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Ramadan et surconsommation : l’un ne justifie pas l’autre

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Article de Mustapha Moulay publié dans le journal « Le Matin » du 4 novembre 2003

Ramadan est le mois où le monde musulman montre sa différence, dans un rapport spécifique au temps et au corps, par le jeûne du lever au coucher du soleil.

Mais Ramadan est aussi le mois où un certain type de surconsommation bat son plein. Des familles vont jusqu’au surendettement pour satisfaire leurs caprices notamment culinaires. Un phénomène qui se définit essentiellement non par la quantité d’achat mais par le déséquilibre émotif associé à l’acte d’achat pendant ce mois sacré. La surconsommation met donc en cause les dimensions psychologiques du geste d’acheter telles les dimensions émotives du rapport à l’argent et à la consommation.

 

Sur le plan psychologique, l’achat compulsif pendant le mois du jeûne vient d’un déséquilibre entre le rationnel et l’émotif ; l’achat est sans grand lien avec le besoin réel ou l’utilité du produit convoité. L’acheteur se débat face aux pressions des envies. Mais au-delà du lien avec Ramadan, l’achat compulsif est un phénomène complexe. La vie moderne oblige les consommateurs que nous sommes à exercer des choix complexes qui demandent beaucoup plus de vigilance. Plus on aura commis de choix dans le passé, moins on pourra en exercer maintenant car nous aurons hypothéqué notre futur.

 

Dans la société traditionnelle, les personnes bénéficiaient d’un mode d’emploi : la famille, la religion leur dictaient les voies à suivre. Ce moule est dorénavant « brisé ». L’éducation a aidé les individus à s’émanciper et par conséquent ces derniers ont été mis devant la possibilité d’exercer des choix, dans un univers d’abondance, dans une société qui nous donne comme point de repère de notre identité, le pouvoir d’acheter.

 

De manière globale, dans notre société moderne, les produits ne sont plus surtout achetés pour leur utilité, mais souvent pour leur valeur émotive et symbolique. En se définissant aux yeux des autres, les achats sont devenus des objets de communication : acheter chez X ou encore chez Y est devenu synonyme d’une strate sociale bien déterminée et d’un niveau bien défini.

 

Aussi, le développement du crédit à la consommation a amené l’invisibilité de l’argent. Jadis, le consommateur disposait d’une « enveloppe fermée » fixée par le montant du salaire. Avec cet argent qui balisait son pouvoir d’achat, il se procurait ce dont il avait le plus besoin. Aujourd’hui, le consommateur dispose encore de son salaire, mais il a aussi accès à plusieurs « enveloppes ouvertes », ses cartes et sa marge de crédit (découvert). Le total de ce qu’il possède comme de ce qu’il doit est plus difficilement accessible. Il est maintenant normal et courant de ne pas savoir ce que l’on doit exactement. Avoir un crédit est, de nos jours, une obligation sociale et, pour une grande partie de la population, le statut social est conféré par son accès au crédit.

 

D’autre part, en contribuant à faire «rouler » l’économie, le geste de consommer est perçu comme positif. La surconsommation est rarement mesurée dans ses conséquences. La logique de la consommation, c’est de rendre périmé le plus rapidement possible ce qui a été acheté. Le consommateur est donc voué à une continuelle insatisfaction. Dans notre société, celui qui selon l’expression populaire  » calcule  » est vu comme marginal, irrationnel. Notre société valorise la surconsommation et nous sommes continuellement exposés à la valorisation des objets.

 

La surconsommation s’observe lorsqu’une personne développe des habitudes de consommation pour apaiser son mal d’être et combler le vide émotif qui l’habite. Les psychologues s’accordent à dire que « très souvent, ce mal d’être (ennui, colère, frustration) est intimement lié à une faible estime de soi, voire même des sentiments négatifs à l’égard de soi-même. De là l’immense besoin d’être aimé, valorisé, reconnu et même parfois de trouver un sens à sa vie ».

 

Aujourd’hui, s’attaquer à la surconsommation, c’est chercher à identifier et comprendre ce qui nous rend si insatisfait de la vie pour compenser autant dans les achats. En d’autres termes, les individus surconsomment pour ne pas affronter leur mal de vivre, pour fuir l’angoisse et la détresse, pour sublimer leurs frustrations à court terme. Ils cherchent à combler ce mal de vivre dans la possession, mais en bout de ligne, le mal de vivre persiste.

 

En fait, tout individu est à la recherche du bonheur, en quête d’une meilleure vie. La joie de vivre résiderait dans la capacité à combler ses besoins sociaux affectifs dans les relations avec autrui. Cette capacité assurerait un meilleur équilibre émotif et, dans le cas qui nous préoccupe, rendrait les personnes moins sujettes à la surconsommation.

 

Avec l’avènement des grandes surfaces, la promotion des ventes a connu un développement considérable ces dernières années. Pourtant le bien fondé des politiques promotionnelles mises en place par les entreprises est profondément remis en cause. Bien qu’on leur reconnaisse une efficacité réelle sur le court terme, on s’interroge sur leur capacité intrinsèque à augmenter les ventes sur le long terme. Selon la vision dominante, les promotions sont une pure conséquence du jeu concurrentiel et n’ont aucune utilité réelle pour les consommateurs au-delà de leur impact sur les prix.

 

Dès lors, un nombre important d’entreprises cherchent à diminuer la pression promotionnelle en faveur d’une politique de bas prix constants.

 

Les consommateurs évaluent donc les promotions sur la base des économies, certes, mais aussi de la qualité et de la commodité qu’elles procurent. Les promotions offrent également des bénéfices de nature hédonistique : le divertissement, l’exploration de l’environnement d’achat et l’expression de soi. Et c’est parce qu’elles offrent des bénéfices différents, les promotions monétaires sont plus efficaces dans les catégories de produits utilitaires alors que les promotions non monétaires sont plus efficaces dans la catégorie des produits hédonistes. Ceci dit, le stockage promotionnel aboutit à la surconsommation et accélère son rythme grâce à une grande visibilité du produit et à la réduction de son prix d’achat.

 

Comme on peut le constater, la surconsommation est un phénomène plutôt complexe. Ses origines et manifestations peuvent être nombreuses. Le sur-consommateur doit en fait assumer un lourd fardeau de sentiments et d’expériences inexprimés. Car, dans notre société de consommation où l’ensemble des messages véhiculés portent à croire que le bonheur réside essentiellement dans l’avoir plutôt que dans l’être, il est donc difficile pour les sur-consommateurs de prendre le recul nécessaire pour bien comprendre leur réalité. La vigilance est de mise.

 

 


 







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