L’enseignement critique de l’islam*

23 12 2007

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Chronique de Cynthia Fleury

(L’Humanité 2003)

L’une des difficultés dans l’acte de transmettre et d’enseigner, c’est la non-complaisance, le maintien de l’esprit critique par-delà le goût pour l’histoire et la diversité culturelle. On croit souvent que, pour susciter l’intérêt de quelqu’un, il faut idéaliser – du moins agrémenter – ce qu’on cherche à lui enseigner, comme s’il s’agissait d’obtenir son adhésion tacite. Pourtant,  » enseigner « , ce n’est pas  » convaincre  » et celui qui enseigne doit se garder de superposer à l’apprentissage qu’il transmet des formes d’empathie trop mystificatrices. Faire connaître, c’est parfois faire  » reconnaître « , parfois faire  » aimer « , mais ce n’est pas cautionner. En d’autres termes, c’est d’abord l’occasion de juger, d’exercer son esprit critique, et toujours celle d’offrir à celui à qui l’on enseigne l’opportunité de reformuler – en réaction à ce qui vient d’être appris – ce qu’il est, ses valeurs, ses choix, sa compréhension du monde. La critique ne dessert en rien l’acte et le contenu de la transmission : bien au contraire, elle actualise son propos, le  » rénove « , le rend pertinent ici et maintenant.

 

De nos jours, l’un des domaines les plus difficiles à enseigner est très certainement le fait islamique, avec tout ce qu’il sous-tend, à savoir l’aspect civilisationnel, culturel, philosophique, artistique, religieux ou encore politique. Comment rendre compte, en effet, de tous ses points de vue sans créer d’équivalence entre eux ? Comment accréditer – par exemple – la richesse d’une réflexion philosophique islamique sans  » blanchir  » les soubassements idéologiques et fantasmatiques qu’elle suppose ?

 

Une solution simple : multiplier les lectures, croiser les sources, ne jamais s’en remettre à une seule voix. Récemment, quatre ouvrages ont mêlé leurs dires pour initier notre apprentissage critique : l’Islam en crise, de Bernard Lewis (1), le Coran, autre lecture, autre traduction de Youssef Seddik (2), l’Islam des interdits, d’Anne-Marie Delcambre (3), et, enfin, À la découverte de la littérature arabe du VIe siècle à nos jours, véritable régal d’érudition, de Heidi Toelle et Katia Zakharia (4). C’est donc en rappelant que l’intégrisme est au cour de l’islam – parce qu’il en est sa  » lecture littérale, globale et totale  » – que l’on sera amené à apprécier sans naïveté l’ampleur de la pensée et de la littérature islamiques. Delcambre se garde bien des falsifications opérées par la vision christianisée de l’islam : ce dernier n’a rien d’un évangile, et Mahomet, chef guerrier, rien d’un Jésus. Aujourd’hui encore,  » en 2003, l’université islamique d’Al-Azhar, en Égypte, tient un discours de guerre. Cette prestigieuse institution a fait paraître une fatwa énonçant la nécessité pour la nation musulmane de posséder des armes nucléaires « , pour que les pays arabes puissent  » garder la tête haute et défendre leur honneur « . Qu’il s’agisse de la guerre, du terrorisme, de l’assassinat politique, de la femme, des juifs, des chrétiens, des images, de la science, de la sexualité, de l’argent, des droits de l’homme, l’auteur montre comment, à tous ces niveaux, le texte coranique est archaïsant, inégalitaire, prosélyte et violent. Des thèses qui confortent l’idée, selon Bernard Lewis, d’un échec de la modernité en islam et d’une doctrine du djihad, toutes voiles dehors, des premières razzias (au temps de l’Hégire) à l’éclipse contemporaine du panarabisme, auquel a succédé la figure du kamikaze, sorte d’avatar ultime du martyr.

 

Alors c’est vrai qu’il faut savoir jongler intellectuellement – mais pas moralement – lorsque l’on se remémore, d’une part, avec Delcambre, l’égorgement des entraîneuses d’un bar, à sept cents kilomètres d’Alger, en juillet 2001, par des islamistes et, d’autre part, avec Seddik, la découverte du fond hellénique de la langue arabe ou, avec Toelle et Zakharia, l’histoire  » féconde et complexe de la tradition grammaticale arabe au Xe siècle « , ou toute autre forme de circulation orale, de prose rythmée, de récits d’itinérance, de fables satiriques, soit tout ce qui fait le foisonnement de l’adab.

 

Il faut sans hésitation, comme nous y invitent ces auteurs, se lancer dans une investigation réformatrice de l’islam, faire la lumière sur ses zones d’ombre, déverrouiller les exégèses autoritaires qui piègent la lisibilité du texte et lutter contre l’inertie fondamentaliste qui oblige beaucoup de musulmans à assumer une schizophrénie impossible.

 

Notes :

 

(*) Source : http://www.humanite.fr/

 

(1) Gallimard, 2003.

 

(2) Éditions de l’Aube, 2002.

 

(3) Desclée de Brouwer, 2003.

 

(4) Flammarion, 2003.

 


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Une réponse à “L’enseignement critique de l’islam*”

  1. 23 12 2007
    mlouizi (17:31:22) :

    Bonjour à tous,

    Ce texte que « j’ai choisi pour vous ! » ne reflète pas, dans son entièreté, mes opinions. Il tente néanmoins de relancer le débat sur le fait religieux et islamique en particulier. Je trouve qu’il fait une lecture assez juste de ce que sont les aspects, plus ou moins complexes, de cet islam. Il définit dès le départ ce que veut dire la « transmission » et ce que doivent être les conditions intellectuelles d’une transmission critique et intelligible.

    Je trouve que son idée de faire croiser les lectures et multiplier les sources requiert une importance majeure permettant à chacun d’esquisser sa propre lecture tout en évitant de tomber dans les formules réductrices et simplistes du genre: « …le texte coranique est archaïsant, inégalitaire, prosélyte et violent »… etc.

    Il est question aussi des rôles que jouent des autorités religieuses s’auto-proclamant de l’islam comme Al-Azhar. L’amalgame est ainsi faite entre l’islam et l’institustion. Sur ce point je trouve que la chroniqueuse n’a pas pris la peine d’entreprendre une différenciation fondamentale entre texte et institution, entre texte et histoire…

    Efin, j’estime que le dernier paragraphe: « Il faut sans hésitation, comme nous y invitent ces auteurs, se lancer dans une investigation réformatrice de l’islam, faire la lumière sur ses zones d’ombre, déverrouiller les exégèses autoritaires qui piègent la lisibilité du texte et lutter contre l’inertie fondamentaliste qui oblige beaucoup de musulmans à assumer une schizophrénie impossible » résume bien les choses. Puisqu’il s’agit justement de « zone d’ombres », d’ »exégèses autoritaires », d’ »inertie fondamentaliste » et d’une réelle « schizophrénie ». Reste à savoir est-ce qu’elle est assumée ou non ? Et jusqu’à quand doit-on l’assumer ?

    Fraternellement, Mohamed

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