Dégage !

17 04 2011

Par Mohamed LOUIZI

 

 

« Ce n’est pas la révolte en elle-même qui est noble, mais ce qu’elle exige« 

 Albert Camus – L’homme révolté

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La révolte des peuples du Maghreb et du Mashreq est un tournant de l’Histoire contemporaine. Rien ne serait plus comme avant dans cette région. Les générations futures se souviendront de ces instants extraordinaires témoignant aujourd’hui, et sans l’ombre d’un doute, du début d’un épanouissement collectif tant attendu, et d’une maturité assumée de toute une génération, que l’on a voulu d’ailleurs, présenter comme étant jeune, insouciante et ignare. Et qui, par de simples moyens d’information et de communication, a montré à la face du monde entier sa force d’esprit ainsi que la noblesse de ses revendications légitimes. 

Il y a quelques mois seulement, personne, pas même les grands observateurs et analystes politiques ou bien les puissantes agences de renseignements, n’était en mesure de prédire, avec ou sans précision, de pareilles situations tendues avec une telle détermination et une telle exigence de libertés. Cependant, tous les ingrédients, en faveur de ce genre de soulèvements populaires, étaient hélas déjà réunis, et en abondance !

En bref, la pauvreté, voire l’appauvrissement de la quasi majorité de la population, orchestré par des régimes ultra-corrompus, n’a cessé de prendre des dimensions insupportables … L’enrichissement avide d’une petite oligarchie, n’a cessé, lui aussi, de progresser suivant une allure exponentielle, avec la bénédiction de ces mêmes régimes …

Les libertés fondamentales se sont vues limitées et malmenées depuis bien des décennies, et le 11 septembre n’a fait qu’accentuer ces atteintes au nom de je ne sais quelle lutte contre le terrorisme … Les  lois imposant « l’Etat d’urgence », au lieu qu’elles ne soient que de rares exceptions, sérieusement justifiées et limitées dans le temps et dans l’espace, sont devenues la marque de fabrique caractérisant un quotidien asphyxié dans de nombreux pays de ces régions …

Le chômage de masse constitue une des réalités malheureuses que subissent de plein fouet, et sans aucune protection sociale, toute une population diminue … L’absence de réelles perspectives pour l’emploi et pour une insertion professionnelle juste et durable, constitue elle aussi un des trait poignant d’une vie sans goût, si ce n’est celui de l’amertume et de la désespérance … Des millions de jeunes diplômés, énergiques et inventifs se voient refuser, purement et simplement, tout accès à des professions méritées, après de longues années de labeur … L’Etat de droit a depuis longtemps cédé la place au clientélisme et au passe-droit de tous genres …

Les richesses nationales sont vendues à vil prix aux multinationales et aux anciennes puissances coloniales, sans pour autant que les quelques bénéfices qui en résultent ne soient correctement réinvesties pour améliorer l’infrastructure sociale et économique, ou équitablement réparties pour plus de justice …  Sans parler bien sûr des retombées néfastes de la crise du capitalisme financier qui s’est accentuée depuis quelques années et qui n’a pas encore dit son dernier mot, que ce soit pour ces régions ou pour les autres …  

Tous ces ingrédients, étaient, et sont toujours là. Mais, il a fallu quelques goûtes supplémentaires d’amertume pour faire déborder le vase de la patience collective, et aussi quelques événements héroïques déclencheurs, souvent très douloureux pour celles et ceux qui en sont les acteurs, pour que la révolte s’empare de la rue et se mette en marche de manière souvent pacifique, profonde et, je l’espère, durable.      

Par ailleurs, et à lire les slogans scandés, un peu partout dans les diverses manifestations, les revendications disent toutes la même chose :  » Trop … c’est trop ! ». Néanmoins, elles sont loin d’être uniformes ou unidirectionnelles. Certes, l’accès au pain … l’accès au soins … l’accès à l’école … l’accès à l’emploi … restent le socle commun des réclamations de tous ces rassemblements exacerbés. Mais, ils ne sont pas les seuls, ni ceux qui arrivent en tête. D’ailleurs, la première revendication, qui attire l’attention par sa force, par sa simplicité, par sa pureté, et aussi par sa profondeur, c’est bel et bien le fameux : « Dégage ! », que l’on a adressé sans ambigüité à Ben Ali, à Moubarak et que l’on persiste pertinemment à adresser désormais à Kadhafi, à Saleh, à Bachar … et très bientôt, je l’espère, à bien d’autres dirigeants, là-bas comme ici !   

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« Dégage ! » d’abord … ensuite « nous verrons bien ! »

Ainsi « Dégage ! » ouvre la porte, comme par magie, à l’espérance, à  de nouvelles perspectives et à un nouvel horizon. « Dégage ! » tranche aussi, et sans ambigüité, avec toutes ces manœuvres de last minute que tentent les régimes en place, pour sauver la face, en proposant des petites « réformettes » par-ci et des « micro-mesurettes » trompe l’œil par-là. Ce qui montre que ces régimes ne comprennent pas un message, pourtant très court et très simple, et ne veulent pas comprendre, car totalement déconnectés de la réalité évidente des souffrances qu’endurent toute la population depuis de longues années de vaches maigres. Ces régimes doivent désormais comprendre que l’heure de partir a bien sonné et qu’ils n’ont plus aucun mot à dire, car le Peuple, uni mais pluriel, a dit son mot et a déjà prononcé la sentence : « Dégage! »

Ce « Dégage ! », déterminé et plein d’humanité, sait pertinemment ce qu’il veut. Et on a beau lui opposé toutes les forces policières et militaires, locales ou empruntées des amis occidentaux dits « démocrates », on a beau vouloir le déjouer et le divertir par de faux discours patriotiques rassurants et autres baratinages religieux dépassés, il finira par triompher.

Ainsi, se dégage de ce « Dégage ! » des aspirations profondes allant de la simple aspiration à une « vie digne » jusqu’à l’ultime aspiration à une « vie pleine » ! Des aspirations qui sont restées longtemps maintenues enfouies dans les abysses du silence et sous la pression de la peur et de la brutalité des régimes voyous.

Oui, le Peuple, uni mais pluriel, veut le pain, les soins, la justice sociale, l’accès au savoir, la sécurité de l’emploi, … mais il exige aussi, voire surtout, le respect de sa volonté, la prise au sérieux de sa parole, la protection de ses libertés, la sanctification de sa dignité, la justice dans la répartition ou l’investissement de ses richesses, l’estime de sa grandeur, la préservation de sa symbiose et de sa pluralité ethnique, religieuse, linguistique, intellectuelle,… Oui, le Peuple, uni mais pluriel, veut tout ça à la fois. Désormais, et avec ce « Dégage ! » merveilleux, le Peuple, uni mais pluriel, atteste sans réserve qu’Il peut tout ça à la fois !    

Cependant, crier victoire avant l’heure, sur ces régimes,  et jubiler sans modération peut s’avérer désastreux pour la suite. Les scènes de liesses populaires bien qu’elles soient tout à fait normales, admirables et méritées après tant de misères et tant de luttes, ne doivent pas éclipser l’immensité et la complexité de ce qui reste encore à accomplir et surtout à entretenir sans cesse. Car la révolte n’est que le début d’un long chemin salutaire et non pas l’aboutissement. Cela veut dire que la vigilance populaire ne doit pas faiblir. Bien au contraire, celle-ci doit être fortifiée à tous les stades et observée tout au long d’un chemin, qui est par nature infini. Ce qui semble être compris par les meneurs de la contestation.  

Être et rester vigilant, cela veut dire, que l’on a bien compris que les régimes déchus sont loin d’être incarnés ou personnifiées dans une ou quelques figures, puissantes soient-elles. Faire tomber un dictateur, quelque soit l’étendu apparent de ses pouvoirs, ne signifie point avoir eu raison de toute la structure complexe qui, pour préserver ses propres intérêts, avait portée à sa tête, il y a quelques décennies, ce même figurant !

Le risque, c’est que cette structure, relativement invisible et tentaculaire, s’approprie désormais le discours révolutionnaire, en se montrant subitement solidaire et attentive aux diverses revendications populaires, le temps que le calme revienne. Dès lors, elle choisirait, cette fois-ci, et parmi les meneurs dévoués de la révolte actuelle, celui qui, une nouvelle fois, préserverait ses intérêt, et rien d’autres que ses intérêts stratégiques. Ainsi, les tyrans se succèdent et partent, et la structure reste. D’ailleurs, bon nombres de dirigeants contestés aujourd’hui, étaient, il y a quelques années, des révolutionnaires nationalistes chevronnés aux antipodes de ladite structure invisible, et qui ont finit par épouser sa cause … Chercher l’erreur alors !

Cela veut dire aussi être attentif aux contours et aux contenus exacts des différentes revendications formulées, que l’on souhaite qu’elles soient clairement reconnues et constitutionnalisées. En effet, lorsque l’on écrit « Liberté » sur une banderole, cette revendication sonne différemment selon que l’on soit homme ou femme, royaliste ou républicain, religieux ou athée, de droite ou de gauche, faisant partie d’une majorité ou d’une minorité ethnique ou religieuse, … Raison pour laquelle, il va falloir aller au-delà de l’intitulé pour s’occuper de la formulation d’un contenu consensuel et contractuel, respectant chacune des sensibilités sociétales, sans exception aucune.

Par ailleurs, il va sans dire que la société, de par sa nature même et ses cultures, est simultanément « une » et « plurielle ». La révolte doit donc prêter l’oreille aux voix de sa complexité, aux chants de sa diversité et aux expressions, mêmes contradictoires, formulées en vue de sa métamorphose impérative. La révolte en cours a tout à gagner en tenant compte de ce trio : complexité + diversité + mutation. Ignorer cela s’avérera, à coup sûr, néfaste pour la paix et la prospérité tant désirées. Cela ouvrirait les portes, à nouveau et à très court terme, aux dangers de l’uniformisation, de l’exclusion et de la sclérose généralisée. Entretenir la vigilance populaire, en ces moments cruciaux, c’est aussi se donner les moyens pour être ensemble, avec les différences et les contradictions, ou ne pas être … be together or not to be ! 

La révolte se doit aussi de se prémunir contre toute forme de pénétration par ses ennemis jurés, ou de récupération par ses adversaires les plus cruels. Cela ne veut pas dire d’exclure des gens sur la base de procès d’intention arbitraires, ou au motif qu’ils soient liés à tel intérêt ou à tel autre, ou qu’ils aient un passé peu glorieux dans la collaboration, active ou passive, avec des régimes dictatoriaux et corrompus. Face à ceux-là, deux choses l’une, soit les faire traduire devant la nouvelle Justice, soit, encore mieux, les pardonner. Simplement, il ne faut surtout pas être le dindon de la farce. Car, et jusqu’à preuve du contraire, on ne devient pas démocrate du jour au lendemain, ou dans la nuit du 13 ou 14 janvier ! On ne s’improvise pas, non plus, républicain à l’instant même où la monarchie présenterait des faiblesses inquiétantes. Démocrate et républicain, comme bien d’autres qualités citoyennes, sont des convictions construites tout au long d’une vie de lutte, avec constance et persévérance. La construction révolutionnaire, bien qu’elle doit se garder d’exclure à tort et à travers, doit se protéger en même temps, des malfrats notoires et des autres pharisiens que rien ne comptent à leurs yeux, si ce n’est leurs propres intérêts.

Pour le reste, chacun doit y mettre du sien et apporter sa pierre à l’édifice. Le manquement caractérisé des régimes corrompus à leurs devoirs a été bel et bien dénoncé. Certains dirigeants ont été, purement et simplement, jetés dans la poubelle de l’Histoire, d’autres suivront sans doutes. Mais cela ne doit pas faire voiler les responsabilités respectives de tout un chacun. En effet, et puisque la révolution est une longue et interminable construction, sa réussite dépend elle certes de l’effort collectif, mais pas seulement. L’addition des efforts individuels des uns et des autres, et à chaque seconde de cette construction, reste aussi déterminant que l’effort collectif. Et ce n’est pas parce que le dictateur a été déchu de ses fonctions que cela va soulager les uns et les autres de toutes leurs propres incohérences et de tous leurs manquements à leurs devoirs au quotidien. Par conséquent, seule une élévation des esprits des uns et des autres, à la hauteur des aspirations bonnement formulées à l’aube de toutes ces révolutions, conjuguée avec une transformation profonde de nos êtres pour vivre pleinement des lendemains enchanteurs, pourraient conduire non seulement à réussir cette construction mais aussi à l’entretenir contre l’usure et l’érosion.

Ainsi « Dégage ! » fait d’une pierre deux coups, en libérant d’abords le Peuple des jougs de sa servitude aux voyous de la politique, et en libérant en même temps, chacun de ses individus, des vices comportementaux (tels que l’individualisme, l’indifférence, la passivité, l’intolérance, le sectarisme,…)   qui seraient en lui !


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