là, au ridicule, ou, justement, à la maladie nerveuse de notre début : mégalomane ou mythomane. Et quand la charité s’adultère en publicité, Tartuffe joue aux côtés de Matamore. 

La représentation vicie la vertu. L’exhibition en images publiques – la croissance immense de la gloire, pour l’essentiel – devient le canal obligé qui transforme toute vertu vraie, l’essence de la vie ou l’amour au-delà d’elle, en image de stuc, et l’authentique héros en faux dieu de carton et de plâtre. 

Que penser, par exemple, de la vertu de celui qui s’habille, en séance publique, pour la célébrer devant vous, aujourd’hui ? Dites-lui donc de se taire, par pudeur. 




Banlieues, un défi pour la non-violence (3)

5042007

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Oser prêcher la non-violence dans les mosquées 

Par Driss Mahdi 5- Cours sur la non-violence à la mosquée de la paix de Saint-Ouen 

Mon expérience dans la mosquée de la paix à Saint-Ouen dure depuis quatre ans. J’enseigne dans l’école de la paix aux enfants à partir de 10 ans et aux adolescents et adolescentes jusqu’à 20 ans. J’ai deux classes de 25 à 30 élèves, chacune constituée de Français musulmans d’origine maghrébine, africaine et orientale, dans une école de 4 salles, de 4 niveaux scolaires, divisés en 7 groupes pour 4 instituteurs ; il y a eu jusqu’à 300 élèves inscrits ! 

Ce travail sur la non-violence et l’éducation non-violente que j’ai mis en pratique pendant quatre ans a donné des récoltes étonnantes. Par exemple, l’année dernière, dans la matière de l’éducation islamique, du commentaire du Coran et de la biographie du prophète, j’ai utilisé pour l’une des bases Le dictionnaire de la non-violence de Jean-Marie Muller. J’ai commencé, pour ne pas choquer les parents des élèves, par les notions qui font partie de la culture et du dictionnaire islamiques, comme les concepts de « violence », « paix », « démocratie », « éducation », « bonté », « amour » et « non-violence ». Ensuite j’ai abordé les concepts les plus sensibles comme « désobéissance civile », « non coopération », « lutte », « contrainte », « femme », « vérité » et « Jihad ». À ma surprise, les élèves ont montré des capacités énormes pour comprendre ces concepts non-violents alors que je n’arrive pas toujours à les faire comprendre à des adultes et étudiants, par exemple après plusieurs discussions à la mosquée, au prêche de l’assemblée du vendredi ou à l’université. 

Une des histoires les plus mémorables a eu lieu à la fin de cette année scolaire, lorsque j’étais débordé par mes cours à la faculté et la rédaction de mon mémoire de DEA. Pour me libérer du temps, j’ai pensé à ruser un peu les deux derniers mois avant les vacances scolaires en proposant à mes élèves de préparer par petits groupes des exposés sur la non-violence et les non-violents, comme Gandhi et Martin Luther King, pour les présenter à toute la classe. Dés la première présentation, j’ai été agréablement surpris de la qualité des travaux menés et des exposés, ce qui s’est confirmé au fil des autres cours chaque semaine. Cela m’a conduit à inviter les autres classes et leur instituteur à y participer, pour qu’ils entrent dans la compréhension de la non-violence. 

Cette modeste expérience, qui à l’origine était pour me libérer du temps, m’a fait découvrir un vrai trésor que je tenais entre mes mains, sans avoir besoin d’aller au département de philosophie de mon université pour le découvrir chez nos chers philosophes. Je n’ai malheureusement jamais entendu ceux-ci citer le nom de Gandhi, parler du concept de non-violence. Il y a un an, j’ai assisté à la Sorbonne à deux jours d’études sur la démocratie, avec des philosophes et chercheurs du département de philosophie de Paris VIII et de facultés d’Allemagne, de Tunisie et du Maroc. Aucun des intervenants n’a parlé de non-violence, de Gandhi, ni d’aucun autre non-violent. Ils parlaient tous beaucoup du danger de la violence pour la démocratie, mais la non-violence ne les a pas effleurés. Puisque j’étais le seul étudiant chercheur à participer à ce colloque en Sorbonne, je ne suis pas intervenu par respect pour mes professeurs et au vu de mon faible bagage. Mais à la fin d’un tour de table, j’ai rassemblé mon courage pour demander la parole : j’ai cité Gandhi et sa définition de la démocratie en liaison avec la non-violence. Cela n’a généré strictement aucun intérêt ! Pire encore, pendant la collation, un des professeurs de philosophie m’a fait remarquer que Gandhi n’est pas un philosophe car il n’a jamais travaillé sur les grands fondateurs de la philosophie, qu’il n’a été qu’un simple religieux, ne prononçant surtout que des discours fades regroupés dans quelques livres épars. Je lui ai répondu que l’œuvre complète de Gandhi existe, soit 90 volumes, et qu’un certain philosophe français, Jean-Marie Muller, la possède dans sa bibliothèque ! 

Lorsque j’ai proposé à l’un de mes encadrants de Paris 8 de travailler sur le livre Le principe de non-violence de Jean-Marie Muller, pour la validation de l’une des matières du DEA, cet universitaire s’est arrêté à la lecture du mot « militant » qui se trouve en dernière page de couverture de cet ouvrage. Il m’a alors directement refusé mon projet de travail, en se justifiant par le fait que l’écrivain est un militant de la non-violence. Rassemblant encore mon courage, je lui ai répondu que c’est parce qu’il est militant qu’il peut écrire de la philosophie, ce que l’auteur lui-même dit dans son ouvrage. Cette réponse a touché ce professeur qui a finalement feuilleté ce livre pour tomber sur les noms de Éric Weil, Simone Weil, Emmanuel Levinas, Hannah Arendt, René Girard et d’autres. Il a alors accepté ma proposition de travail. 

Je cite ces divers exemples pour attirer l’attention sur le fait que l’on ne peut pas construire la paix dans notre monde sans aussi introduire la non-violence dans les établissements scolaires et en faculté, et en tant que musulman pratiquant aussi à la mosquée, notamment à l’assemblée du vendredi. 

6- Expérience non-violente à la mosquée de Lagny 

Durant toute l’année scolaire précédente, l’association de la mosquée de Lagny m’a invité à prêcher à l’assemblée du vendredi. À cette occasion, j’ai établi un programme autour de la non-violence pour mes conférences et prêches, ce qui m’a permis de vivre une autre expérience non-violente différente et agréable. 

Avant les prêches de l’assemblée du vendredi, je donnais des conférences de trente à quarante minutes sur la non-violence et la stratégie de la non-violence, puis généralement je continuais sur le même sujet dans les prêches. J’en ai profité pour faire des résumés de plusieurs livres sur la non-violence parus en France avec en tête toute la série de Jean-Marie Muller et ceux de Gene Sharp. Parfois, je lisais même de longs paragraphes qui m’ont touché, directement tirés d’ouvrages comme L’Évangile, ceux de Jean-Marie Muller comme La stratégie de l’action non-violente, Le dictionnaire de la non-violence, et Le courage de la non-violence. 

Sincèrement, j’ai trouvé de la résistance de la part de quelques jeunes de Lagny, et j’ai passé des heures et des heures à discuter avec eux après la prière. Mais finalement la majorité des fidèles a été intéressée par la non-violence et ils ont noté les références des livres pour se les procurer. Je tiens à signaler que c’était la première fois que j’osais lire des ouvrages de non-violence de non musulmans au sein de la mosquée et lors du prêche à l’assemblée du vendredi, ce qui n’est pas évident dans notre culture religieuse ; cela a d’ailleurs choqué certaines personnes jusqu’au point d’être interpellé par un fidèle tunisien d’une quarantaine d’années en plein discours pour que je cesse mes propos.

 

Conclusion : une proposition non-violente 

Pour régler le problème du cadre de la mosquée et de l’assemblée du vendredi, afin qu’ils retrouvent leur forme historique de centres d’éducation non-violente, je propose une critique politique et morale pour la démocratisation des mosquées et le renouvellement régulier des membres des associations et des imams par élection. Je propose aussi que le Mouvement pour une Alternative Non-violente, le MAN, ait l’occasion d’organiser des sessions de formation à l’éducation non-violente pour les responsables des associations des mosquées, pour les imams et pour tous les musulmans de la cité, au sein de la mosquée directement. 

J’ai remarqué que les musulmans des banlieues de Paris sont assoiffés de connaissances sur la non-violence. Lorsque le philosophe non-violent canadien musulman Khalis Jalabi m’a rendu visite, et plus particulièrement pendant les émeutes de fin 2005, je lui ai organisé des conférences sur la non-violence dans une dizaine de mosquées ; les réactions étaient positives et importantes dans les débats qui suivaient. Avec cette proposition de discussion politique et morale, j’avais envie de mettre en avant le déséquilibre de la démocratie au sein des associations qui président les mosquées et la famine de la culture de non-violence chez les imams, mais également la question de la liberté d’expression que je ressens étouffée dans nos mosquées, tout ceci afin de faire progresser la liberté, l’égalité et la justice, dans une fraternité universelle. 

L’éducation à la non-violence comme l’éducation religieuse pour les jeunes Français musulmans commence à la mosquée avec les prêches lors des assemblées du vendredi. Si on réussissait à mettre en place ce type d’éducation en commençant par la démocratisation de ces lieux de cultes qui devraient être ouverts à tout le monde, le comportement des jeunes musulmans changerait car cette part de violence qu’ils ont parfois envie de propager s’arrêterait. Et bien sûr, si l’État français introduisait enfin la non-violence dans les programmes d’éducation scolaire, comme dans la vie sociale et économique, ce changement n’en serait que conforté. Je signe avec une forte certitude que les autres problèmes seraient alors moins compliqués, dans les banlieues comme dans le reste du monde, pour les hommes d’Allah musulmans et le reste des hommes des autres allahs. « C’est vous qui êtes le sel du monde. Mais si ce sel perd son goût, comment pourrait-on le rendre de nouveau salé ? » (Évangile de Matthieu, « Sermon sur la montagne », 5,13).




Banlieues, un défi pour la non-violence (2)

5042007

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Oser prêcher la non-violence dans les mosquées
par Driss Mahdi 

 

3- Mosquées : expériences non-violentes 

 

Je vais vous présenter mes propres expériences non-violentes vécues depuis environ une dizaine d’années dans ce pays, avec parfois des confrontations dans de nombreuses mosquées, en banlieues et à Paris, avec au total certainement plusieurs milliers de musulmans.  J’aimerais bien ici cibler, parmi une dizaine, trois expériences dans trois mosquées distinctes : la mosquée de Clichy-sous-Bois, la mosquée de Saint-Ouen et celle de Lagny. Cela dure depuis quatre ans, grâce à la chance que j’ai de pouvoir continuer des études supérieures. Après un bac de mathématiques, j’ai suivi cette spécialité à la faculté des sciences d’Oujda, au Maroc. Là, j’ai observé l’importance des sciences humaines dans le changement non-violent social ; alors je me suis parallèlement inscrit à la faculté des sciences humaines dans le département des études islamiques. J’y ai obtenu une maîtrise, avec une recherche modeste sur les travaux du non-violent canadien musulman Khaliss Jalabi sur la violence et la non-violence dans la pensée islamique. Puis j’ai continué mes études supérieures à la faculté de Rabat dans la spécialité du dialogue des religions, avec un travail intitulé « Guerre et paix vues par les religions ». J’ai ensuite rejoint la faculté française pour continuer mes travaux et recherches sur la philosophie du principe de la non-violence au sein du département de philosophie de Paris VIII. Ce mélange d’études humbles de mathématiques, de religion et de philosophie, m’a donné un peu d’ouverture et la force d’oser entreprendre une délicate autocritique de ma propre culture marocaine et religieuse.

 4-  Conférences et prêches sur la non-violence dans la mosquée Billal à Clichy-sous-Bois  Mon expérience à Clichy-sous-Bois et à ses mosquées, notamment de Bilal – la plus grande de Clichy-sous-Bois -, a débuté il y a près de sept ans. Le président de la mosquée m’a ouvert les portes pour donner des conférences sur la non-violence, directement dans la salle de prière, juste avant la prière du coucher de soleil, là où il y a le plus grand nombre de fidèles qui rejoint la mosquée. J’ai commencé à donner des conférences d’une demi-heure tous les jours, et j’ai prêché sur la non-violence pendant les assemblées du vendredi en remplacement de l’imam, lors de ses absences et pendant toutes ses vacances. 

À ces occasions, j’ai profité de donner un grand nombre de conférences sur la non-violence et la stratégie de l’action non-violente, en utilisant la pensée islamique non-violente et mon butinage, tel une abeille, de la pensée philosophique occidentale, de l’Évangile, et surtout d’auteurs non-violents français : Jean-Marie Muller, Jacques Semelin, François Vaillant, et tant d’autres. Grâce à la revue Alternatives Non-Violentes, j’ai notamment pu continuer mes recherches, bénéficiant des apports de Bernard Quelquejeu, Alain Refalo, Élisabeth Maheu, Christian Delorme, François Marchand… Je me suis passionné pour Léon Tolstoï, Lanza Del Vasto, Éric Weil, Simone Weil, Emmanuel Levinas, René Girard, Paul Ricœur, et aussi les Américains Henry David Thoreau, Martin Luther King, César Chavez, Gene Sharp, et encore les Africains Nelson Mandela et le soudanais Mahmoud Tahah, le Dalaï Lama du Tibet et la prisonnière de Rangoun, Aung San Suu Kyi. Et comment ne pas citer parmi les musulmans Abdul Gaffar Khan, Jawad Saïd le syrien et Khalis Jalabi le canadien ? Puis constamment le grand Gandhi, présent d’une manière ou d’une autre parmi chacun de ces auteurs. 

Et sincèrement, si j’ai eu, après chaque conférence ou chaque prêche sur la non-violence, quelques discussions chaudes avec quelques jeunes, la plupart des fidèles ont accepté ces nouvelles idées, dont ils n’avaient jamais entendu parler comme ils me l’ont avoué. Ils m’ont demandé les références des livres sur lesquels je m’appuyais lors de mon discours. À titre d’exemple, lors de la toute récente guerre meurtrière au Liban, j’ai présenté à la mosquée de Clichy-sous-Bois et à celle de Lagny la stratégie de la résistance non-violente comme alternative à la résistance violente à partir de résumés du livre de Jean-Marie Muller La stratégie de l’action non-violente et des volumes de Gene Sharp The Methods of Non-violent action. La réaction a été magnifique ! 

En 2003, mon ami syrien non-violent Aboud Shagouri a été mis en prison pour deux ans et demi, accusé d’avoir consulté sur Internet des articles critiquant le régime totalitaire syrien. Des jeunes Clichois ont été les premiers à m’aider à récolter plus de 2500 signatures pour une pétition à travers laquelle nous déclarions notre soutien au prisonnier, maintenant libéré. 

Quand j’ai dû arrêter un temps mes conférences, à cause de mes examens à préparer, une fausse rumeur s’est propagée comme quoi Driss avait été exclu par des membres de l’association de la mosquée de Clichy-sous-Bois. Les jours suivants, des dizaines de jeunes sont venus me retrouver pour avoir la confirmation ou non de mon exclusion. Je les ai rassurés, pendant que certains me disaient qu’ils seraient aller brûler la mosquée si j’en avais été exclu ! Cela montre bien que ces jeunes sont prêts pour un travail non-violent en profondeur, et qu’ils sont capables également de ne pas seulement brûler les voitures mais aussi un lieu saint de la valeur de la mosquée qui leur appartient !

 

(A suivre !)




Banlieues, un défi pour la non-violence (1)

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Driss Mahdi est un ami avec qui je partage une démarche, une manière de voir et des idées concernant la philosophie de la non-violence. Nous essayons, malgré les difficultés, de mettre en exercice cette philosophie et de lui donner un sens pratique et un cadre de vie, pour qu’elle soit connue et pourquoi pas, partagée par un grand maximum. Dans son article qui est fort intéressant, il montre bel et bien que ce cadre existe, il s’agit entre autres de le « Mosquée », le seul problème, c’est que cette structure est à l’heure actuelle prise en otage par d’autres courants qui l’asservissent à leurs idéologies et à leurs intérêts. Comment faire donc, pour que la structure de la mosquée joue son plein rôle dans la diffusion des valeurs de la non-violence ? Telle est la question. Driss apporte des éléments de réponses, en sa qualité d’étudiant chercheur au Département de philosophie de l’Université Paris VIII ; avec un mémoire de DEA sur la philosophie de la non-violence, mais aussi de part son engagement pratique pour promouvoir ces valeurs. Bonne lecture : 

Oser prêcher la non-violence dans les mosquées
par Driss Mahdi 
 

 

1- Relation entre mosquée, assemblée du vendredi, violence et non-violence :  L’assemblée du vendredi, dans sa version originelle, n’est pas une simple réunion de prière mais une société qui travaille à élaborer et à semer les graines de la non-violence dans la vie des citoyens. Cette assemblée est un congrès éducatif et politique, hebdomadaire, qui s’intéresse aux problèmes des gens de la cité de toutes religions et pas seulement musulmans. Dans ce sens, le congrès du vendredi est laïc plus qu’islamique, sa force vient de la voix des hommes dans leurs différences, et il est une réelle lutte permanente contre toute sorte d’oppression et d’oppresseur. Si cette assemblée hebdomadaire retrouvait la voie laïque de sa version originelle, alors il serait probablement possible d’amener la paix dans les banlieues parisiennes. Les villes, où la violence et la contre violence s’amplifient de plus en plus en ce moment, deviendraient des centres d’éducation à la non-violence, des centres de fraternité et d’égalité. 

L’assemblée du vendredi n’est pas un prêche au nom d’une religion, ni une conférence sur la pensée et le dogme musulmans, ni un jour spirituel pour quitter l’ici-bas pour aller dans l’au-delà auquel croit tout musulman, le paradis que promettent les imams ou l’enfer contre lequel ils nous mettent en garde. L’assemblée du vendredi est un congrès politique, éducatif, c’est-à-dire un bienfait non-violent, efficace, qui permet à la cité de lutter hebdomadairement contre les injustices. Toute personne, de tout âge, tout sexe, toute nationalité, toute religion, est vivement invitée à y assister, tant le fondement de l’assemblée du vendredi est d’établir une relation vraie avec autrui, même si c’est un ennemi. 

Les concepts « Vendredi », « Mosquée » et « Université », dans la langue arabe et dans le Coran, viennent directement du verbe « rassembler » ; ils signifient « se rassembler avec autrui », fût-il un ennemi. Là, tout est basé sur la parole des gens, dans un dialogue social et politique constructif. C’est donc une force de régulation non-violente aux moments des conflits, dans un rassemblement où assistent chaque enfant, chaque adolescent et adolescente, chaque jeune, chaque homme et femme, chaque vieux et vieille, sans séparation ni procuration. 

Malheureusement, ce rassemblement chez les musulmans de France est trop souvent devenu une simple réunion vidée de sens, copie conforme des rassemblements qui ont lieu dans le monde arabe et musulman. Les imams impriment simplement leurs prêches depuis Internet, sur des sites d’imams d’Arabie Saoudite et du reste du monde arabe. Les dictionnaires ont peut-être gagné le concept « prêche du vendredi », mais en réalité, dans chaque ville, les musulmans et leurs voisins non musulmans perdent là une formidable occasion de réflexion et d’action non-violente contre les injustices. 

La fusée de l’assemblée du vendredi n’a donc pas réussi son décollage, le paradis n’est pas venu aux banlieues, du coup, la jeunesse française musulmane – comme tous ses frères musulmans du monde arabe et du reste du monde -, continue à espérer le paradis par le biais de la violence, attirée par des prêches similaires à des trous noirs, influencée par des imams non élus qui parlent au nom de Dieu et de ses prophètes. 

2- Où est le cadre de la mosquée ? Qui a volé l’assemblée du vendredi ? 

De mon point de vue, la peste de la violence et de la contre violence s’amplifie de plus en plus à cause du manque d’éducation à l’action non-violente dans les établissements scolaires français, et particulièrement dans ceux des banlieues. Comme ce manque est également manifeste dans les lieux de culte musulman, la violence de la jeunesse française musulmane dans les banlieues a une courbe malheureusement croissante. 

Je soulève un autre problème majeur : les mosquées, lieux ouverts de l’éducation à la non-violence, vivent souvent sous l’emprise d’un groupe d’associations non élues démocratiquement, sans remise en question ni renouvellement régulier des responsables. Ces lieux sont assimilés à une source de revenus, de prestige, de reconnaissance. J’ai assisté à des situations extrêmes où le responsable de la mosquée, censée être ouverte en permanence à toute la cité, interdisait aux hommes et les femmes d’entrer hors des minutes de prières. Et pire que cela, j’ai assisté à des moments où le responsable n’admettait les femmes que pour le prêche du vendredi et interdisait strictement l’accès aux non musulmans ! Je suis témoin que ce comportement quotidien se répète dans la plupart des mosquées. 

C’est à cause de ce genre de gérant de mosquée que les Français musulmans et non musulmans ont perdu d’une part le cadre de la mosquée laïque pour l’éducation permanente à la non-violence, au respect, et d’autre part l’assemblée du vendredi pour la critique et la lutte non-violente politique, sociale, économique et environnementale contre les oppressions. Signalons que ces personnes qui dirigent les mosquées sont généralement des ouvriers immigrés de la première génération arrivée en France, actuellement à l’âge de la retraite, très souvent analphabètes et très loin de comprendre le mouvement de l’histoire et la réalité de la France ; pire que cela, ils vivent avec des corps en France mais avec des têtes forgées par une culture orientale qui remonte dans le meilleur des cas au dixième siècle, et ils sont souvent utilisés pour renseigner leur pays d’origine ou même leur pays d’accueil ! Il s’ensuit, qu’avec les facteurs sociaux et économiques défavorables aux banlieues, de jeunes musulmans participent à des violences. Je ne dis pas que ces associations appellent à la violence, mais je dis qu’elles n’appellent pas à la non-violence car tout simplement elles ne la connaissent pas. 

 

(A suivre : Mosquées, expériences non-violentes)




L’Islam est une religion de non violence

3042007

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Par : Bashar Humeid 

Publié en 1966, l’ouvrage intitulé « La Doctrine du Premier Fils d’Adam: Le Problème de la Violence dans le Monde Islamique » a été la première publication dans le mouvement islamique moderne à présenter un concept de la non-violence. Ce livre, qui en est à sa cinquième édition, est encore disponible aujourd’hui. 

Il a été écrit par Jawdat Saïd, né en Syrie en 1931, puis parti dès son plus jeune âge en Egypte pour étudier la langue arabe à l’Université Azhar. Il y prit une part active dans la vie culturelle égyptienne. Il entretenait des liens étroits avec le mouvement islamique de cette époque. 

A cette époque déjà, Saïd avait attiré l’attention sur les effets négatifs de la violence qu’entretenait le mouvement islamique en Egypte, et avait écrit son livre comme une réponse directe aux écrits de Sayyid Qutb, mort en 1966, et considéré comme le père de l’Islam militant. 

D’autres intellectuels du monde islamique s’étaient également insurgés contre Qutb à cette époque, parmi lesquels Hasan al-Hudaybi, le leader des Frères Musulmans égyptiens. 

Au début des années 1980, les Frères Musulmans de Syrie commencèrent – en dépit des avertissements de Saïd – à se rebeller contre le gouvernement de Hafez al-Asad. Cette révolte fut matée dans le sang, et se termina en 1982 par un massacre dans la ville de Hama. 

A la suite de cette défaite, le mouvement commença en envisager sérieusement l’idée d’une démilitarisation. A l’époque, les écrits de Jawdat Said connurent une popularité toujours croissante dans les milieux islamiques activistes. 

Le concept de la non-violence selon Said 

Dans l’introduction à son livre « La Doctrine du premier Fils d’Adam », Jawdat Said se place dans la tradition de réformateurs islamiques tels que Abd al-Rahman al-Kawakibi (mort en 1902) et Muhammad Iqbal (mort en 1938), le poète et philosophe mystique indien. 

Saïd y souligne également l’importance de l’écrivain algérien Malik bin-Nabi (décédé en 1973) et de son ouvrage intitulé « Les Conditions de la Renaissance ». 

Ce que ces philosophes ont en commun est l’accent mis sur la réforme au sein des sociétés islamiques. Ils voient les problèmes dans leurs sociétés plus comme le résultat d’évolutions internes défavorables que comme celui de l’intervention coloniale. 

Les travaux de Saïd sur la non violence font partie d’une série d’écrits traitant de problèmes personnels et sociétaux, et qui servent de repères aux activités islamiques. Ils s’adressent en premier lieu à la jeunesse islamique, et présentent un type de vie islamique qui réfute la violence. 

La non-violence comme commandement divin 

Saïd considère cette approche comme fondée sur le Coran. Dans la Sourate 5, versets 27–31, on peut lire comment « Abel, qui craignait Dieu » avait même refusé de se défendre contre son frère, bien qu’à la fin, Caïn le tua. 

Saïd voit cela comme une quête de l’humanité, pour réagir « comme le premier fils d’Adam, qui ne s’est pas défendu contre les attaques de son frère ». La non-violence exprimée par le fils d’Adam constitue, aux yeux de Saïd, « une position à laquelle doit aspirer l’humanité entière, et à y adhérer comme l’un des commandements divins. » 

De plus, Saïd se réfère aux histoires des différents prophètes du Coran et souligne que les seules charges dont ils furent accusés fut leur croyance en un Dieu unique de la création. Aucun d’eux, toutefois, ne tenta de propager ses idées par la violence. 

Saïd y voit l’indication claire que la pratique de la violence est incompatible avec la foi même du Coran. Mais comment Saïd explique-t-il alors les autres versets du Coran qui appellent les croyants à se battre ? 

Différentes interprétations du Coran 

Du point de vue de Saïd, le Coran stipule deux conditions préalables pour une guerre légitime. D’abord, la guerre ne doit être déclarée que si l’adversaire défie le principe fondamental du Coran de « non coercition de religion », c’est-à-dire si l’ennemi viole le principe de « liberté d’opinion. » 

Ensuite, la nation qui déclare la guerre doit elle-même adhérer à ce principe. 

Dans son livre datant de 1988, « Lis! Le Seigneur ton Dieu est Bienveillant », Saïd expose son idée d’un Islam exempt de toute violence en développant une approche importante à l’interprétation du Coran. 

Il souligne que les diverses interprétations du texte du Coran constituaient un défi même pour les premiers disciples du Prophète Mahomet. 

Il cite le quatrième Calife, Ali ibn Abi Talib, qui, en désaccord avec ses adversaires (les Kharijites) exigea que l’on ne tienne pas compte des textes parce que chaque groupe avait sa propre manière de les interpréter. En place, les aspects pratiques devaient être discutés pour tenter de parvenir à une solution satisfaisante. 

Saïd en conclut que le Coran demande aux gens de rechercher la vérité dans le monde réel, et non dans les textes du Coran. L’appel à « parcourir la terre » se répète treize fois dans le Coran. Saïd en tire la conclusion que cela constitue une partie de la révélation divine: chercher la connaissance sur le monde, son histoire et ses sociétés. C’est là que réside pour lui la « signification profonde et le miracle du Coran ». 

De nouvelles interprétations du Coran 

Cet appel à « parcourir » est couplé à l’exigence de la lecture. Après tout, « Lis ! » est le premier mot révélé au Prophète. Saïd interprète cela comme un appel à se familiariser avec l’histoire de l’aventure humaine, à laquelle on accède en premier lieu par le biais de la lecture. 

Etayant son point de vue par des approches provenant de la tradition islamique, Saïd trace ainsi la voie à une nouvelle interprétation du Coran qui ne met plus l’accent sur les textes sacrés, mais place plutôt l’expérience humaine aux avant-postes. 

C’est la raison pour laquelle les interprétations de Saïd ont été sévèrement attaquées par la pensée conservatrice. L’un de ses adeptes, Adel al-Tal, écrivit un livre en 1995 dans lequel il accusait Saïd d’être un « matérialiste déguisé en musulman. » 

Conflit entre science et violence  

Mais à ce jour, Saïd est resté fidèle au texte du Coran. Il cite souvent le Coran pour étayer son point de vue sur la non-violence. 

Le passage qu’il cite le plus souvent est la Sourate 2, versets 30-33, dans laquelle les anges protestent contre la décision de Dieu d’envoyer un représentant sur terre. Leur argument consiste à dire que ce représentant ne fera rien d’autre que semer le trouble et répandre le sang. En réponse, Dieu enseigne à Adam « toutes les choses et leurs noms. » 

Saïd comprend ce passage comme une dispute symbolique entre science et violence. Dans le langage des versets du Coran, cela signifie une dispute entre « donner des noms » et « créer le trouble et répandre le sang ». 

L’humanité, conclut Saïd, devrait et peut utiliser la capacité donnée par Dieu à raisonner pour réaliser la paix sur terre. 

Source : http://www.magharebia.com




Oh ! N’INSULTEZ JAMAIS…

3042007

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Victor HUGO – 6 septembre 1835 

Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe ! 

Qui sait combien de jours sa faim a combattu ! 

Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu, 

Qui de nous n’a pas vu de ces femmes brisées 

S’y cramponner de leurs mains épuisées ! 

Comme au bout d’une branche on voit étinceler 

Une goutte de pluie où le ciel vient briller, 

Qu’on secoue avec l’arbre et qui tremble et qui lutte, 

Perle avant de tomber et fange après sa chute ! 

 

La faute en est à nous. A toi, riche ! À ton or ! 

Cette fange d’ailleurs contient l’eau pure encor. 

Pour que la goutte d’eau sorte de la poussière, 

Et redevienne perle en sa splendeur première, 

Il suffit, c’est ainsi que tout remonte au jour, 

D’un rayon de soleil ou d’un rayon d’amour ! 

 




LA LAPIDATION : UN CRIME CONTRE L’ISLAM

2042007

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Par: Ikbal El GHARBI  Université EZZEYTOUNA (Tunisie) 

La violence contre les femmes n’est pas, certes, l’apanage des sociétés musulmanes. C’est un phénomène qui touche la grande majorité des sociétés dans le monde. D’ailleurs les nations unis ont décrété la journée du 25 Novembre comme journée mondiale pour l’élimination de la violence contre la femme. Cet intérêt international résulte de l’ampleur  du phénomène. 

En effet les statistiques sont terrifiantes : au USA une femme est battue tout les 15 secondes. 

En Afrique du Sud une femme est violée toutes les 23 secondes. 47% des canadiennes ont été victimes d’au moins un acte de violence physique. Dans le monde 50% des femmes ont subi des abus physiques de la part de leurs proches. 

En terre d’islam à coté de cette violence quotidienne, économique et sexuelle, persiste une injustice barbare à l’égard des femmes: la lapidation. 

Après les procès des nigériennes: Safia Huseini et Amina Lawal qui ont  suscité de forts mouvement de protestation dans le monde, les intégristes musulmans ont passé sur Internet une vidéo filmant la lapidation d’une femme! 

Comment les intégristes justifient-ils cette fureur et cette brutalité? Par l’islam. 

Cet acte barbare est présenté par les intégristes comme une sanction divine de zinaa, CAD l’adultère, dans l’intention de  préserver l’ordre moral. 

Dans cette perspective, il faut rappeler que l’islam est une religion mais aussi une culture qui gère la complexité de la vie en commun. 

Le Coran utilise un langage spécifique mêlant paraboles, récits, exhortations, injonction et autres figures de style. 

Les exégètes l’ont traduit en un langage conceptuel où on trouve les règles auxquelles le musulman doit se conformer. Ces règles ont été classées par les jurisconsultes en deux catégories: -         les Ibadats, règles qui régissent les relations de l’homme avec le divin 

-         les Mouamalat, les règles qui se rapportent à la vie courante, à la relation humaine. 

Dans ce contexte, les Fukaha font la distinction entre les Finalités qui sont éternelles et universelles et entre les lois, les normes, les règles qui elles sont temporelles. Ces règles sont des solutions conjoncturelles qui se sont imposées au prophète à un moment ou à un autre et qui sont de ce fait relatif et historique. Et c’est ce qui explique le mécanisme de versets abrogeant et des versets abrogés, des versets généraux et des versets spécifiques  grâce auquel  le caractère absolu du  Coran s’accommode  avec  la relativité de la condition humaine.    

Afin de clarifier la problématique de la lapidation , il faut mentionner que dans les sociétés anciennes, l’adultère  comme manquement à l’appartenance charnelle exclusive qui définit juridiquement le consortium conjugal a toujours été réprimé.  Les rapports d’un autre homme avec une femme mariée a toujours été répréhensible parce qu’il apparaissait comme une usurpation sur un droit de propriété du mari sur la femme. C’est aussi une atteinte au capital symbolique de l’homme, à son honneur. C’est enfin une faute contre la famille à laquelle la femme avait été intégrée souvent tenu pour un manquement à une obligation de pureté. 

Les  textes littéraires des anciens égyptiens décrivent les supplices qui frappent les amants coupables. Le code de Hammourabi, qui date du XVIIIeme siècle avant notre ère punit de mort par noyade la femme accusée d’adultère. Toutefois, ce code précise que la répression de l’adultère par l’autorité publique dépend de la libre décision du mari qui pouvait pardonner et épargner la coupable. 

La législation hébraïque ne réprime également que l’adultère de la femme, mais la condamnation de l’adultère est formulée d’une façon générale  et elle implique   la mise à mort des deux complices par lapidation. 

Il existe une conscience ches les musulmans, dés les origines, que leur religion n’échappait à aucune des l’influences de toutes les civilisations qui les côtoyaient. Et c’est pour ces raisons culturelles qu’en  islam aussi, l’adultère est considéré comme un péché. Il nécessite un had . Le hadd  est le terme technique  qui sert à désigner la sanction de certains actes interdits ou sanctionnés par le coran donc considérés comme des crimes contre la religion. Le Coran énumère des sanctions pour  le zinaa (commerce charnel illicite), son contre parti, le kadhf, l’accusation fausse du rapport illicite, la consommation d’alccol, le vol et le brigandage. 

Dans le Coran, première source de législation, on ne trouve aucun verset qui mentionne la lapidation. Les peines encourues par les coupables varient selon les circonstances de l’acte, ainsi que de l’  état matrimonial des amants. Par exemple si l’acte sexuel a eu lieu par la coercition physique ou morale, il n’y a pas de délit .En effet le Coran précise ce cas comme suit : «  Celui qui est en détresse mais ni rebelle ni transgresseur, pas de péché sur lui. Oui, Dieu est pardonneur et Miséricordieux. » (Sourate La Vache, verset 173). Si les coupables sont mariés, les sanctions coraniques sont les suivantes: 

1) la flagellation précisée à 100 coups de fouets: «La fornicatrice et le fornicateur, fouettez-les de chacun cent coups de lanière .Et que nulle douceur ne vous prenne à leur égard, en la religion de Dieu, si vous demeurez croyants en Dieu et au Jour dernier .Et qu’un groupe de croyants assiste à la punition des deux. »(Sourate La Lumière, verset 2) et 

2) l’emprisonnement à vie  ou  jusqu’à une date indéterminée: « Quant à celles de vos femmes qui commettent une turpitude, faite témoigner contre elles quatre d’entre vous. S’ils sont témoins, alors confinez  ces femmes aux maisons jusqu’à ce que la mort les achève, ou que Dieu leur ouvre une voie. »  (Sourate Les Femmes, verset 15). 

3) la réprimande  physique ou morale et la désapprobation sociale : «  Et si c’est deux hommes des vôtres qui l’ont commise, alors la torture, s’ils se repentent ensuite, et se réforment, alors passez. Oui, Dieu demeure accueillant au repentir, miséricordieux. » (Sourate La Vache, verset 16) 

4) la procédure de la malédiction liaan: si un mari constate l’infidélité de son épouse mais ne peut pas fournir quatre témoins oculaires. Le mari se présente devant le cadi et répète quatre fois « Puisse la malédiction d’Allah s’abatte sur moi si je mens en accusant ma femme d’adultère ». Le cadi entend par la suite le témoignage de la femme qui doit répéter quatre fois  » je jure devant Allah que mon mari ment en m’accusant d’adultère », elle conclue « Puisse la malédiction d’Allah tombe sur moi si mon mari dit la vérité » . On retrouve cette procédure dans le Coran: « Et quant à ceux qui lancent une accusation contre leur propre épouses cependant ils n’ont de témoignage que d’eux mêmes. alors le témoignage de l’un de ceux là consistera en quatre attestations qu’il est  certes, oui, du nombre des véridiques, et la cinquième:  que la malédiction de Dieu soit sur lui s’il est du nombre des menteurs. Et qu’on écarte de la femme la punition, si elle atteste Dieu, par quatre attestations, que l’autre est certes, oui du nombre des menteurs , et la cinquième:  que la colère de Dieu soit sur elle, s’il est du nombre des véridiques. » (Sourate La Lumière, versets 6,7,8,9).  Le Cadi peut alors prononcer le divorce. La femme n’est l’objet  d’aucune poursuite judiciaires .Cette procédure invalide les crimes d’honneurs qui stigmatisent actuellement la culture arabo-musulmane. 

Ces sanctions peuvent être abrogées par la shubha c’est-à-dire  la ressemblance de l’acte commis avec un autre licite et par conséquent, du point de vue subjectif, la présomption de bonne foi chez les accusés. 

Il existe une forte tendance, d’ailleurs exprimée dans une tradition attribuée au prophète, à restreindre autant que possible le champs d’application des peines et des sanctions sauf pour le kadhf, l’accusation mensongère d’adultère, afin, précisément, de restreindre et de limiter le hadd du zinaa

En outre,  les exigences les plus sévères concernent l’accusation d’adultère. on soumet les témoins  à des conditions  particulièrement difficiles quant à leur nombre (le mari doit rassembler quatre témoins oculaires  digne de foi), à leur qualification (ces témoins doivent voir l’acte charnel avec grande précision), et à la teneur de leurs déclarations (ls doivent faire leur déclaration verbalement, réunis ensemble, d’une manière claire et sans aucun équivoque  et si l’un d’entre eux  se rétracte les trois autres seront punis à recevoir 80 coups de fouet).   Par ailleurs, pour la majorité des musulmans, il est considéré comme plus méritoire de dissimuler les fautes et l’écart que d’en fournir les preuves et d’en témoigner.      

Ces directives de libertés et de tolérance  que nous retrouvons dans le Coran sont les vecteurs d’interprétation qui permettent d’adapter  les droits de l’homme et du citoyen. 

Car comme l’a écrit le penseur Mohamed IQBAL: «Le Coran est certes la première source du droit musulman, cependant le Coran n’est pas un code légal. Le principal but qu’il propose est d’éveiller chez l’homme une conscience plus haute de ses relations avec Dieu et avec l’univers ». 

Cf Le Saint Coran, Traduction et Commentaire de Muhammad HAMIDULLAH, Ed. Amaba Corporation, Maryland 1989




Monstre du « qu’en-dira-t-on ? » communautaire ! Phobies islamistes

1042007

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Par : Mohamed LOUIZI 

            Dans sa chronique dans le magazine Le Monde des Religions (1), intitulé « Où sont passé les intellectuels musulmans ? », Jean Mouttapa (2) lance un appel à ceux résignés parmi ces intellectuels, leurs invitant de se libérer de l’emprise du « qu’en-dira-t-on communautaire ?», de libérer l’expression de leurs pensées en se livrant tout d’abord, à l’exercice de l’autocritique et de « penser contre soi-même ». Et ensuite, d’exprimer celle-ci « haut et fort en penseurs affranchis ». Jean Mouttapa reconnaît que dans les pays « musulmans », les intellectuels sont tous, plus ou moins soumis à « une terrible censure politico-religieuse ». Mais, il estime anormale, que d’autres intellectuels vivant sur le sol européen et français n’arrivent pas à se dégager définitivement de cette emprise monstrueuse qui les maintient silencieux, voire peureux et effrayés, de la réaction de je ne sais quelle « communauté musulmane » !  

 

Il est vrai que ladite « communauté musulmane » a, depuis des siècles, définit son territoire et ses lignes rouges, supposées sacrées et intransgressibles.  Elle a définit aussi les critères que tout membre, intellectuel ou pas, se doit d’observer pour avoir la paix communautaire, sinon, le rejet et bien d’autres sorts, lui seront réservés s’il ne renonce pas à ses dépassements pernicieux.

Les pouvoirs politiques, en alliance avec des religieux, ont joué un double rôle dans ce sens. D’abord, ils ont déterminé ce qu’est l’identité de ladite « communauté musulmane », qui se résume, selon la conception dominante de cette même alliance, en une et une seule appartenance hégémonique, à savoir : l’appartenance religieuse, et en l’occurrence « l’islam du pouvoir »  en place. Et ensuite, ils ont mis à disposition tout un arsenal juridico-religieux de maintien de l’ordre établit. Et dans ce cadre, même les pires moyens illégaux et inhumains ont été sollicités, depuis des siècles, pour que soient respectées ces frontières et pour que tout le monde, y compris les intellectuels, ne quittent pas leurs carcans claniques et adhèrent, bon gré mal gré, par allégeance ou par crainte de l’anathème, à l’idée d’une « communauté musulmane » sacrée, une et indivisible et surtout au-dessus de toute mise en question et de toute critique ! 

De ce point de vue, la supposée « communauté musulmane » ne diffère guère de ses semblables. Elle est à l’image de toutes les communautés qui se définissent, principalement ou exclusivement, comme fondée sur la seule appartenance religieuse. Elle reproduit de manière systémique et symétrique tout ce que celles-ci ont pu expérimenter et mis en place, depuis qu’il y a une communauté d’humains qui s’est construite autour d’une religion.

Amin MAALOUF (3)  nous fait part de ses réflexions autour de cette question. Son livre « les identités meurtrières » est totalement consacré à l’étude des différentes représentations et risques de cette mono-appartenance qui forme à un moment donné une communauté et qui peut représenter un danger, à la fois pour ses membres et aussi à l’égard de son entourage considéré comme « autre », et surtout comme un ennemi hostile à surveiller, sans baisser la garde.

Par rapport au traitement que réserve une quelconque communauté religieuse à ses siens, MAALOUF écrit la chose suivante : « Ceux qui appartiennent à la même communauté sont les nôtres, on se veut solidaire de leur destin mais on se permet aussi d’être tyrannique à leur égard ; si on les juge tièdes, on les dénonce, on les terrorise, on les punit comme traîtres et renégats.. » (4). Une telle punition n’est rien d’autres que la désignation public, dans un premier temps, comme ennemi de la communauté, et par extrapolation comme hérétique et apostat de la religion. Et dans un deuxième temps, le pouvoir plotitico-religieux qui autoproclame une certaine légitimité communautaire procède à l’élimination pure et simple de cet élément gênant.

De ce point de vue, toute communauté se soumettant à l’ordre d’une oligarchie politico-religieuse adopte le même comportement totalitariste face à toute opinion ou expression d’opinion libre et pacifique. Dans de tel condition, l’opinion devient un délit passible de la peine capitale car assimilée, par certains, à la haute trahison. Et même après l’exécution ou la mort, le cadavre de la personne jugée ennemie ou hérétique sera sujet à un traitement de faveur ! Dans le cas de ladite « communauté musulmane », l’apostat « ne sera ni lavé, ni mis dans un linceul, ni donné au gens de sa nouvelle religion, car le faire signifie qu’on lui rend honneur alors qu’il n’en n’est pas digne. L’apostat sera jeté dans une fosse comme on jette un chien. Et s’il a un parent musulman, il serait préférable de le lui remettre pour le laver comme on lave une robe impure et l’enrouler dans un habit usé » (5).   

En effet, c’est ce genre de traitement maintenant une majorité d’intellectuels sous l’emprise de la peur qui leurs impose de garder le silence et de se consacrer à des sujets annexes et secondaires qui ne font que confirmer les pratiques autoritaristes des oligarchies politico-religieuses visant à effacer toute opposition légitime au nom de Dieu !

Ce climat de « phobies » n’est pas sans conséquences. Des « intellectuels » refusent toute mise en question de l’héritage religieux, car une telle aventure peut être perçue par les gardiens du temple et du palais présidentiel comme atteinte à la vérité officielle. Certains préfèrent se diminuer en dessous des ancêtres pour être reconnus, acceptés et entendus par la masse. D’autres se dissimulent en réformateurs critiques à l’égard des connaissances ancestrales, mais en réalité, ils pratiquent tout le contraire, ils disent ne pas pouvoir sortir dans leurs recherches et écrits des normes « immuables ! » reconnues par les « savants et les sciences islamiques ». Pour certain, cela se traduit par « la rigueur académique » que ces intellectuels observent minutieusement.

Mais toute fois, une autre lecture est aussi plausible : le fait de se définir fidèle aux cadres normatifs, tracés par les anciens et à ce qu’on désigne habituellement par « sciences islamiques », ne traduit-il pas une sorte de continuité non dérangeante là où il faut assumer la rupture ? La réforme ne commence-t-elle pas par l’évaluation, au premier abord, des normes ancestrales ? Lesdites « sciences islamiques », sont-elles « sciences » au sens propre du terme, c’est à dire un ensemble cohérant de connaissances concernant des phénomènes obéissant à des lois vérifiables ? Ou sont-elle tout simplement des compilations de pseudo connaissances, d’impressions et d’humeurs et qui n’obéissent à aucune loi si ce n’est la loi/passion des régimes politiques en place ?  

Car ce sont bien ces « sciences islamiques » qui ont engendré entre autres, la sanction d’apostasie et celle de la lapidation. Et se sont ces mêmes « sciences » aussi qui sont enseigné actuellement dans les universités de théologie, même en France, et qui représentent, en partie, l’assise théorique de « l’islam politique » et de ses variantes extrémistes et violentes.

En assumant cela, ces intellectuels ne jouent-ils pas le jeu des pouvoirs ? L’intellectuel ne devient-il pas asservi à la cause des religieux qui limitent, en amont, le champ de ses réflexions et des politiques qui répriment, en aval, tout dépassement des lignes rouges ? Quelle est donc la responsabilité de l’intellectuel dans ce cas là ?

Jean Mouttapa dans sa chronique se pose les questions suivantes : Qui empêche nos intellectuels musulmans de s’exprimer haut et fort en penseurs affranchis ? Qui leur défend de se dégager définitivement d’une prétendue solidarité communautaire comprise comme « réflexe, instinct, principe de survie et d’être » ? Qui les retient de s’élever contre une diabolisation délirante d’Israël, de calmer leurs refus que des jeunes dévoyés revendique l’islam comme arme contre la France et l’Occident, de faire l’analyse critique de l’idéologie de la victimisation ?…

Ces questions bien qu’elles soient engagées du côté du combat que mène Jean Mouttapa au quotidien comme militant de l’interreligieux et surtout du rapprochement entre « juifs » et « musulmans », elles restent tout de même secondaires par rapport à l’ensemble des interrogations prioritaires et fondamentales posaient à l’ensemble de l’intelligentsia contemporaine, et non pas seulement musulmane même si cette dernière est la plus concernée par ces questions. A commencer par la place de l’humain dans la société, la place de la religion, les libertés fondamentales, le vivre ensemble, la justice, la paix, l’environnement,…

Tant que les intellectuels ne dénoncent pas, par crainte d’être dénoncés et dévorés par ce monstre communautaire, ce qu’on a fait, et aussi ce qu’on est entrain de faire au nom de Dieu, le qualificatif même d’intellectuel serait à revoir. Je pense qu’il est temps que la supposée intelligentsia « musulmane » lève la tête enfin, pour s’exprimer librement sur tous les sujets qui rongent l’ère contemporaine en commençant, tout d’abord, par la remise en question de cette idéologie limitative des libertés individuelles qui se définit comme représentante de « l’islam ». Pour cela, il n’y a que la clarté dans les positions qui fera bouger les lignes. Toute forme de dissimulation, même partielle, ne fera que retarder les échéances d’une renaissance tant attendue de la pensée et des libertés, dans l’ensemble des pays soumis aux régimes politico-religieux, comme dans des pays laïques comme la France !

En effet, si la liberté se construit à chaque instant dans la douleur et dans la lutte,  les atteintes aux libertés au nom de Dieu, elles aussi, ne cessent de gagner du terrain et elles s’enracinent simultanément davantage, dans le paysage religieux « musulman », avec subtilité et arrivisme à outrance ! De ce point de vue, tout intellectuel qui se respecte se doit de faire en sorte que les acquis en matière de libertés individuelles, ne soient pas bafoués et mise en danger par  ce monstre qu’on désigne sous l’expression du « qu’en dira-t-on communautaire? ». 

Notes : 

(1)- Le Monde des Religions, n° 15, Janvier Février 2006.

(2)- Jean Mouttapa, chrétien engagé dans le dialogue interreligieux, est écrivain et éditeur. Auteur de Un arabe face à Auschwitz (Albain Michel – 2004)

(3)- Amin MAALOUF écrivain libanais résident en France depuis 1976. Romancier, essayiste et historien reconnu. Il était également journaliste. Il est l’auteur des Croisades vues par les arabes (1983), Samaracande (1988), les identités meurtrières (1998)…

(4)- Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, Grasset, Paris 1998, p 39.

(5)- Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh, Cimetière musulman en occident, L’Harmattan, Paris 2002, p 62.

  







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