Banlieues, un défi pour la non-violence (3)
5042007
Oser prêcher la non-violence dans les mosquées
Par Driss Mahdi 5- Cours sur la non-violence à la mosquée de la paix de Saint-Ouen
Mon expérience dans la mosquée de la paix à Saint-Ouen dure depuis quatre ans. J’enseigne dans l’école de la paix aux enfants à partir de 10 ans et aux adolescents et adolescentes jusqu’à 20 ans. J’ai deux classes de 25 à 30 élèves, chacune constituée de Français musulmans d’origine maghrébine, africaine et orientale, dans une école de 4 salles, de 4 niveaux scolaires, divisés en 7 groupes pour 4 instituteurs ; il y a eu jusqu’à 300 élèves inscrits !
Ce travail sur la non-violence et l’éducation non-violente que j’ai mis en pratique pendant quatre ans a donné des récoltes étonnantes. Par exemple, l’année dernière, dans la matière de l’éducation islamique, du commentaire du Coran et de la biographie du prophète, j’ai utilisé pour l’une des bases Le dictionnaire de la non-violence de Jean-Marie Muller. J’ai commencé, pour ne pas choquer les parents des élèves, par les notions qui font partie de la culture et du dictionnaire islamiques, comme les concepts de « violence », « paix », « démocratie », « éducation », « bonté », « amour » et « non-violence ». Ensuite j’ai abordé les concepts les plus sensibles comme « désobéissance civile », « non coopération », « lutte », « contrainte », « femme », « vérité » et « Jihad ». À ma surprise, les élèves ont montré des capacités énormes pour comprendre ces concepts non-violents alors que je n’arrive pas toujours à les faire comprendre à des adultes et étudiants, par exemple après plusieurs discussions à la mosquée, au prêche de l’assemblée du vendredi ou à l’université.
Une des histoires les plus mémorables a eu lieu à la fin de cette année scolaire, lorsque j’étais débordé par mes cours à la faculté et la rédaction de mon mémoire de DEA. Pour me libérer du temps, j’ai pensé à ruser un peu les deux derniers mois avant les vacances scolaires en proposant à mes élèves de préparer par petits groupes des exposés sur la non-violence et les non-violents, comme Gandhi et Martin Luther King, pour les présenter à toute la classe. Dés la première présentation, j’ai été agréablement surpris de la qualité des travaux menés et des exposés, ce qui s’est confirmé au fil des autres cours chaque semaine. Cela m’a conduit à inviter les autres classes et leur instituteur à y participer, pour qu’ils entrent dans la compréhension de la non-violence.
Cette modeste expérience, qui à l’origine était pour me libérer du temps, m’a fait découvrir un vrai trésor que je tenais entre mes mains, sans avoir besoin d’aller au département de philosophie de mon université pour le découvrir chez nos chers philosophes. Je n’ai malheureusement jamais entendu ceux-ci citer le nom de Gandhi, parler du concept de non-violence. Il y a un an, j’ai assisté à la Sorbonne à deux jours d’études sur la démocratie, avec des philosophes et chercheurs du département de philosophie de Paris VIII et de facultés d’Allemagne, de Tunisie et du Maroc. Aucun des intervenants n’a parlé de non-violence, de Gandhi, ni d’aucun autre non-violent. Ils parlaient tous beaucoup du danger de la violence pour la démocratie, mais la non-violence ne les a pas effleurés. Puisque j’étais le seul étudiant chercheur à participer à ce colloque en Sorbonne, je ne suis pas intervenu par respect pour mes professeurs et au vu de mon faible bagage. Mais à la fin d’un tour de table, j’ai rassemblé mon courage pour demander la parole : j’ai cité Gandhi et sa définition de la démocratie en liaison avec la non-violence. Cela n’a généré strictement aucun intérêt ! Pire encore, pendant la collation, un des professeurs de philosophie m’a fait remarquer que Gandhi n’est pas un philosophe car il n’a jamais travaillé sur les grands fondateurs de la philosophie, qu’il n’a été qu’un simple religieux, ne prononçant surtout que des discours fades regroupés dans quelques livres épars. Je lui ai répondu que l’œuvre complète de Gandhi existe, soit 90 volumes, et qu’un certain philosophe français, Jean-Marie Muller, la possède dans sa bibliothèque !
Lorsque j’ai proposé à l’un de mes encadrants de Paris 8 de travailler sur le livre Le principe de non-violence de Jean-Marie Muller, pour la validation de l’une des matières du DEA, cet universitaire s’est arrêté à la lecture du mot « militant » qui se trouve en dernière page de couverture de cet ouvrage. Il m’a alors directement refusé mon projet de travail, en se justifiant par le fait que l’écrivain est un militant de la non-violence. Rassemblant encore mon courage, je lui ai répondu que c’est parce qu’il est militant qu’il peut écrire de la philosophie, ce que l’auteur lui-même dit dans son ouvrage. Cette réponse a touché ce professeur qui a finalement feuilleté ce livre pour tomber sur les noms de Éric Weil, Simone Weil, Emmanuel Levinas, Hannah Arendt, René Girard et d’autres. Il a alors accepté ma proposition de travail.
Je cite ces divers exemples pour attirer l’attention sur le fait que l’on ne peut pas construire la paix dans notre monde sans aussi introduire la non-violence dans les établissements scolaires et en faculté, et en tant que musulman pratiquant aussi à la mosquée, notamment à l’assemblée du vendredi.
6- Expérience non-violente à la mosquée de Lagny
Durant toute l’année scolaire précédente, l’association de la mosquée de Lagny m’a invité à prêcher à l’assemblée du vendredi. À cette occasion, j’ai établi un programme autour de la non-violence pour mes conférences et prêches, ce qui m’a permis de vivre une autre expérience non-violente différente et agréable.
Avant les prêches de l’assemblée du vendredi, je donnais des conférences de trente à quarante minutes sur la non-violence et la stratégie de la non-violence, puis généralement je continuais sur le même sujet dans les prêches. J’en ai profité pour faire des résumés de plusieurs livres sur la non-violence parus en France avec en tête toute la série de Jean-Marie Muller et ceux de Gene Sharp. Parfois, je lisais même de longs paragraphes qui m’ont touché, directement tirés d’ouvrages comme L’Évangile, ceux de Jean-Marie Muller comme La stratégie de l’action non-violente, Le dictionnaire de la non-violence, et Le courage de la non-violence.
Sincèrement, j’ai trouvé de la résistance de la part de quelques jeunes de Lagny, et j’ai passé des heures et des heures à discuter avec eux après la prière. Mais finalement la majorité des fidèles a été intéressée par la non-violence et ils ont noté les références des livres pour se les procurer. Je tiens à signaler que c’était la première fois que j’osais lire des ouvrages de non-violence de non musulmans au sein de la mosquée et lors du prêche à l’assemblée du vendredi, ce qui n’est pas évident dans notre culture religieuse ; cela a d’ailleurs choqué certaines personnes jusqu’au point d’être interpellé par un fidèle tunisien d’une quarantaine d’années en plein discours pour que je cesse mes propos.
Conclusion : une proposition non-violente
Pour régler le problème du cadre de la mosquée et de l’assemblée du vendredi, afin qu’ils retrouvent leur forme historique de centres d’éducation non-violente, je propose une critique politique et morale pour la démocratisation des mosquées et le renouvellement régulier des membres des associations et des imams par élection. Je propose aussi que le Mouvement pour une Alternative Non-violente, le MAN, ait l’occasion d’organiser des sessions de formation à l’éducation non-violente pour les responsables des associations des mosquées, pour les imams et pour tous les musulmans de la cité, au sein de la mosquée directement.
J’ai remarqué que les musulmans des banlieues de Paris sont assoiffés de connaissances sur la non-violence. Lorsque le philosophe non-violent canadien musulman Khalis Jalabi m’a rendu visite, et plus particulièrement pendant les émeutes de fin 2005, je lui ai organisé des conférences sur la non-violence dans une dizaine de mosquées ; les réactions étaient positives et importantes dans les débats qui suivaient. Avec cette proposition de discussion politique et morale, j’avais envie de mettre en avant le déséquilibre de la démocratie au sein des associations qui président les mosquées et la famine de la culture de non-violence chez les imams, mais également la question de la liberté d’expression que je ressens étouffée dans nos mosquées, tout ceci afin de faire progresser la liberté, l’égalité et la justice, dans une fraternité universelle.
L’éducation à la non-violence comme l’éducation religieuse pour les jeunes Français musulmans commence à la mosquée avec les prêches lors des assemblées du vendredi. Si on réussissait à mettre en place ce type d’éducation en commençant par la démocratisation de ces lieux de cultes qui devraient être ouverts à tout le monde, le comportement des jeunes musulmans changerait car cette part de violence qu’ils ont parfois envie de propager s’arrêterait. Et bien sûr, si l’État français introduisait enfin la non-violence dans les programmes d’éducation scolaire, comme dans la vie sociale et économique, ce changement n’en serait que conforté. Je signe avec une forte certitude que les autres problèmes seraient alors moins compliqués, dans les banlieues comme dans le reste du monde, pour les hommes d’Allah musulmans et le reste des hommes des autres allahs. « C’est vous qui êtes le sel du monde. Mais si ce sel perd son goût, comment pourrait-on le rendre de nouveau salé ? » (Évangile de Matthieu, « Sermon sur la montagne », 5,13).
Catégories : Religion
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