Mosquée dans la Cité : réalités et espoirs (1)
25112007
« Vers une mosquée Humaine ! »
Par Mohamed LOUIZI
Qu’est-ce qu’une «Mosquée » ?
En 1550, le vocable « mosquée » fait son apparition dans la langue française. Il est un emprunt à l’italien « moscheta », par le truchement de l’espagnol « mezquita », venant lui même de l’arabe « masjid : مسجد », lui-même emprunté à l’araméen « masged », mot apparu au septième siècle signifiant au départ « stèle » ou « pilier sacré » . Ce même mot a été trouvé plus tard dans la langue nabatéenne – qui est une modification locale de l’araméen écrite depuis le 3ème siècle en alphabet grec – avec la signification d’ « endroit de culte ». (1)
Le Coran utilise 92 fois les dérivées linguistiques de la racine arabe « سجد (s, j, d) » ; que ce soit pour parler de l’acte de « se prosterner durant la prière », de « se mettre à genoux » et de « se dévouer au culte de l’Unique ». D’autres dérivées nominales sont utilisées pour désigner un ou des endroits bien particuliers, là où on se prosterne « Masjid », « Massajid », « Al-Masjid al-Haram » – désignant la Mosquée sacrée située à la Mecque. Le Coran utilise aussi, une dizaine de fois, des termes comme « Baytou’llah= maison de Dieu »,… pour désigner, métaphoriquement, ce que l’on nomme aujourd’hui « mosquée ».
Quant aux définitions de ce vocable, elles sont assez nombreuses et très nuancées, reflétant, de façon générale, les différents usages que l’on a fait de la mosquée depuis 14 siècles, un peu partout dans le monde. Certaines définitions désignent par le terme « mosquée » : « lieu de culte ou de rassemblement des musulmans pour les prières communes », « édifice servant au culte musulman », « lieu de culte mais aussi d’apprentissage du Coran », « lieu où l’on adore Dieu », « lieu de recueillement », « lieu essentiellement dédié à la dévotion mais il peut servir aussi à de multiple fonctions »… D’autres dénombrent des fonctions d’ordre social, éducatif, culturel, juridique, politique, militaire, …etc.
En Europe, on a tendance à employer « centre islamique » – en arabe markaz : مركز – pour désigner la « mosquée », en fonction des activités diverses et variées que propose l’édifice à ses fidèles : Prière, veillées spirituelles, célébration des fêtes et des mariages, prière pour les défunts, conférences-débats, école coranique, cours d’arabe, alphabétisation, rupture du jeûne, préparation du pèlerinage, établissement scolaire privé, rayonnement sportif, collecte d’argent pour le financement des projets communautaires, pour des activités caritatives et/ou de solidarité politique, contrôle de la viande dite Halal… Pour certains dirigeants, la mosquée est aussi le lieu où « culte » et « affaires » peuvent faire bon ménage !
La mosquée, en Europe comme ailleurs, dépasse bien souvent sa fonction cultuelle primitive pour s’étendre à bien d’autres fonctions et champs d’actions qui peuvent, à un moment donné et dans certaines circonstances, parasiter son rôle et se révéler nuisibles pour sa mission première, telle qu’elle est définit dans le Coran.
De la Genèse
Les traditions religieuses, presque toutes, aménagent des espaces dédiés à l’exercice cultuel. Le Coran considère égalitairement ces lieux comme étant des endroits où on évoque le nom du Seigneur : « Si Dieu ne repoussait pas certains peuples par d’autres, des ermitages auraient été démolis, ainsi que des synagogues, des oratoires et des mosquées où le nom de Dieu est souvent invoqué » (2). En effet, se rappeler de Dieu et invoquer son Nom dans une démarche spirituelle et méditative représente, théoriquement parlant, la raison d’être première de ces lieux, et ce, depuis l’aube de leurs existences sur Terre.
Le Coran évoque l’histoire du premier lieu de culte qui a été construit pour exalter le Divin. A son sujet, il dit : « En vérité, le premier Bayt – maison ou temple – qui ait été fondé à l’intention des humains est bien celui de la Mecque, qui est à la fois une bénédiction et une bonne direction pour l’Univers » (3). Il s’agit, dans ce signe coranique, de la Ka’ba située à la Mecque en Arabie Saoudite. Cette maison, nous informe le Coran, a été construite par le prophète Abraham aidé par son fils Ismaël : «Et pendant qu’Abraham et Ismaël élevaient les assises de la Ka’ba, ils disaient : Seigneur ! Daigne accepter de nous ces ouvrages ! Tu es l’Audient, Tu es l’Omniscient ! » (4).
La Ka’ba était définie, dès lors, tel un lieu de dévotion cultuelle, de rassemblement et de paix : «C’est alors que Nous fîmes du temple de la Ka’ba un lieu de retraite et un havre de paix pour les humains, en leur recommandant de faire de la station d’Abraham un lieu de prière » (5), « Terre de signes sacrés, c’est aussi l’Oratoire d’Abraham. Quiconque y pénètre sera en sécurité. En faire le pèlerinage est un devoir envers Dieu pour les humains qui en ont la possibilité » (6), « Dieu a érigé la Ka’ba en Maison sacrée et en lieu de rassemblement pour les humains… » (7).
Le Coran exprime, à travers l’évocation de ce premier « prototype », la raison d’être capitale de tout lieu de culte et en explicite les fonctions substantielles. Ce prototype était dédié aux retraites spirituelles ; à la prière et au rassemblement. Il était aussi considéré tel un havre de paix et un asile de sûreté ; ouvert et offert à tous les humains, sans distinction aucune ! Il ne s’agissait surtout pas de lieu fermé, sectaire ou communautariste où seulement les abrahamiques, de l’époque, pouvaient y accéder et les autres s’y y voyaient pourchassés ! La Ka’ba est, de ce point vue, l’expression ancrée d’une ambition abrahamique ancestrale visant à : apaiser ; rapprocher ; pacifier ; sécuriser et rassembler les humains – je dis bien les humains – les uns les autres, depuis plus de 4000 ans !
Apartheid religieux ?
Force est de constater que ce même « spécimen » cultuel, ne reflète plus, de nos jours, sous le régime wahhabite sunnite et pétrodollar, ce qu’il devait incarner et corroborer ; à savoir : l’accueil des humains avides de paix, de sérénité et de prière ensemble – comme le suggère le Coran, à juste titre, lorsqu’il utilise un terme arabe typique, original et universel : An’Nasse الناس !
Seuls les « musulmans », adjugés ainsi par des religieux, conformément aux critères formels annexés à la théorie dogmatique dite « Les cinq piliers de l’islam », peuvent s’y rendre. Même si, certains parmi eux, ne croient pas ou ne croient qu’à moitié à la paix entre humains et entre peuple. Paix comme étant le synonyme et la vocation providentielle de l’islam au-delà du formalisme rituel subsidiaire et du juridisme zélé de certains mollahs.
Quant aux autres – outre les païens/polythéistes – jugés « non musulmans » – juifs, chrétiens et adeptes d’autres traditions religieuses – par les apologistes de cette même théorie, ceux-là ne peuvent – sauf quelques rares exceptions – y accéder ni même espérer y accéder un jour. Et ce, tant que cette restriction cruelle et inconvenante persiste tel un sixième pilier de cet islam profondément dénaturé. Et qui est devenu, à cause de l’exclusivisme de ces zélateurs : sectaire, abject, chauvin et renfermé sur lui-même. Un islam qui a manifestement perdu, au fil des siècles, sa mission pacifique, universelle et sa vocation abrahamique millénaire consistant à offrir, au sein de ses lieux de culte, l’hospitalité aux humains au-delà des obédiences religieuses des uns et des autres.
J’ose dire que s’il y a aujourd’hui un lieu dont l’accès est soumis à des restrictions différenciées et discriminatoires sur la base d’appartenance religieuse, ça serait, malheureusement, la Mosquée de la Mecque et également la majorité des mosquées d’ici et d’ailleurs.
En fait, Abraham a conçu la Ka’ba tel un cap de paix, cubique par sa forme géométrique, ouvert sur les quatre directions géographiques et par-dessus tout, sans aucune porte ! Le régime saoudien béni des mollahs l’a verrouillé – en plus des mesures consulaires ségrégationnistes – avec 79 portes et autant de portiers !
Une règle ?
Ceci dit, l’interdiction aux « non musulmans » d’accéder à la Ka’ba et aussi à bien d’autres mosquées à travers le monde, se fait au nom de l’interprétation idéologique d’un texte coranique arraché et séparé, maladroitement, de son contexte linguistique en faisant abstraction de son cadre historique d’il y a quatorze siècles, où il est stipulé, je cite : « Ô vous qui croyait ! Les païens sont une véritable souillure. Interdisez-leur donc, à l’expiration de cette année – visiblement l’an 9 de l’hégire – l’accès à la Mosquée sacrée – la Ka’ba ! » (8).
En effet, ce passage qui, dans l’apparence, peut être tenu pour fondateur d’une règle juridique à caractère générale, absolue et intemporelle – réactualisée pudiquement par l’autorité religieuse sunnite alliée du régime saoudien pétrodollar – l’est moins une fois réintégré dans son contexte linguistique et resitué dans son cadre historique. De toute évidence, cela nécessite une étude approfondie et détaillée.
Cependant, une simple relecture du chapitre 9 du Coran contenant ce texte permet, par-delà le ton et le contenu incontestablement dur de ce chapitre, de découvrir qu’il s’agissait d’une mesure purement militaire à l’encontre « des païens guerriers » de l’époque et non d’une loi à caractère indélébile contre les païens dans l’absolu, et encore moins, contre les « Gens de Livre » – juifs et chrétiens entre autres – qui ne sont pas considérés par le Coran, rappelons-le, comme des païens.
Cette mesure militaire survenant dans un contexte historique de guerre, un à deux ans avant la mort du prophète, était justifiée comme étant la réponse à ce que ces « païens guerriers » ont engagé, durant des années auparavant, contre le prophète et contre ses compagnons et ses alliés.
Ils ont torturé, assurément, parfois jusqu’à la mort, celles et ceux qui ont répondu librement à l’appel du messager. Ils les ont privé de leur droit élémentaire de pratiquer et de célébrer leur culte en toute liberté dans les voisinages de la Ka’ba : «Que dire alors de celui qui s’emploie à empêcher un fidèle d’accomplir sa prière ? » (9).
Ils les ont pourchassé ailleurs, sans état d’âme, en les forçant à l’exil : vers l’Abyssinie – terre d’accueil chrétienne en Afrique – dans un premier temps et vers Médine, dans un deuxième temps, de façon voulue définitive et durable. Et même en exil, ils ont essayé, à maintes reprises, de s’en emparer pour les anéantir irrévocablement. Et par surcroît, ils ont dirigé plusieurs offensives acharnées contre Médine et contre ses alliés…etc. Et ce, jusqu’au retour de Mohammad vers sa tribu natale. Le Coran résume de telles exactions effectives en disant : « Comment ne pas combattre des gens qui ont violé leurs serments et qui ont cherché à expulser le prophète ? N’est-ce pas eux qui ont déclenché les hostilités ? Les craignez-vous ?… » (10), « Ô vous qui croyez ! Ne prenez point Mes ennemis et les vôtres pour alliés ! Vous leur témoignez de l’amitié alors qu’ils ont renié la vérité qui vous a été révélée en expulsant le prophète et vous-mêmes pour avoir cru en Dieu (…) Mais eux, si jamais ils réussissent à vous avoir à leur merci, ils ne manqueront pas de vous traiter en ennemis, de se livrer sur vous à des voies de fait et de vous accabler d’injures, dans leur vif désir de vous faire abjurer votre foi » (11) …etc.
Le retour du prophète vers sa tribu natale – survenu après huit ans passés dans l’exil – signifiait surtout le retour du calme et de la paix au sein et aux alentours de la cité sacrée. Mohammad pardonna les « païens » qui ont affiché – même de mauvaise foi – leur volonté de mettre un terme à toute conspiration venimeuse contre lui et contre ses compagnons. Et ce, en présence de preuves et faits accablants pouvant les condamner à mort, au vu des us et coutumes de l’époque. Aucune sentence capitale n’a été prononcée par le prophète à leur égard.
Quant aux autres « païens » : bourreaux, meurtriers, tortionnaires, guerriers, violents,… qui demeuraient, dorénavant, déterminés et résolus à poursuivre une guerre sans merci contre le prophète, ceux-là se voyaient interdit par ce décret à l’issu d’un délais de quatre mois – accordé pour leur permettre de décider librement de leur sort – d’accès à la Mecque et à sa Mosquée sacrée.
Il n’était nullement question, à travers cette mesure, de faire de la Mecque une zone d’apartheid « religieux », discriminant les humains selon leurs appartenances, leurs convictions et leurs croyances. Au contraire, cette mesure a permis à la Mecque de regagner sa vocation primitive afin que les humains qui y cherchent le salut puissent le retrouver, là quelque part, au fond d’eux-mêmes lorsqu’ils méditeront la Ka’ba immémoriale ; apostrophant les intelligences et rappelant au multiple le sens pacifique de la foi en l’Unique!
Mohammad se présentait, dans ce tohu-bohu désenchanté, décrit en partie ci-dessus, que se soit au sein de l’Arabie même ou chez les empires voisins – Byzantin, Perse,… – tel une espérance de paix et une réincarnation de l’islam dans sa version abrahamique, accueillante, ouverte, humaine, plurielle et pacifique.
Certes, il a composé – le Coran peut en témoigner – avec les conjonctures sociales, politiques et militaires de son temps, parfois même en adoptant irrécusablement des choix défensifs violents – compréhensibles en cette période de l’histoire ancienne – lui permettant d’exister, tout simplement. Sans pour autant tourner le dos aux perspectives dont il était l’initiateur pour une paix authentique et perpétuelle. Il n’a jamais abjuré, même au moment des altercations, ses principes, son éthique, et son idéal humain transcendant l’espace et le temps. Le Coran peut en témoigner pareillement!
Son message, qui s’inscrivait dans la continuité de celui de Jésus, de Moïse et d’Abraham est de nature à vouloir revivifier la justice, l’équité, la paix, le vivre ensemble, le respect de la diversité,… en garantissant aux humains, quels qu’ils soient, la liberté de choix, la liberté de conscience, la liberté de déplacement, la liberté d’entrer et de sortir, … et la liberté de l’expression de l’ensemble de ces libertés en l’absence de toutes contraintes physiques et/ou morales. La Ka’ba a retrouvé enfin ses valeurs innées grâce au retour bienveillant et non triomphaliste de Mohammad à la Mecque.
Elle a reconquit, en ce moment, sa sacralité originelle du temps d’Abraham. Une sacralité qui n’est rien d’autre que la sacralité même des humains qui s’y rendent volontairement. D’ailleurs, c’est au voisinage de la Ka’ba que, depuis quarante siècles, Abraham y a proclamé la cessation de sacrifier l’humain sur un quelconque autel, y compris sur celui supposé de Dieu. L’humain n’a pas été crée pour qu’il soit sacrifié, tué ou torturé !
Abraham avait compris et pris conscience de cette leçon depuis l’aube des temps. Une leçon que de nombreux religieux contemporains n’ont pas encore saisie. Car, tout en appelant à observer la tradition d’Abraham pendant la « fête du sacrifice », en égorgeant annuellement un mouton, ces prosélytes se désintéressent intégralement du sens pacifique et de l’âme profonde du geste abrahamique. Etant donné qu’ils conjuguent parfaitement, le rappel du formalisme folklorique de la « fête du sacrifice » et l’appel à la poursuite de la résistance violente, sacrifiant du coup, des humains – enfants, femmes et hommes – sur les autels du nationalisme, du sunnisme, du chiisme, du Jihadisme, du communautarisme,…
Des exceptions !
Toujours, concernant cette mesure militaire, la sourate 9 du Coran fait une exception révélatrice et significative en disant : « Et il sera proclamé, d’ordre de Dieu et de son Messager, à l’adresse des humains, le jour du grand pèlerinage, que Dieu et son Messager sont déliés de tout engagement vis-à-vis des païens… à l’exception des païens avec lesquels vous avez conclu un pacte qu’ils ont toujours respecté, sans jamais soutenir un mouvement dirigé contre vous » (12), « Comment pourrait-il y avoir un pacte liant Dieu et son messager aux païens, excepté celui que vous aviez conclu avec certains d’entre eux auprès de la Mosquée sacrée ? Soyez donc loyaux avec ceux-ci tant qu’ils le seront avec vous. Dieu aime ceux qui sont de bonne foi » (13)…
C’est pendant ce jour de pèlerinage rassemblant des humains – et non seulement des « musulmans » – que cet arrêté militaire se fut proclamé ; en établissant une nette distinction entre les païens guerriers et les autres païens non guerriers. Évitant de la sorte, toute confusion potentielle dans la mise en pratique de ce décret, empêchant pêle-mêle les humains de se rendre à ce lieu.
Par ailleurs, il faut rappeler qu’au sein même de la Mecque, des chrétiens – qui ne sont pas des païens aux yeux du Coran – y vivaient pendant des siècles avant l’avènement de Mohammad. Des biographes avouent la présence d’une communauté chrétienne au sein de la cité sacrée. Tariq Ramadan, en se basant sur les biographies classiques, mentionne notamment cette présence, lorsqu’il compare les retraites solitaires entamées par Mohammad à la veille de la révélation à celles des chrétiens de la Mecque : « (…) C’est à cette époque qu’il [Mohammad] commença à pratiquer des retraites, comme le faisaient déjà les hunafã et les chrétiens de la Mecque » (14)!
Des biographes racontaient que le cousin de Khadîdja – femme du prophète – était chrétien. Et c’est vers lui qu’elle est partie se renseigner lorsque Mohammad reçu la première révélation. Cet homme qui s’appelait Waraqa Ibn Nawfal avait prédit, à juste titre, à Mohammad un futur proche rythmé par des épreuves et des souffrances, en se basant sur l’histoire des prophéties précédentes. Il a dit au prophète : « Il est certain qu’on te traitera de menteur, que tu seras maltraité, que l’on te bannira, que l’on te fera la guerre. Si je vis encore ce jour-là, Dieu sait que je m’engagerai à tes côtés pour la victoire de Sa cause ! » (15).
Néanmoins, le mutisme des biographes empêchent de savoir exactement quelles étaient les conditions de vie et le sort de ces chrétiens avant, au moment et après la proclamation de ce décret destiné aux païens guerriers. D’autres se servaient de l’ambiguïté quant à cette question. D’un côté, on nous dit que les chrétiens ne sont pas des païens et par conséquent, ils n’étaient pas concernés par cette interdiction d’accéder à la Ka’ba et de demeurer à la Mecque. De l’autre côté, on nous dit que depuis cette interdiction la Ka’ba est devenue entièrement « musulmane » et nulle « non musulman » ne peut y pénétrer. A l’image de ce qu’a écrit Tariq Ramadan, je cite:
«Le message était ferme et établissait de surcroît que la Ka’ba, la Mosquée sacrée, était désormais réservée au culte de l’Unique et que seuls les musulmans pouvaient y pénétrer. C’est effectivement en relation au sanctuaire de la Ka’ba et à son périmètre que fut majoritairement compris le verset explicitant cette prescription : « Seuls ont le droit de fréquenter les mosquées de Dieu ceux qui croient en Dieu et au jugement dernier, qui accomplissent la prière et s’acquittent de la zakãt et n’ont de crainte révérencielle qu’envers leur Seigneur. Ceux-là ont une chance d’obtenir le salut » (16). Le prophète avait laissé entrer les chrétiens de Najrãn dans sa mosquée et la majorité des compagnons, et après eux des savants, ont compris que l’interdiction de pénétrer dans la mosquée concernait exclusivement le périmètre sacré de la Mecque et non les autres mosquées, qui pouvaient accueillir les femmes et les hommes qui n’étaient pas de confession musulmane… » (17)
Ce passage illustre parfaitement le mutisme, la prudence et l’ambiguïté quant au traitement de ce sujet relativement sensible. Des interrogations, vu le traitement expéditif de ce sujet, restent en suspension:
Premièrement, Ramadan donne l’impression que « païens » et « chrétiens » veulent dire la même chose puisque l’interdiction s’adressait nommément aux premiers – guerriers – et non aux seconds. Pourquoi donc traiter le cas des chrétiens ?
Deuxièmement, il cite le verset 18 de la sourate 9 qui explique brièvement les motivations d’interdire aux païens d’entretenir, et non de fréquenter, les mosquées – comme ils le faisaient auparavant. Il ne prend pas le soin, non plus, d’examiner la justesse de la traduction des mots de ce passage coranique puisqu’une mauvaise traduction conduit nécessairement à de mauvaises conclusions : « fréquenter » n’est pas le synonyme d’ « entretenir » ! Le Coran, dans ce passage, interdit aux païens d’avoir la charge d’entretien des mosquées et ne leurs interdit pas de les fréquenter!
Troisièmement, il ne cite pas le verset 17 qui explicite les motivations d’une telle interdiction : « Il n’appartient pas aux païens d’entretenir les mosquées de Dieu, quand ils sont eux-mêmes les témoins à charge de leur propre dénégation, car les œuvres de ces gens-là sont vaines et c’est le Feu qui constituera leur demeure éternelle. Seuls ont le droit d’entretenir les mosquées de Dieu ceux qui croient en Dieu et au jugement dernier… » (18). Là aussi, il n’est pas question des « chrétiens » ! Que dire donc du passage coranique : « Certes, ceux qui ont cru, ceux qui ont adopté le judaïsme, les chrétiens, quiconque parmi eux a cru en Dieu, au jugement dernier et a pratiqué le bien trouvera sa récompense auprès de son Seigneur et ne ressentira ni crainte ni chagrin » (19). Ceux-là ont-ils le droit ou non de se rendre à la Mosquée sacrée ? Et si le comportement du prophète avec les « chrétiens » de Najrãn était la règle partout sans exception, même au sein de la Ka’ba?
Quatrièmement, il parle à la fois de la Ka’ba et du sanctuaire sacré de la Mecque sans préciser ce que cela veut dire au juste. Car le sanctuaire de la Ka’ba de l’époque n’avait pas la même délimitation architecturale que l’on connaît aujourd’hui. A cette époque, il paraît qu’il n’y avait, visiblement, que la construction cubique au centre, la station de Abraham, une esplanade sablée et quelques centaines de maisons éparpillées tout autour, sans portes ni portiers.
Cinquièmement, il ne dit pas si cette interdiction restera toujours d’actualité et de rigueur. La Mosquée sacrée ne doit-elle pas, enfin, retrouver son âme humaine et s’ouvrir pour accueillir toute personne sans discrimination?
L’analyse de Ramadan reste à double entente, étant donné qu’il a publié auparavant un texte intitulé «La Mosquée dans l’espace européen » dans lequel il dit, je cite : « En Europe, comme ailleurs, la mosquée doit d’abord jouer ce rôle : dire, exprimer et rappeler la présence du divin dans le cœur de chacun, au cœur de la cité… Ouverte à tous les cœurs, elle doit être également ouverte sur le monde et rayonner sur l’environnement… Cet objectif ne peut être atteint si les mosquées sont pensées comme des lieux fermés, destinés uniquement à nous protéger du monde d’alentour, de ses blessures et/ou de ses errances. Les mosquées-lumière deviennent alors des mosquées-prison : elles devaient être les témoins, elles sont devenues les suspectes ; elles devaient dire la foi et l’amour, elles finissent par exprimer le rejet et l’enfermement… » (20).
En effet, la Mosquée sacrée n’est-elle pas la plus titanesque et monumentale mosquée-prison ? Ne faut-il pas commencer d’abord par restaurer ce « prototype » pour qu’il puisse retrouver ses valeurs natives d’antan et donner l’exemple aux autres?…
Humaniser nos mosquées !
Une fois de plus, le message de Mohammad a été pris en otage par des interprétations idéologiques et ségrégatives. Celles-ci, au lieu de faire de la Mecque, de sa Mosquée et de l’ensemble des mosquées de la planète – comme le souhaite Ramadan – des lieux exemplaires de métissage et de retrouvaille entre humains, pour apprendre à vivre ensemble à travers la prière commune. Elles en ont fait des zones protégées et closes dont l’accessibilité est limitée exclusivement à ceux qui s’identifient à la théorie des « cinq piliers de l’islam » même s’ils sont violents, tortionnaires et guerriers!
Finalement, s’il y a une première mesure urgente à prendre et d’en amorcer le début dès que possible, ça serait, à mon avis, la redéfinition de ce qu’est un lieu de culte « musulman », de ce que doit être, de ce que sont ses valeurs et ses fonctions,… ici comme ailleurs.
J’entends par redéfinition, une réévaluation de toute la littérature jurisprudentielle anachronique structurante des lieux de culte « musulman » et qui demeure, sans désemparer, la référence inéluctable pour penser, organiser, gérer et animer une mosquée. Et ce, en adéquation avec les variables des cités – qui se transforment sans cesse passant d’une singularité plurielle à une autre – et aussi en fonction des espérances portées à demain. Il ne s’agit nullement de mener une réflexion inopportune et en rupture avec les aspirations profondes des fidèles, loin de là, il s’agit simplement d’associer tout le monde, jeunes et grands, femmes et hommes, à ce travail réflexif précédent toute construction des murs en redonnant un sens humain cher à la mosquée, partout où il y en a une. Le retour à l’esprit basique de la première mosquée de l’histoire s’impose inévitablement.
Le prophète a fait cette réévaluation nécessaire à son époque, au moment même de son arrivé à Médine – son exil. Il a donné à la mosquée qu’il a construit ce sens « humain » que même la mosquée de la Mecque, malgré son ancienneté et sa sacralité, n’avait plus sous l’oligarchie mecquoise. Et c’est ce sens là qu’il faut, peut être, redécouvrir une nouvelle fois.
Un sens qui s’opposera naturellement à toutes les tendances discriminatoires nourries, en partie, par des théories idéologiques héritées et/ou importées d’ailleurs. Un sens que certains lieux de culte semblent omettre ou perdre de vue en s’acharnant à imiter et à reproduire à l’identique un modèle archaïque, discriminatoire et sans aucune valeur ajoutée ni pour les humains qui s’y rendent habituellement ni pour les autres humains qui sont privés de ce droit.
Enfin, si la mosquée a pour mission, au sein de la cité, de consolider « l’humain » dans l’humain, elle ne pourra le faire qu’en étant elle-même « humaine » corps et âme !
A suivre très prochainement !
Notes :
1- Cf. (http://www.cnrtl.fr/etymologie/)
2- Coran, 22, 40
3- Coran, 3, 96
4- Coran, 2, 127
5- Coran, 2, 125
6- Coran, 3, 97
7- Coran, 5, 97
8- Coran, 9, 28
9- Coran, 96, 10-11
10- Coran, 9, 13
11- Coran, 60, 1-2
12- Coran, 9, 3-4
13- Coran, 9, 7
14- Tariq Ramadan, Muhammad – Vie de prophète, Presse de Châtelet, Paris, 2006, p.48
15- Tariq Ramadan, op.cit., p.53
16- Coran, 9, 18
17- Tariq Ramadan, op.cit., p.289-290
18- Coran, 9, 17-18
19- Coran, 2, 62
20- Tariq Ramadan, « La Mosquée dans l’espace européen », dans H. El Ghissassi (dir.), La Mosquée dans la cité, Editions la Médina, 2001
Catégories : Mosquee dans la cite
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