Cher Tariq Ramadan,
Je vous lis et écoute depuis 1999, depuis 15 ans. J’ai toujours admiré la facilité par laquelle vous maniez le Verbe.
Au début, je ne comprenais pas trop le « français ». Mais, au fur et à mesure de mon apprentissage de cette langue, j’étais frappé par le décalage entre votre « pensée » et bien d’autres idées courageuses, développées dans le monde arabe, depuis presque un siècle ! Depuis, votre pensée reste, à mon sens, très hésitante, pour ne pas dire autres choses !
Je ne comprenais pas et je ne comprends toujours pas votre démarche, d’autant plus que vous « professez » depuis l’Europe. Depuis un cadre où la liberté d’expression est respectée et garantie. Je ne comprenais pas que des intellectuels arabes, résidant dans le monde arabe et risquant beaucoup des régimes theologicopolitiques de là-bas, puissent avoir un courage intellectuel exemplaire, en dénonçant la terreur défendue par de nombreux « textes » sacrés et l’archaïsme de certaines sources ô combien « sanctifiées » alors que vous vous vous êtes plutôt, et vous demeurez malheureusement, dans une posture de « calculs » et de « géométrie » variables au gré de votre auditoire !
Je ne comprenais pas comment un intellectuel se définissant comme étant aussi « philosophe », somme toute !, puisse être conciliant face à l’abject et se limite à appeler au « moratoire » lorsqu’il fallait dire et exprimer, en toute franchise et sans éléments de langage, le refus et l’indignation !
On m’avait dit, à l’époque, que vous inscriviez, comme bien d’autres prêcheurs de la « bonne parole », dans le cadre d’une « pédagogie d’accompagnement » d’une communauté « musulmane » à la recherche, dit-on, de repères. D’ailleurs, tout est à votre honneur, cher Tariq !
Mais, force est de constater que lesdits « repères » étaient largement issus de nombreux textes « sacrés » que vous vous êtes gardés, curieusement, durant toutes ces années qui passent, de dénoncer en « philosophe » digne de ce nom !
Au lieu d’assumer le patrimoine et l’héritage éthique et comportemental, face aux pressions, d’un certain PLATON, ou d’un certain AVERROES, ou d’un certain SPINOZA, … etc, vous préférez, me trompais-je, « moderniser », « contextualiser », « réhabiliter » avec des mots attirants, tout un autre héritage indéfendable, à mon sens !
Vous avez fait le choix – veuillez excuser cette parabole – de « réchauffer » un repas décomposé, cuit depuis une dizaine de siècles, par des chefs-cuisiniers suspects, de cette époque révolue, comme « Abou Hourayra », « Ibn Abbas », « Ibn Kathir » … , et j’en passe ! Vous avez fait ce choix, au lieu de vider la « marmite », la nettoyer sept fois, trois fois avec du sable d’ici, et y préparer un nouveau « repas » avec des ingrédients d’aujourd’hui, en assumant, votre engagement en faveur d’une « cuisine moderne » !
Et oui, cher Tariq, Les années passent, mais vous n’avez toujours pas passé à l’étape d’après !
La « pédagogie », la votre – car on peut être à la fois ferme et pédagogue – n’a-t-elle pas, à votre avis, atteint ses limites ?
Qu’attendez – vous pour dénoncer et pour dire clairement ce que vous pensez réellement, et sans user de la « magie » du Verbe :
- des « hadiths » meurtriers ?
- des institutions des « fatwas » ?
- de l’apostasie et de ce châtiment barbare qui menace des centaines de personnes comme ce jeune écrivain mauritanien, jugé au nom de d’Allah, à la peine de mort pour apostasie, le jour même de Noël ? (Certains célébraient ici la « Nativité », d’autres criaient la-bas des « Allah Akbar » de joie !!!)
- du clergé sunnite et pétrodollar ?
- des idéologies de la haine, nourries essentiellement par des textes religieux, que vous tenter uniquement d’interpréter et d’arrondir les angles ?
- du « voile » dit « islamique » ?
- des « carrés musulmans » prolongeant la ségrégation même dans l’au-delà ?
- de la « viande hallal » ? (Certes délicieuses comme ladite non hallal).
- de la « circoncision » des garçons musulmans au nom d’Allah ? (Ce marquage de différenciation religieuse indélébile, que l’on trouve essentiellement chez les juifs et les musulmans … etc).
J’avais déjà lu votre livre » la réforme radicale », mais, je suis hélas resté sur ma faim, car il n’y avait, en vérité, de « radicale » que dans le titre !
Bizarrement, vous mettiez des points finaux là où, il fallait justement, développer votre « radicalité », en réformateur qui s’assume, et trancher, une fois pour toute, votre positionnement vis-à-vis d’un héritage religieux musulman moyenâgeux, marqué par les influences politiques et les traditions culturelles de cette époque … la marmite « pue » ! la marmite « explose » ! la marmite « tue » !
Cher Tariq,
Quand est-ce qu’ allez-vous assumer, enfin, votre vocation médiatiquement affichée comme étant un « intellectuel » et « philosophe » ?
Quand est-ce qu’ allez-vous être simplement vous-même, « être » ce que vous prétendez « être » ?
Allez-vous, enfin, quitter l’habit – et l’abri – que vous mettez – et dans lequel vous vous protégez – depuis plus de 15 ans pour dire, enfin, toute la vérité, rien que la vérité, votre vérité … mais sans l’édulcorer dans un semblant de discours conciliant et plat, et sans vouloir, en même temps, concilier vos profondes convictions, restant, me semble-t-il, inhibées pour l’instant, avec vos alliances inexplicables et inadmissibles avec un régime « Qatari », entre autres, pour le moins suspectes !
Le « philosophe » peut-il être à la solde de régimes corrompus ? Peut-il devenir l’un des « chefs-cuisiniers » dans l’arrière « cuisine politico-religieuse » de ces régimes ? A vous de voir ! A vous de décider !
J’espère qu’enfin, vous allez être l’égal de vos titres universitaires et de vos prétentions intellectuelles !
Avec tout mon respect !
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