La doctrine de l’épée
19102007Gandhi
(Young India, 11 août 1920, In La Jeune Inde, 1924, Stock, pp. 107-109)
Il est à peu près impossible, à notre époque, où la force brutale est maîtresse, d’imaginer que personne ne puisse rejeter la loi de suprématie de la force brutale. Aussi je reçois des lettres anonymes me conseillant de ne pas entraver la marche de la non coopération même s’il arrivait que la violence populaire éclatât. Certains viennent me trouver, et présumant qu’en secret je dois préparer une action violente, me demandent quand viendra l’heureux moment de déclarer ouvertement la violence. Ils m’assurent que les anglais ne plieront jamais que devant la violence ouverte ou secrète.
Puisque la doctrine de l’épée a pour la majorité de l’humanité une telle importance, que le succès de la non coopération dépend avant tout de l’absence de violence pendant la durée du mouvement et que ma manière de voir à ce sujet affecte la conduite d’un grand nombre de gens, je tiens à l’expliquer aussi clairement que possible.
Je crois en vérité que s’il fallait absolument faire un choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence. Par exemple, lorsque mon fils aîné m’a demandé ce qu’il aurait du faire s’il avait été avec moi en 1908, quand je fus victime d’un attentat, si son devoir eût été de fuir, et de me laisser tuer ou d’employer la force pour me défendre, je lui ai répondu que son devoir aurait été de me défendre, même s’il lui avait fallu employer la violence. C’est pourquoi je suis d’avis que ceux qui croient à la violence apprennent le maniement des armes. Je préférerais assurément que l’Inde eût recours aux armes pour défendre son honneur plutôt que de la voir devenir ou rester lâchement l’impuissant témoin de son déshonneur.
Mais je crois que la non violence est infiniment supérieure à la violence : pardonner est plus viril que punir. Le pardon est la parure du soldat. Mais s’abstenir n’est pardonner que s’il y a possibilité de punir : l’abstention n’a aucun sens si elle provient de l’impuissance. On ne peut guère dire que la souris pardonne au chat lorsqu’elle se laisse croquer par lui. Je comprends par conséquent le sentiment de ceux qui réclament le châtiment mérité par le général Dyer et par ses pareils. Ils le déchireraient s’ils le pouvaient. Mais je ne crois pas que l’Inde soit impuissante : je ne crois pas être moi même une créature impuissante ; seulement, je tiens à employer plus utilement les forces de la nation et les miennes.
Qu’on ne se méprenne pas sur mes paroles ! La force ne dépend pas de la capacité physique ; elle procède d’une volonté indomptable… Un pardon net serait la reconnaissance nette de notre force. Un pardon éclairé ferait monter en nous une vague formidable de force qui rendrait impossible à un Dyer ou à un Johnson d’accumuler les outrages sur notre malheureux pays… L’inde aura tout avantage à renoncer au droit qu’elle a de punir. Nous avons de meilleures choses à faire, une mission plus noble à prêcher au monde.
Je ne suis pas un visionnaire. Je prétends être un idéaliste pratique. Le culte de la non violence n’est pas uniquement pour les Rishis (sages) et les saints. Il est aussi pour le vulgaire. La non violence est la loi de l’espèce humaine comme la violence est celle de la brute. L’esprit sommeille chez la brute et celle-ci ne connaît d’autre loi que la force physique. La dignité de l’homme réclame de lui l’obéissance à une loi supérieure à la puissance de l’esprit.
Je me suis donc permis de présenter à l’Inde l’antique loi du sacrifice de soi. Car le Satyâgraha et ses rejetons : la non coopération et la résistance civile, ne sont que des noms nouveaux pour la loi de la souffrance. Les Rishis qui découvrirent la loi de la non violence au milieu de la violence furent de plus grands génies que Newton. Ils furent de plus grands guerriers que Wellington. S’étant eux même servi d’armes ils en avaient compris l’inutilité et enseignèrent à un monde fatigué que le salut ne se trouvait pas dans la violence mais dans la non violence.
La non violence sous sa forme dynamique veut dire souffrance consciente. Ceci ne veut point dire que nous devions nous soumettre humblement à la volonté de celui qui fait le mal mais que notre âme entière doit résister à la volonté du tyran…
En attendant je supplie ceux qui doutent de moi de ne pas troubler la marche paisible qui vient de commencer, par l’incitation à la violence, en s’imaginant que je la désire. Je hais le secret comme un crime. Qu’ils tentent l’épreuve de la non coopération et ils verront que je n’ai pas fait la moindre restriction mentale.
Source : http://www.non-violence-mp.org
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