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Il était une fois … un inféodé sur le chemin de Damas : histoire de Abou Hourayra (6)

10102008

Par Mohamed LOUIZI

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7- … à la colère de Omar !

Entre le deuxième calife Omar Ibn Al Khattab et Abou Hourayra les relations étaient très tendues. Voilà ce que nous racontent les historiens de cette époque. Et ce, pour deux raisons essentielles :

la première était en relation directe avec la quantité et  les contenus contestables des récits de Abou Hourayra. La seconde raison concernait l’honnêteté et la confiance dans lesquelles Abou Hourayra n’étaient pas non plus un exemple à suivre… 

Selon les historiens, Omar Ibn Al Khattab avait nommé Abou Hourayra gouverneur de Bahreïn en l’an 20 ou 21 de l’hégire(1). Et ce, après la mort de l’ancien gouverneur Abou Al Alaa Al Hadramiy qui avait été, lui, nommé directement par le prophète Mohammed.

Omar s’appuyait pour faire ce choix sur le fait que Abou Hourayra faisait partie de l’équipe qui accompagnait Al Hadramiy bien que les habitants de cette contrée ne connaissaient  Abou Hourayra que comme muezzin [celui qui fait l’appel à la prière](2)  – et non comme imam [celui qui conduit la prière] – dans l’une de leurs mosquées.

On citait aussi d’autres critères qui motivaient ce choix, parmi lesquelles figurait la volonté de Omar de garder les gens d’expérience et de confiance proche de la direction centrale située à Médine et de nommer gouverneurs des contrées lointaines des personnes relativement jeunes pour acquérir de l’expérience(3).

Abou Hourayra rentrait dans cette catégorie puisqu’il était âgé de moins de 40 ans au moment de sa nomination et qu’il n’était pas du tout expérimenté pour rester à Médine à côté du calife, à l’image de Ottmane, de Ali et bien d’autres compagnons.

Deux ans plus tard, Omar releva Abou Hourayra de ses fonctions parce que ce dernier s’était constitué quelques richesses personnelles en faisant mauvais usage de l’argent public et nomma alors Ottmane Ibn Abi Al Asse At-Takafi(4) à la place de cet indélicat.

D’après plusieurs versions, Abou Hourayra avait détourné quelques milles dinars de l’argent public collecté auprès des musulmans et correspondant, entre autres, à leurs zakat(5). L’essentiel n’est pas de savoir exactement et à la virgule près la somme détournée par Abou Hourayra mais plutôt de s’arrêter sur le fait  historique accompli. Et qui vole un œuf vole un bœuf nous dit-on !

A son arrivée à Médine, il dut s’expliquer et rendre compte de cette affaire devant Omar le calife. L’entretien se passa très mal entre les deux hommes. On raconte que Omar dit à Abou Hourayra : « Ennemi de Dieu, ennemi de son Livre ! As-tu osé voler le bien de Dieu ? Sinon, d’où as-tu les dix milles ? »(6) Et Abou Hourayra de répondre : « Je ne suis ni l’ennemi de Dieu ni l’ennemi de son livre. Je suis plutôt l’ennemi de leurs ennemis et je ne suis pas celui qui vole le bien de Dieu ! Quant à ces dix milles, il s’agit des chevaux qui se sont reproduits et des dons qui se sont succédés du ciel !»(7), comme si auparavant, ce dernier avait été propriétaire de chevaux et comme si du ciel, l’or et l’argent pleuvaient !

Dans une autre version, Abou Hourayra justifiait l’acquisition de ces biens par les bénéfices de ses activités commerciales à Bahreïn, en provoquant ainsi la colère de Omar qui répliqua : « Nous vous avons nommé gouverneurs et pas commerçants ! »(8).

Ensuite Omar contraignit Abou Hourayra,cette fois-ci par la force, à rendre cet argent indu à Bayte’mal al mouslimine – le Trésor public  de l’époque(9). Il le mit à sang en le fouettant violemment pour donner ainsi l’exemple aux autres gouverneurs. Et il le menaça même d’expulsion vers son pays natal, le Yémen, pour y goûter une nouvelle fois la misère et pourquoi pas, pour y conduire les « ânes » de cette région au pâturage au lieu de gouverner les affaires de la cité.(10)  

Une deuxième affaire opposa une nouvelle fois les deux  hommes lorsque Abou Hourayra commença à diffuser abondamment et en public des contes, récits et autres sornettes, qu’il attribuait sans aucun scrupule au prophète Mohammad. Omar contesta les contenus et la quantité de ces récits puisqu’il avait accompagné le prophète de très près pendant 18 ans et qu’il était donc en mesure de discerner le vrai du faux dans les récits de Abou Hourayra.

Omar décida d’interdire catégoriquement à Abou Hourayra de raconter tout et n’importe quoi sur le prophète au risque même d’encourir le châtiment corporel et l’expulsion de Médine. On peut reprocher tout de même à Omar cette mesure limitative de la liberté d’expression mais lorsque l’on voit les dégâts que causent aujourd’hui les récits de Abou Hourayra aux quatre coins du monde, on peut comprendre l’intérêt d’une telle mesure sans pour autant l’admettre ou l’admirer sur la forme. Je veux surtout attirer l’attention du lecteur sur tous ces récits et Hadiths appelant à la haine, à la misogynie, aux meurtres …(11) 

Ad-Dahbi rapporte dans ses biographies que Omar tenait Abou Hourayra en le menaçant d’expulsion. Omar disait à Abou Hourayra: « Soit tu mets un terme à tes contes soit je vais te renvoyer vers ta tribu Daous au Yémen ! »(12).

Ibn Abi Al Hadid rapporta ces propos de Omar à Abou Hourayra, dans son livre explicatif de Nahje Al Balagah supposé avoir été écrit par Ali Ibn Abi Taleb. Omar aurait dit à Abou Hourayra: « Mets un terme à tes contes nombreux car il se peut que tu sois mythomane !»(13).

En effet, Omar Ibn Al Khattab appelait les gens à lire le Coran et à se contenter exclusivement de ses contenus, sans aller chercher d’autres informations superfétatoires. Et c’est justement l’attitude que l’on trouve décrite dans le recueil de Al-Boukhari. Dans le même sens, Abdallah Ibn Abbas(14) rapporta un Hadith(15) évoquant les derniers moments du prophète. Ce Hadith laisse à penser qu’avant la mort de celui-ci, il ordonna à ces compagnons de lui ramener de quoi écrire un autre livre – autre que le Coran ! – qui garantirait aux gens la guidance et qui leur ferait éviter les conflits, comme si le Coran seul n’y suffisait pas. Et c’est Omar, selon ce Hadith douteux, qui empêcha le prophète d’écrire un tel livre et qui lui rappela que le Coran était déjà amplement suffisant ! D’autres disent qu’il ne s’agissait pas d’un livre, à proprement parler, mais plutôt d’un testament – wassiyyah en arabe – à dimension politique désignant le nom du calife qui allait lui succéder.(16) 

Néanmoins, il n’est pas question pour l’instant d’analyser de plus près ce Hadith, ni de montrer son insolence à l’égard du prophète ni de découvrir de plus près le personnage de Abdallah Ibn Abbas qui présentait des similitudes comportementales et idéologiques avec Abou Hourayra à plusieurs niveaux. Ce qui m’intéresse le plus, c’est l’attitude de Omar envers le Coran et envers la diffusion des Hadiths. En optant exclusivement pour le Coran, des contemporains peuvent en déduire à travers cette attitude que Omar était un coraniste affirmé(17) et hostile à ladite sunna prophétique.

En outre, une décision fût prise. Omar empêcha Abou Hourayra de diffuser ses contes. Et ce ne fut qu’après la mort de Omar que Abou Hourayra put de nouveau renouer avec ses mauvaises et vieilles habitudes.

Selon Ibn Kathir dans Al Bidayah wa An-Nihayah, Abou Hourayra disait : « Nous ne pouvions rapporter les Hadiths du prophète qu’après la mort de Omar qui nous faisait craindre son fouet et sa colère ! »(18). Ce que confirma des siècles plus tard le syrien Mohammed Rachid Reda(19) (1865 – 1935), qui fut l’un des principaux maîtres de l’imam Hassan Al Banna le fondateur de la  société des Frères Musulmans, et qui avait écrit dans sa revue Al-Manar ceci : « Si Omar Ibn Al Khattab avait vécu jusqu’à la mort de Abou Hourayra, certainement on n’aurait pas eu tous ces Hadiths ! »(20). Dans ce cas de figure, y’aurait-il eu quelque chose que l’on aurait nommée sunna ? L’islam serait-il pour autant incomplet en l’absence des Hadiths de Abou Hourayra ?…     

Au vu de ces informations historiques, il est clair que Omar désapprouvait totalement les récits de Abou Hourayra. Par conséquent, pourquoi Omar le soupçonnait, le frappait et le menaçait-il si ce dernier était vraiment l’un des compagnons de confiance permanent et proche du prophète ?

Pourquoi n’a-t-il pas fait de lui l’un de ses consultants privilégiés, puisqu’il prétendait être l’hériter du savoir et de la sagesse prophétique ?

Et si Abou Hourayra avait reçu le mandat de diffusion de ce savoir  prophétique complémentaire, pourquoi a-t-il renoncé devant les menaces de Omar sachant que le prophète n’a renoncé devant aucune menace ?

Est-ce cela le bon exemple à donner aux générations futures ?

La vérité ne mérite-t-elle pas d’être dite au risque même de se voir infliger toutes sortes de tortures ?…

On raconte, par ailleurs(21), que Omar allait demander l’avis des femmes du prophète et de certains compagnons pour savoir comment gérer des situations et quelles décisions prendre pendant son mandat de calife, en s’inspirant justement du comportement et de la sagesse prophétique.

Les femmes du prophète et les compagnons de confiance rapportaient des informations et même des citations prophétiques pour aider le calife à faire le bon choix. S’agit-il là de deux poids deux mesures de la part de Omar ? Je ne le pense pas ! Puisque Omar faisait bien la distinction entre le Coran d’un côté, comme texte révélé, source d’orientations générales, et les sagesses prophétiques qui,  d’un autre côté, pouvaient, à un moment donné, apporter un éclairage pratique et procédural.

Et c’est justement ce que demandait Omar aux différents consultants qui rapportaient des paroles de sagesse ne contredisant ni le texte ni l’esprit du Coran et qui sont restées jusqu’à aujourd’hui source d’inspiration et d’admiration. Par contraste saisissant, les Hadiths rapportés par Abou Hourayra sont loins de refléter cette sagesse et cette fidélité à la révélation coranique.

Enfin, entre les récits de Abou Hourayra et les témoignages des proches du prophète, l’invraisemblance est plus que parfaite. Pourquoi donc de tels écarts ?

D’où Abou Hourayra puisait-il ses contes et ses fables ?

Qui était (étaient) son (ses) maître(s) penseur(s) ?

Quelles étaient ses sources d’informations authentiques?…

 

(A suivre …)

Notes :

1- Mahmoud Abou Rayyah, op.cit., p.86

2- Ibid., p.86

3- Ibid., p.92-94

Noureddine Ibn Moukhtar Al Khadimi, Al Ijtihad Al Maqasidy, Kitab Al Oumma, Qatar,  1998, n°65, p.99

4- Ibid., p.86

5- Ibid., p.87

   Ad-Dahbi, Siyar A’alâm An-Noubala’a)

6- Khalid Mohammad Khalid, op.cit., p.148

7- Ibid., p.148

8- Mahmoud Abou Rayyah, op.cit., p.88

9- Khalid Mohammad Khalid, op.cit., p.148

Khalid Mohamed Khalid rajoute : « …Abou Hourayra accepta de verser puis leva les mains au ciel et dit : « Dieu ! Pardonne à l’Emir des croyants » Quelques temps après, Omar proposa le poste à Abou Hourayra. Ce dernier refusa. Comme Omar demanda      pourquoi, Abou Hourayra répondit : « Pour qu’on n’insulte pas mon honneur et qu’on ne prenne pas mon bien… » Ibid., p.148

10- Mahmoud Abou Rayyah, op.cit., p.86-90

11- A suivre sur ce blog l’analyse de certains Hadiths de Abou Hourayra exprimant cela.

12- Mahmoud Abou Rayyah, op.cit., p.86-90

13- Mahmoud Abou Rayyah, op.cit., p.113

14- Abdellah Ibn Abbas était très jeune, entre 9 et 13 ans, au moment de la mort du prophète mais malgré cela il a rapporté plusieurs centaines de Hadiths ! Quelques 1696 dans le Mousande de Ahmed Ibn Hanbale par exemple ! Les traditionnistes le considère comme « l’érudit de la communauté musulmane » ! Néanmoins, il présente des similitudes avec le personnage de Abou Hourayra que ce soit en raison des contenus étranges de ses Hadiths ou même en raison de ses attitudes politiques. On raconte que lui aussi avait détourné des fonds publics au moment de son mandat de gouverneur à Bassora en Irak en l’an 40 de l’hégire sous le califat de Ali Ibn Abi Taleb ! Pour plus de détails, lire :

Abderrazak Îde, Sadanatou Hayakili Al Wahmi : Al Bouti Namoudajane, At-Tali’a,   Beyrouth, 2003, p.69-77  

15- Al Boukhari, op.cit., Vol. 4, p.434

16- Adonis, op.cit., p.161

17- Ce néologisme est utilisé par les Cheikhs de Al Azhar – université et pouvoir d’inquisition égyptien – les prédicateurs du courant salafiste et la machine théologico-politiques des Frères Musulmans à travers le monde – à l’image de Al Qaradawi  pour désigner et excommunier toute personne musulmane, mettant en question l’authenticité présumée de la sunna et des supposés Hadiths prophétiques, et appelant à une réévaluation du patrimoine religieux et surtout la portée humaine et pacifique de l’ensemble des textes hérités.    

18- Ad-Dahbi, op.cit., Internet

19- Mohammed Rachid Reda (1865-1935), réformiste et penseur de la renaissance islamique à la fin du 19ème et le début du 20ème siècle. Influencé par la pensée de Jamal Dîn Al Afghani et de Mohamed Abdu. Le 15 mars 1898, il publia le premier numéro de  la revue Al Manar, qui tachait de partager ses idées, son exégèse du Coran, ses avis jurisprudentiels avec les lecteurs du monde arabe. Quatre ans après sa mort survenu le 22 août 1935, c’est  Hassan Al Banna, le fondateur du mouvement des Frères Musulmans qui s’est chargé de la direction et de la rediffusion de cette revue. Hassan Al Banna était aussi très marqué par la pensée de Mohammed Rachid Reda.

20- Mahmoud Abou Rayyah, op.cit., p.114 (Cf. Revue « Al Manar », Vol. 10, p.851)

21- Mahmoud Abou Rayyah, op.cit., p.115







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