Il était une fois … un inféodé sur le chemin de Damas : histoire de Abou Hourayra (11)
14 11 2008
9- Abou Hourayra, chantre au service des Omeyyades ! (Suite)
[…] Des personnes refusaient de reconnaître le régime des Omeyyades et de lui prêter allégeance. D’ailleurs, l’une des causes directes de la bataille de Karbala était justement le refus de Al Hussein – le petit fils du prophète – de reconnaître la légitimité de Yazid Ibn Mouawiyah qui avait hérité du pouvoir de son père en installant une monarchie héréditaire à Damas à la place du califat à Médine dont le calife était désigné à l’issue d’une concertation, même limitée.
Abou Hourayra a accouru, bien avant cette bataille, à la rescousse de Mouawiyah en lui inventant des Hadiths appelant à l’obéissance et interdisant au nom de Dieu, toute révolte populaire.
Il diffusa ainsi un Hadith présenté telle une parole du prophète : « Quiconque m’obéit, obéit à Dieu; et quiconque me désobéit, désobéit à Dieu. Quiconque obéit au gouverneur [Mouawiyah], obéit à moi; et quiconque lui désobéit, désobéit à moi »(1).
En effet, la désobéissance au gouverneur pour une raison ou pour une autre, devient une désobéissance au prophète, et par extrapolation, elle devient une désobéissance à Dieu directement.
Le gouverneur est défini, dès lors, comme le représentant et le porte-parole de Dieu sur Terre. Eh oui, puisque dans un autre Hadith diffusé lui aussi par Abou Hourayra et présenté lui aussi comme parole prophétique, je cite : «Les fils d’Israël étaient gouvernés par les prophètes. Chaque fois qu’il en mourrait un, un autre lui succédait. Or nul prophète après moi. Il y aura après moi mes successeurs et ils seront nombreux». Les compagnons dirent : «Ô Messager de Dieu! Que nous ordonnes-tu de faire [avec eux]?» Il dit: «Soyez fidèles au premier d’entre eux à qui vous aurez fait acte d’allégeance puis donnez-leur ce qui leur revient de droit et demandez à Dieu ce qui vous revient à vous-mêmes. Dieu leur demandera compte des intérêts de leurs sujets»(2) ! Mouawiyah justifia ainsi sa légitimité de roi par ladite théorie du droit divin semblable à celle des monarchies chrétiennes médiévales.
A partir de ce moment, Mouawiyah n’eut plus aucun compte à rendre aux gens – ses sujets – puisque sa légitimité provenait directement de Dieu, à en croire ce hadith, et que sa gouvernance n’était qu’un heureux signe du destin céleste !
Les gens quant à eux, n’avaient pas à revendiquer un quelconque droit. Au contraire, ils devaient en plus s’acquitter des devoirs qui sont les leurs envers les élus du ciel : Mouawiyah et ses héritiers bénis, bien sûr. Et ce jusqu’au jour du jugement dernier !
Ce moment triste, le penseur Malek BENNABI le ressent comme une grande fracture dans l’histoire de la jeune communauté et montre ce que sera à présent la gestion de l’Islam qui, dès l’assassinat de Ali Ibn Abi Taleb, passe du sentiment spirituel à l’esprit politique.
Dans la préface d’un texte de 1970 et intitulé « Vocation de l’Islam », BENNABI écrit : « La cité musulmane a été pervertie par les tyrans qui se sont emparés du pouvoir, après les quatre premiers califes. Le citoyen qui avait voix au chapitre dans tous les intérêts de la communauté, a fait place au « sujet » qui plie devant l’arbitraire et au courtisan qui le flatte. La chute de la cité musulmane a été la chute du musulman dépouillé désormais de sa mission de « faire le bien et de réprimer le mal ». Le ressort de sa conscience a été brisé et la société musulmane est entrée ainsi progressivement dans l’ère post-almohadienne où la colonisabilité appelait le colonialisme… »(3).
Mouawiyah était l’un des principaux instigateurs de cette chute brutale et prématurée, et Abou Hourayra, quant à lui, prenait les devants pour figurer non seulement parmi les sujets loyaux mais aussi, pour se servir du sentiment spirituel afin d’atteindre des finalités purement politiques.
Lorsque des soulèvements populaires se déclaraient contre Mouawiyah et contre sa dynastie, Abou Hourayra était là aussi pour décourager les gens et pour neutraliser leurs actions légitimes, en diffusant des Hadiths conçus spécialement à cette fin.
Un jour, il attribua un récit prémonitoire au prophète – en oubliant au passage que le Coran rappelle à plusieurs reprises que le prophète ne pouvait informer du monde invisible ou des choses à venir autres que ce qui est écrit dans le Coran – dans lequel le prophète aurait présagé un futur proche désastreux et chaotique pour sa communauté : « Il y aura des séditions ! Durant lesquelles, celui qui restera assis sera meilleur que celui qui se mettra debout ! Celui qui se mettra debout sera meilleur que celui qui se mettra en marche ! Celui qui se mettra en marche sera meilleur que celui qui se mettra à courir ! Celui qui y participera sera anéanti à coup sûr ! Quiconque trouvera un refuge devra impérativement s’y rendre pour s’en préserver »(4).
Ce Hadith – qui dans l’apparence appelle au calme et à la pacification des esprits au moment des émeutes – a été, en effet, conçu pour maîtriser les révoltes contre la prise violente du pouvoir par Mouawiyah et par ses milices.
Abou Hourayra visait à pousser les gens à se soumettre à la dynastie de Damas, à anesthésier les consciences critiques et à faire avaler la pilule omeyyade aux plus grands nombres. Au fond, ce Hadith justifie, voire tolère et encourage, les violences du pouvoir et exige , en contre-partie, un comportement pacifique de la part des sujets.
Et bien que je sois, moi-même, acquis à cette idée ingénieuse de pacification des conflits et au principe de la non-violence comme choix éthique indispensable pour tout changement, je me refuse tout de même d’assimiler la non-violence à l’absence de la résistance pacifique, à la lâcheté intellectuelle, à la servitude volontaire aux pouvoirs corrompus et à l’acceptation du fait accompli.
D’ailleurs, l’absence de résistance est contre nature. Le corps qui ne résiste pas aux attaques externes est, par définition, un corps mort ou en phase terminale.
Résistance ne rime pas forcément avec violence. On peut et on doit, en effet, résister tous les jours contre toute sorte d’attaques mais sans pour autant user de la violence, quelle qu’elle soit, pour acquérir ses droits.
Ce même Hadith – pure coïncidence me dit-on – était utilisé par l’institution théologique Al Azhar en 1914 pour faire taire la voix des Égyptiens qui réclamaient simplement l’indépendance de l’Egypte et la fin de la colonisation anglaise(5).
Les cheikhs de Al Azhar, qui « dirigeaient » l’institution à cette époque, ont mis ladite sunna du prophète au service des lords britanniques colonisateurs en « haramisant » – en rendant illicite – toute lutte légitime et toutes manifestations populaires pour la liberté et pour l’indépendance. En revanche, si ce Hadith n’engendre pas, aujourd’hui comme hier, un effet d’« opium »(6) social, je me demande sérieusement à quoi il sert au juste ?
Abou Hourayra ne s’arrêta pas à ce niveau et inventa d’autres Hadiths qui servaient à fortifier l’idéologie de la servitude et de l’obéissance au roi, prétendument l’élu du Ciel et le bien-aimé de Dieu. Il osait même affirmer que Dieu dit dans un Hadith – autre que le Coran ! – je cite : « Celui qui témoigne de l’hostilité envers l’un de mes serviteurs bien-aimés, je lui ai déclaré la guerre ! »(7).
Moralité à retenir : Mouawiyah étant considéré comme ce serviteur bien-aimé, point de désobéissance à son égard et à l’égard de sa dynastie si l’on voulait vraiment éviter et échapper à la colère du Seigneur !
Plus encore, en s’appuyant sur son interprétation du signe 59 de la sourate 4 du Coran, Abou Hourayra affirmait que l’obéissance aux gouverneurs et à ceux qui détiennent les pouvoirs est une obligation religieuse semblable à l’obéissance à Dieu et à son messager(8) !
Cette obéissance à caractère absolu et inaltérable, doit être de rigueur quelles que soient les circonstances et l’attitude politique et sociale du gouverneur. Il prétendait que le prophète disait : « S’engager en guerre ou conquête dans les rangs du prince est une obligation … que celui-ci soit juste et pieux ou qu’il soit injuste et dépravé ! »(9)… et j’en passe et des meilleurs !
Enfin, la coutume veut que tout service de loyauté mérite salaire et récompense. Abou Hourayra, en raison des services loyaux et précieux qu’il a pu rendre à Mouawiyah et à sa dynastie, mais aussi à toutes les monarchies, a été généreusement récompensé.
Il quitta sa vie de misère en devenant du jour au lendemain : gouverneur et imam – pas de n’importe quelle ville – mais de Médine, résidant dans un palais qu’il lui fut offert par le régime de Damas, marié avec celle qui était auparavant son ancienne employeuse et propriétaire d’un grand terrain fertile reçu aussi comme apanage octroyé par le régime…
Et même après sa mort, sa famille ne perdit aucun de ses avantages économiques et sociaux. Au contraire, Mouawiyah avait demandait que l’on prenne soin de ses proches en répondant à tous leurs besoins.(10)
En bref, Abou Hourayra récolta, à tout point de vue, les fruits de son mercenariat théologique en faveur de la dynastie Omeyyade et aussi en faveur de toutes les monarchies ancestrales et héréditaires, absolues ou assimilées, passées ou présentes, que ce soit dans la péninsule arabe ou dans le reste du monde conquis et asservis depuis toujours au culte de Mouawiyah.
(A suivre …)
Notes :
1- Al Boukhari, op.cit., Vol.4, p.374
2- Al Boukhari, op.cit., Vol.2, p.404
3- Malek Bennabi, Vocation de l’Islam, édition ANEP, 2006, p. 11
4- Al Boukhari, op.cit., Vol.4, p.361
5- Mahmoud Abou Rayyah, Abou Hourayra cheikh Al Madirah, p. 252
6- « … La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple » expression de Karl Marx (1818-1883) dans Critique de la philosophie du droit de Hegel. Cette même analyse peut nous servir aujourd’hui pour décrire relativement bien cette religion – des Hadiths – voulant garder la population asservie au pouvoir politique à l’aide de laquelle on justifie l’absolutisme au nom de Dieu, on promet au gens le Paradis (ou bonheur futur) en contre partie de leur silence et de leur aliénation (ou malheur présent) ! De ce point de vue, la religion des Hadiths, surtout ceux à contenu politique, n’est en vérité qu’un opium théologiquement et politiquement très efficace !
7- Al Boukhari, op.cit., Vol.4, p.210
8- Cf. l’exégèse du signe coranique dans Fath Al Bari.
9- Abou Daoud, Sounane Abou Daoud, Source Internet – Site de la « Ministère des Affaires Islamiques, des Waqfs, de l’Appel et de l’Orientation » de l’Arabie Saoudite :
http://www.al-islam.com/arb/
10- Mahmoud Abou Rayyah, Abou Hourayra cheikh Al Madirah, p.261-265
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