Hassan Al-Banna et la jeunesse (2/4)

24 05 2015

Par : Mohamed LOUIZI

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Jeunes « frères » : Allégeance, Coran et pistolet !

Le discours d’Hassan Al-Banna (cf. article 1/4 ici)séduisait une large masse d’une jeunesse désorientée, dans une Égypte colonisée, de 1882 jusqu’à 1953, par les britanniques. De cette jeunesse endoctrinée et embrigadée, par un tel discours idéologique, émergeait, et dès la création de la confrérie, des groupes organisés et disciplinés, inspirés du  scoutisme, tel qu’il a été initié par le militaire britannique Robert Baden-Powell (1857- 1941). 

Les groupes des scouts de la jeunesse frériste portaient, au départ, le nom d’« équipe de voyages » et puis « équipe Jawala »[1]. Ces jeunes recrues, officiellement âgés de dix-sept ans au moins, recevaient, en plus d’une éducation spirituelle aux standards de la confrérie, une formation aux sports de combat, ainsi qu’une préparation physique et militaire, pour qu’ils soient aptes à répondre à l’appel du Jihad armé. 

Ce modèle se développa par la suite, vers l’année 1939, pour prendre davantage d’ampleur et être reconnu par l’Etat. Dès lors, il intégra le régime général de l’association des scouts égyptiens, et bénéficia de ses avantages et de ses subventions. Statistiquement, les scouts de la confrérie comptaient, officiellement[2], 2000 jeunes en 1941, 15000 en 1942 et un peu plus de 60000 en 1946. Ce chiffre n’a pas cessé de progresser de manière exponentielle, surtout dans un contexte où les égyptiens aspiraient à leur indépendance, sans oublier les besoins en ressources humaines jeunes pour les préparatifs de la guerre israélo-arabe de 1948. Connus aussi sous le nom des « Chemises kaki », ces scouts défilaient parfois le soir, dans les rues du Caire, tels des éclaireurs, chantant et criant des slogans et poèmes islamistes. 

01-Hassan_Al_Banna_ScoutFM.png Al Tanzim Al Khas dans Associations

 Hassan Al-Banna s’inspirait aussi d’un certain modèle allemand[3] des années trente, comme en témoignent de nombreux passages non équivoques de ses épîtres, où ils prenaient exemple d’un certain Adolf Hitler, de ses idées et de ses modes de commandement.  Ses troupes de jeunes, elles, suivaient aussi le modèle de la jeunesse hitlérienne (HJ) « Hitlerjugend » (1926 – 1945). La rigueur imposée aux jeunes frères était presque pareille à celle imposée aux HJ

Les scouts d’Hassan Al-Banna - « équipes Jawala » – devaient  apprendre et montrer l’obédience, l’abnégation, le service, la fierté et surtout la doctrine du Jihad armé, pour défendre l’idée et la cause frériste. Certes, cette jeunesse participait à des activités à caractère caritatif et humanitaire, lors des moments de disette et d’épidémies, mais pas que !Effectivement, l’élite de cette jeunesse frériste, préparée et conditionnée lors des rassemblements d’entrainement et dans les colonies de vacances, alimentait les rangs des combattants de la brigade armée spéciale, très secrète, connue sous le nom d’ « al-Tanzim al-Khas » (التنظيم الخاص[4]), fondée dans les années 1939/1940 par le guide suprême lui-même, qui confia la direction de ses opérations violentes à un cercle très restreint de « frères » qui formaient le premier cercle loyal et très fidèle à son idéologie. 

Cette première génération de jeunes « frères » armés, était placée sous le commandement de Saleh Ashmawi (1910-1983) – devenu « frère » à l’âge de vingt-sept ans  – aidé de quatre autres « frères », parmi lesquels Abderrahmane Al-Sindi (1918 – 1962), représentant la force de frappe centrale de la confrérie. Il s’agissait – et il s’agirait toujours – d’une organisation dans l’organisation. Pour y adhérer, il ne suffisait pas d’être jeune, et encore moins d’être « frère ». 

Dans son livre « Al-Tanzim al-Khas, sa vérité  et son rôle dans la propagande des frères musulmans » (حقيقة التنظيم الخاص و دوره في دعوة الإخوان المسلمين), paru en arabe en 1986 et préfacé par un certain Mustafa Machhour[5],  l’auteur  Mahmoud As-Sabbagh, qui fut l’un des membres dirigeants de cette branche paramilitaire secrète, explique les conditions d’accès à ce cercle obscur et violent. Selon son témoignage de l’intérieur, il ne suffisait pas d’exprimer ses motivations spirituelles, et son aptitude physique à porter des armes, et à s’engager militairement pour défendre, par la force, les idées, les causes et les intérêts de la confrérie.

6-Tanzim_Al_khasse.png ASSASSINAT POLITIQUE dans Politique
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En effet, le candidat, en plus d’être « frère », devait acheter d’abord – pour signifier sa profonde motivation et détermination – par son propre argent : Un pistolet. Oui, un pistolet ! La première arme n’était donc pas fournie par Hassan Al-Banna.  L’auteur expliquait que généralement, les jeunes boursiers économisaient de l’argent, de leurs propres bourses d’études, pour acheter le pistolet demandé. Ensuite, le candidat passait par huit étapes successives, très contraignantes, l’une comme l’autre, avant de connaître la décision finale d’ajournement ou d’admission. 

Parcours de combattant !

Lors de ces huit étapes, le candidat devait faire l’inventaire de ses performances avec les « frères », ses participations effectives dans différentes activités et actions apologétiques ou sociales. Il devait divulguer des informations importantes concernant sa famille et son état de santé. Ensuite, des rappels lui ont fait au sujet de l’importance de l’obéissance totale, et sans réserves, aux ordres de ses supérieurs ; l’importance du silence ; l’obligation de tenir son engagement totalement secret, y compris vis-à-vis de ses propre parents ; la nécessité de bien respecter les feuilles de routes du commandement et l’obligation de toujours prévoir des plans d’urgence lors de l’exécution des ordres. Il ne faudrait jamais que l’identité et l’existence de cette branche armée soient connues, quelques soient les conditions et les contraintes. Ensuite, le jeune reçoit une formation pratique sur la base d’études de cas et de quelques exemples de missions violentes concrètes. 

A l’issue de cette phase de rappel et de formation très corsée. Le jeune passe ensuite un test simulée, en conditions réelles. Il s’agissait d’exécuter une action secrète, pour que le formateur puisse juger de la capacité, ou de l’incapacité, du jeune à bien agir le jour où il faudrait exécuter des ordres bien réels. Dans la foulée, on ordonna au jeune d’écrire et de donner son testament à son formateur. 

Passé toutes ses étapes, si le test est négatif, le jeune est ajourné mais il reste toujours « frère musulman » et réintègre, normalement, son cercle de formation spirituel. Si le test est positif, le jeune est convoqué pour attester de son allégeance définitive, devant le premier commandant de cette branche paramilitaire, qui représentait directement le guide-suprême Hassan Al-Banna.

Le jour « J », comme « Jihad » !

Le jour de l’allégeance, le jeune est accompagné par son responsable formateur. Ils sont, tous deux, accueillis par un certain Abderrmane Al-Sindi,  dans une maison au Caire. Après un court temps de repos dans la salle d’attente. Les trois entrent ensuite dans ladite « salle d’allégeance ». Mahmoud As-Sabbagh décrit cette salle étant délibérément obscure. La lumière étant très faible, pour les besoins de ce rite un peu particulier. Lorsque le jeune et ses accompagnateurs rentrent, ils n’y trouvent qu’un tapis au sol, une petite table basse, au milieu, sur laquelle est posé un Coran. Derrière cette table, le premier commandant – Saleh Ashmawi – est totalement méconnaissable par le jeune, se tenant assis, vêtu d’une cape couvrant tout son corps, de la tête aux pieds, et ne laissant paraître que ces deux mains posées sur la petite table basse.

2-_allegeance_Tanzim_al_khas.png Egypte dans Religion
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Tout le monde s’asseyait par terre. L’homme intégralement voilé rappela au jeune l’obligation du Jihad armé, en récitant des versets coraniques allant dans le sens de cette légitimation. Il rappela aussi l’obligation de l’obéissance absolue, et sans réserves, au donneur d’ordre. Il rappela, encore une fois, l’obligation de garder le secret de son appartenance à cette milice et aussi celui des opérations. Le jeune ne devait en parler à personne, pas même à ses parents. Il rappela ensuite le sens de l’allégeance qui est un engagement moral, spirituel et militaire irrévocable. Le jeune ne pouvait plus faire marche arrière dès qu’il accepta de s’engager. 

Justement, en cas d’engagement, au terme de cette cérémonie assurément obscure, le jeune n’avait plus que deux alternatives : ou bien tout faire pour assurer la victoire de l’islam, ou bien mourir pour sa cause. Le responsable rappela, enfin, au jeune que s’il ne respecte pas l’un de ses engagements, s’il trahit ses « frères moujahidouns », il signerait ainsi, par cette désobéissance, l’acte même de son élimination physique inévitable par la confrérie et, en plus, il encourait le châtiment divin en Enfer, le jour du jugement dernier ! 

Enfin, il demanda au jeune de poser son pistolet sur la petite table, à côté du Coran, et de poser ensuite, une main sur le Coran et l’autre sur le pistolet, en répétant la formule d’allégeance, le plus sincèrement possible. Ainsi, l’alliance entre « l’idée » – cette idéologie qui instrumentalise le Coran – et la « force »  - ce pistolet remplaçant les deux sabres – devait dès lors s’associer pour toujours dans l’esprit du jeune, tel un mariage catholique à vie. Certains disent qu’Hassan Al-Banna aurait emprunté cette cérémonie des modes des « frères » maçonniques. Peut-être !Au bout de ce parcours de combattant, le jeune est reconnu « soldat » dans cette armée islamiste secrète d’Hassan Al-Banna. Dès lors, il ne reste plus qu’à attendre l’ordre militaire pour une première mission commando.

Jeunes « frères » : assassinats politiques et Jihad armé !

Mahmoud As-Sabbagh dresse quelques exemples d’actions violentes et d’assassinats politiques exécutés par cette brigade secrète. Ainsi, la milice « al-Tanzim al-Khas », a assassiné le 24 février 1945 le premier ministre égyptien Ahmed Mahir Pasha pour un différend purement politique. 

Aussi, la jeunesse militarisée des « Frères Musulmans » a participé activement lors des émeutes qu’a connues l’Egypte en novembre 1946, sous le nom de «Journée de l’incendie » (يوم الحريق[6]). Ce jour là, cette jeunesse, très spirituelle, disait-on, a brulé des livres anglais ; renversé et incendié des wagons de trams ; cassé les façades des commerces et autres bâtiments publics, etc.

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Le 3 décembre 1946, elle a fait exploser simultanément des bombes dans différents bureaux de police égyptienne. 

En 1947, elle a posé une bombe dans un cargo juif à Port-Saïd.  Et dans le cadre d’une action punitive contre des juifs, cette milice a chargé des jeunes pour bruler plusieurs maisons, habitées par des juifs égyptiens, dans deux quartiers différents du Caire, pour le motif que ces juifs, égyptiens depuis quelques dizaines de siècles, auraient soutenu, matériellement, le mouvement sioniste. 

D’autres actions armées ont été menées, à de nombreuses reprises, contre l’armée anglaise. Ces milices ont joué aussi un rôle important dans l’armement des fractions palestiniennes.

« Enfants-Soldats » pendant la guerre de 1948 !

Dans ses mémoires « Les frères musulmans pendant la guerre de la Palestine » (الإخوان المسلمون في حرب فلسطين), paru en arabe en 1987, Kamel al-Sharif (1926 – 2008), qui avait rejoint la confrérie en 1947, à l’âge de vingt-et-un an, s’est souvenu du courage de tous ces jeunes « frères », qui sont venus de l’Egypte, pour faire le Jihad armé contre les juifs. 

Il s’agissait de jeunes adolescents, collégiens et lycéens, qui, après avoir été longuement sensibilisés et formés, dans des cellules fermées et des camps d’entrainement secrets d’« al-Tanzim al-Khas », et aussi grâce aux sermons apologétiques en faveur du Jihad armé, d’un certain Saïd Ramadan[7] (1926 – 1995) – le père des frères Hani et Tareq – ils étaient partis au front, en « enfants-soldats », en petits moujahidouns, souvent sans l’autorisation de leurs familles !

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Kamel al-Sharif dit : «  Je me souviens de ce jour où un groupe de quinze jeunes frères, de moins de seize ans, tous lycéens, sont venus nous rejoindre pour combattre à nos côtés. A ma question au sujet du motif de leur arrivée, ils m’ont répondu qu’ils venaient de finir leurs études, avec succès, et qu’ils souhaitaient accomplir à nos côtés l’obligation du Jihad »[8]

Un autre passage de ses mémoires raconte la détermination d’un enfant nommé Abdelmounim Saïd qui, pour convaincre son oncle, totalement opposé à son engagement aux seins des milices fréristes pour combattre en Palestine, au vue de son très jeune âge, il disait : « Je ne veux pas revenir avec toi, laisse-moi payer une partie de ma dette envers l’islam »[9]

Un autre passage raconte le conflit entre un jeune « frère » et sa famille. Celui-ci, comme bien d’autres jeunes, avait décidé de rejoindre le front des combats. Sa famille ne l’a pas laissé partir et l’a enfermé dans une chambre. Après les avoir menacés de se suicider, il a réussi à s’échapper, à s’équiper et à rejoindre les jeunes militaires de la confrérie. Dès son arrivée, il disait à ses « frères » : « Le paradis m’appelle ». Deux jours plus tard, il s’est fait tué[10].

La voix du pistolet !

Cette milice est aussi responsable de l’assassinat politique, le 22 mars 1948, d’un juge égyptien nommé Ahmed Al-Khazindar, jugé par la confrérie comme étant partial. Les « frères » le considéraient injuste et très dur envers leurs prisonniers et très laxiste envers les autres. Dans son livre « Avec l’imam martyr Hassan Al-Banna » (مع الإمام الشهيد حسن البنا), paru en langue arabe en 1993, l’auteur Mahmoud Assaf – qui connu et fréquenté Hassan Al-Banna dans sa jeunesse – confirma cette information et dit que cet assassinat, en particulier, était une erreur de compréhension et d’interprétation d’un souhait d’Hassan Al-Banna, par les responsables de la milice secrète. 

En effet, le guide-suprême était visiblement choqué des sentences exprimées par ce juge. Il aurait prononcé une invocation, en présence du commandant Abderrmane Al-Sindi, de son bras armé, en disant : « Puisse Dieu faire disparaître ce juge » ! Le commandant de la brigade avait interprété l’invocation du guide-suprême comme étant un « feu vert » pour ouvrir le feu sur le corps de ce magistrat égyptien. Ainsi, Hassan Al-Banna aurait exprimé, avec sincérité un « simple » vœu, « al-Tazim al-Khas », et non pas Dieu, l’a tout de suite exaucé[11] ! 

Peu de temps après cet assassinant, Hassan Al-Banna a démis de ses fonctions Abderrmane Al-Sindi et a nommé à sa place un autre jeune ingénieur nommé Sayyid Faïz

Par ailleurs, pendant presque une décennie, cette brigade est restée secrète, jusqu’au 15 novembre 1948. Ce jour là, au Caire, la police égyptienne a intercepté une voiture de la marque « Jeep », sans aucune immatriculation, contenant des explosifs, des valises et des documents secrets. Elle arrêta ensuite une soixantaine de « frères » militants et leur dirigeant, Mustafa Machhour, âgé de vingt-sept an, à ce moment là et qui, pour information, avait rejoint la confrérie dès l’âge de quinze ans ! 

Au moment de l’arrestation, la police avait trouvé dans son cartable, et a saisi chez lui et chez les autres, des documents top-secrets dévoilant l’existence et les plans d’ « al-Tanzim al-Khas ». Un important procès s’en est suivi. La justice égyptienne avait décidé, avant la fin du procès, et dès le 8 décembre de la même année, la dissolution de la confrérie, non sans liens avec la participation militaire des « frères » dans la guerre de 1948, à côté des palestiniens. 

Le 28 décembre 1948, un jeune étudiant en médecine vétérinaire, nommé Abdelmaguid Ahmed Hassan, « frère musulman » depuis l’âge de quinze ans, et  membre de cette brigade secrète – après avoir été autorisé expressément par un avis juridique (fatwa), émanant du « mufti du sang » de la confrérie de l’époque, le cheikh Sayyid Sabeq (1915-2000),  qui fut « frère » aussi dès ses dix-neuf ans – a été missionné pour venger des militants emprisonnés et la décision judiciaire imposant la dissolution de la confrérie.

5-sayyid_sabiq.png Enfant-Soldat
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En effet, il a réussi, un matin à dix heures, à assassiner, le premier ministre égyptien de l’époque Mahmoud Fahmi an-Nukrashi Pasha (1888 – 1948). Hassan Al-Banna avait certes condamné, officiellement, cet assassinat, même si la fatwa était exprimée par une référence jurisprudentielle de la confrérie, et même si la petite main qui avait appuyé sur la gâchette était aussi celle d’un jeune « frère musulman ». Sa condamnation purement déclarative de la violence, considérant les tueurs comme n’étant : « ni musulmans, ni frères », n’avait visiblement pas convaincu des responsables politiques, en interne comme en externe, surtout après l’éclatement de « l’affaire de la jeep » et la mise à nu d’ « al-Tanzim al-Khas ». 

Qui a assassiné Hassan Al-Banna ?

Deux mois plus tard, le 12 février 1949, le guide-suprême fut assassiné à son tour par les services secrets égyptiens du roi Farouk (1920 – 1965), selon la version officielle, défendue aussi par la confrérie depuis toujours. Toutefois, d’autres versions existent et seraient plutôt crédibles[12]. Cette question mérite d’être traitée dans un article indépendant, j’y songerais prochainement. L’une de ces versions laisse entendre que l’assassinat d’Hassan Al-Banna aurait été commandité par un « frère musulman », ex-responsable de la branche armée, qui a été mis au placard par le guide suprême, après l’assassinat du magistrat égyptien. Il s’agirait d’un certain Abderrmane Al-Sindi !

7_abderrahmane_alsindi.png Epitres des enseignements
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En effet, lorsqu’Hassan Al-Banna avait démis de ses fonctions cet ancien commandant, il avait nommé à sa place le jeune ingénieur Sayyid Faïz. Cette nomination avait été très mal vécue par Abderrmane Al-Sindi, ce qui aurait motivé son passage à l’acte criminel contre son guide-suprême. Cette version existe. 

Mais, ce qui est certain, c’est qu’après l’assassinat du guide-suprême, le même Abderrmane Al-Sindi avait repris « officieusement » le contrôle de cette branche armée. Cette situation n’avait pas plu au deuxième guide-suprême, Hassan Al-Houdaybi (1891-1973), qui décida de geler momentanément les activités « coup de poings », devenues incontrôlables, de cette branche armée, voire de la dissoudre purement et simplement. 

Il décida d’écarter définitivement Abderrmane Al-Sindi de toute fonction au sein de cette branche. Il nomma un nouveau « frère » pour réorganiser les milices et recentrer leurs actions vers un Jihad exclusivement orienté contre les ennemis de l’extérieur, et non pas contre les égyptiens. 

Le nouveau responsable s’était vu épauler par les services de l’ingénieur Sayyid Faïz. Les rapports se sont devenus conflictuels entre les «  frères » ennemis d’un côté, et aussi entrele guide-suprême et Abderrmane Al-Sindi, de l’autre.Ce dernieraurait décidé alors de passer à l’acte criminel, et d’éliminer celui qui a repris sa place à la codirection de cette branche armée, qu’il avait lui-même créé en 1940, avec Saleh Ashmawi sous les ordres d’Hassan Al-Banna

Le 20 novembre 1953, quelques jours seulement après la fête du Mawlid Nabawi – l’anniversaire de la naissance du Prophète – le « frère » ingénieur Sayyid Faïz a reçu chez lui un colis piégé. Il s’agissait d’un coffret ressemblant fortement à une boîte de gâteaux. Le coursier précisa à son petit frère de neuf ans, qui avait ouvert la porte, qu’il s’agissait d’un « cadeau » adressé spécialement à Sayyid Faïz, à l’occasion de la fête du Mawlid, et que personne, à part lui, n’avait le droit de l’ouvrir. 

Lorsque le « frère » ingénieur commença à défaire le nœud du ruban et à ouvrir ce « cadeau », la dynamite qui y était dissimulée, en quantité suffisante, s’est explosée. Sayyid Faïz a été assassiné sur le coup chez lui, son petit frère aussi, ainsi qu’une petite fillette qui marchait, à cet instant précis, en dessous du balcon qui s’est écroulé à cause de l’explosion. Abderrmane Al-Sindi a été désigné coupable de cette assassinat par de nombreux témoins de la confrérie. Trois jours après ce crime ignoble, celui-ci a été viré de la confrérie avec d’autres « frères », définitivement. 

En découvrant ces pages rouge-sang de l’histoire secrète de la confrérie, je me suis dit, effectivement, à force de manier deux sabres (et des explosifs) au nom du Coran, l’on finit décidément par se blesser à mort. Jésus aurait dit : «Tous ceux qui prendront l’épée, périront par l’épée ». Hassan Al-Banna, qui avait planté la graine dans les têtes des jeunes, en a fait les frais ainsi que bien d’autres jeunes « frères », membres d’ « al-Tanzim al-Khas », après son assassinat.

Sayyid Qotb et Mohamed Morsi : Maître et disciple.

Une nouvelle fois, Saleh Ashmawi, le fondateur opérationnel de cette brigade de jeunes paramilitaires – qui était aussi l’émissaire officiel d’Hassan Al-Banna au Pakistan, et qui a rencontré, à plusieurs reprises, Abou Ala Al Maududi (1903 – 1979) – le leader charismatique de la « Jama’a Islamiyyah » pakistanaise -  tenta de ressusciter « al-Tanzim al-Khas » à nouveau. 

Toujours en 1953, il réussit un coup de maître en recrutant, avec d’autres, un nouveau souffle idéologique, nommé Sayyid Qotb (1906 – 1966), qui représentera par la suite, une synthèse presque parfaite de l’idéologie du Tamkine politique, et du Jihad armé global et sans frontières, abondamment prônée et voulue par Hassan Al-Banna  et par l’autre idéologue pakistanais Abou Ala Al Maududi. 

Durant, plus d’une décennie, la nouvelle recrue théorisa davantage ces concepts et prôna l’usage des armes, contre toute société qui serait souffrante des travers de ce qu’il nomma « société de Jahilliyyah » (المجتمع الجاهلي), désignant ainsi toute société qui ne témoignait pas, ou pas assez à ses yeux, premièrement, une complète dévotion dans la reconnaissance et l’adoration d’un seul et unique Dieu. Et deuxièmement, qui ne s’appliquait pas exclusivement la loi divine (la Charia). La société égyptienne ainsi que d’autres sociétés arabo-musulmanes reflétaient, aux yeux de Sayyid Qotb, cette réalité de Jahilliyyah 

Sayyid Qotb développa un deuxième concept, celui dit de la Hakimiyyah (الحاكمية), qui n’est autre, en vérité, que le synonyme parfait dudit Tamkine. Dieu, celui des « Frères Musulmans »,  doit, selon cet idéologue islamiste, gouverner totalement la société et le monde entier, et doit être « Le » législateur unique, exclusif et suprême de l’Etat islamique et de toutes ses institutions. Ainsi, la Hakimiyyah est l’application exclusive de la Charia, dans la sphère individuelle comme dans la sphère communautaire et institutionnelle. Le calife, ce représentant et porte-parole « frériste » autoproclamé de Dieu sur terre,  doit tout gouverner au nom de la loi divine et sans exceptions. Car, la Charia – issue, par l’œuvre de « frères » juristes, du Coran et de ladite Sunna – aurait réponse à tout, et l’on ne serait musulman, vraiment musulman, que si elle gouverne tout, vraiment tout. « L’islam est la solution » ne cesse de le rappeler, par la suite, les « frères » à chaque occasion électorale.

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Par ailleurs, si le concept de Jahilliyyah n’a pas été utilisé, peut-être, par Hassan Al-Banna, dans ses écrits, au moins en ces termes là, même si certains passages posent de sérieuses questions – Sayyid Qotb l’aurait emprunté presque intégralement de la pensée d’Abou Ala Al Maududi,qui l’utilisait dans un continent indien multiconfessionnel avant l’indépendance – le terme Hakimiyyah, quant à lui, demeure la visée finale de la stratégie Tamkine, théorisée d’abord par Hassan Al-Banna lui-même, par le truchement de certains passages coraniques, et développée, ensuite, par ses différents successeurs, parmi lesquels, de nombreux qotbistes, d’hier et d’aujourd’hui, à l’image de Mohamed Khayrat al-Chater et d’ Ali Sallabi, entre autres. 

Ainsi, avec le recrutement de Sayyid Qotb – qui n’a jamais rencontré Hassan Al-Banna de son vivant -  le courant qotbiste était né. L’ascension vers le pouvoir menant à atteindre ladite Hakimiyyah (le Tamkine) peut se poursuivre donc par tout moyens, y compris par le recours aux armes et à la violence au nom du Jihad armé. 

Depuis, la branche militaire, devenue totalement incontrôlable par la direction de la confrérie, continuait ses activités secrètes, totalement en phase avec la pensée qotbiste, malgré les interdictions et les répressions, et sous le commandement effective de Sayyid Qotb, qui s’y était engagé activement, y compris lorsqu’il était derrière les barreaux. 

Sayyid Qotb fut pendu le 29 août 1966 à cause de ses activités secrètes et ses publications idéologiques, en l’occurrence, ses deux livres : « Jalons sur la route » (معالم في الطريق) et « A l’ombre du Coran » (في ظلال القرآن). Nombreux de ses jeunes élèves, étaient condamnés aussi à de la prison ferme pour leur adhésion, interdite par la loi, à cette brigade secrète, assurément sous l’influence idéologique de Sayyid Qotb et sous son commandement militaire directe depuis sa cellule.

Le « Tanzim des dizaines » ?

Parmi ces élèves qotbistes, il y avait tout d’abord un certain Mostafa Chokri (1942- 1978), qui fut « frère » avant de quitter la confrérie et de fonder son groupe takfiriste, en totale rupture avec la société égyptienne. Mostafa Chokri[13] était très influencé par la pensée de Sayyid Qotb, il a eu, d’ailleurs, le même sort que son maître. Il fut condamné lui aussi à de la peine de mort et fut décapité en 1978. Son groupe est connu depuis sous le nom de « L’anathème et l’exil » – Al-Takfir wal Hijra[14] (التكفير و الهجرة). A son triste palmarès, de nombreux assassinats et attentats. 

Mais il y avait surtout un groupe, en particuliers, formé principalement de jeunes « frères musulmans », qui venaient de bénéficier d’une libération anticipée de la prison, et qui étaient devenus très actifs et très inquiétants, en même temps, aux yeux du troisième guide-suprême de la confrérie Omar Tilmisani (1904 – 1986). Celui-ci surnommait ce groupe de jeunes le « Tanzim des dizaines » (تنظيم العشرات). Très vite, Omar Tilmisani, considéré par ailleurs comme représentant du courant réformiste al-Bannaoun (البناؤون), avertissait à son sujet  les « frères » de l’étranger, au milieu des années soixante-dix du siècle dernier.

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Dans son livre : « Secret du temple » (سر المعبد : الأسرار الخفية لجماعة الإخوان المسلمين), paru en arabe en 2012, l’ex-frère Tharwat al-Kharabawi [15] raconte que le troisième guide avait adressé, en décembre 1977, une lettre à Manna’a Al-Qattane, responsable de la confrérie en Arabie Saoudite, à Youssef Al-Qaradawi, responsable de la confrérie au Qatar [16] et à bien d’autres responsables dans les pays du Golf. 

Dans cette lettre Omar Tilmisani a écrit, je traduis : « Chers frères, prenez garde du Tanzim des dizaines. Ils ne font pas partis de la confrérie. Ce Tanzim est celui qui a été mis en place par Sayyid Qotb. Ils regroupent des gens acquis à l’idée takfiriste. Ils ont passé dix années dans les prisons [entre 1965 et 1975]. Raison pour laquelle nous les désignons par l’expression le Tanzim des dizaines. Ceux-là appartiennent désormais à un courant de pensée qui n’est pas le nôtre »[17]. Le troisième guide nomma ensuite, dans cette même lettre quelques personnes, comme Mohamed Badie, Mahmoud Ezzat et d’autres. 

Clairement, Omar Tilmisani ne considérait pas ce groupe comme représentatif de l’idéologie des « frères », encore moins de celle d’Hassan Al-Banna. Ce groupe takfiriste, très à l’aise avec l’usage de la violence, représentant fidèlement, aux yeux du guide-suprême l’idéologie qotbiste, ne devait plus, dès lors, être considéré comme, lié d’une quelconque façon, aux « Frères Musulmans ». Le bruit de cette lettre du guide est tombé ensuite dans l’oreille d’un certain « Mustafa Machhour », qui n’avait pas apprécié son contenu, et avait décidé de partir en voyage, dans les différents pays du Golf et ailleurs, rencontrer les destinataires de cette lettre, pour en neutraliser l’effet. Et c’est bien au terme de cette tournée mondiale qu’il s’est installé en Allemagne, à Munich, pour se consacrer à la création de l’organisation internationale des « Frères Musulmans » en 1982 et de pousser son gendre, étudiant à Nancy, à créer, avec d’autres, et devenir le premier président de l’UOIF en 1983 !

Al-Qaradawi attaqué par le « Tanzim des dizaines » !

Pour l’anecdote, le 19 août 2009 – un an et quelques mois avant la révolution du 25 janvier 2011 qui a permis la chute d’Hosni Moubarak et l’ascension du « frère » Mohamed Morsi au palais présidentiel – Youssef Al-Qaradawi était l’invité du syndicat des journalistes au Caire. Lors de son intervention[18], il a expliqué ses divergences avec la pensée takfiriste de Sayyid Qotb. Cette déclaration, malgré les prudences langagières diplomatiques d’Al-Qaradawi, n’avait pas plu naturellement aux qotbistes, dirigeant actuellement les « frères », et particulièrement à Mahmoud Ezzat, secrétaire générale de la confrérie à cette époque, et actuel guide provisoire, qui, dès le lendemain, a répondu par médias interposés au cheikh qatari, regrettant son propos et disant clairement qu’Al-Qaradawi n’avait simplement pas compris la pensée de Sayyid Qotb, rien que ça !  

Quelques jours plus tard, Diaa Rachwan, journaliste spécialisé dans les mouvements islamistes au « Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques » (CEPS) du quotidien  Al-Ahram, a enregistré une émission[19] avec Youssef Al-Qaradawi, pour le compte de la chaine satellitaire égyptienne « Fareen Chanel », pour détailler davantage son propos et son témoignage au sujet de la pensée de Sayyid Qotb. Al-Qaradawi confirma alors, entre autres, que Qotb avait commis une erreur grave lorsqu’il a jeté l’anathème sur des individus et sur les régimes politiques dans des pays musulmans (Jahilliyyah).Al-Qaradawi avait fini son propos par confirmer que le courant de la pensée qotbiste ne peut être représentatif de la pensée des « Frères Musulmans ». Il a même averti ceux qui lisent Sayyid Qotb de faire très attention, et de ne pas tomber prisonniers de ses idées dangereuses. 

Les déclarations d’Al-Qaradawi avaient mis le feu, par conséquent, dans la demeure frériste au Caire. Le journaliste Diaa Rachwan devait accepter donc le principe de permettre à la direction actuelle des « frères », qui s’est sentie visée et vilipendée, de répondre et de défendre la pensée de leur grand maître takfiriste, pendu en 1966. Deux représentants de la direction, un certain Mahmoud Ezzat et un certain Mohamed Morsi, étaient présents sur le plateau et un troisième, un certain Mohamed Badie, avait pris la parole par téléphone. Les enregistrements de cette émission sont accessibles, pour les arabophones, sur Youtube[20]

Mahmoud Ezzat avait défendu corps et âme la pensée qotbiste. Il avait confirmé, entre autres, que les idées de Sayyid Qotb sont, ni plus ni moins, « les » idées des « Frères Musulmans » ! 

Mohamed Morsi, quant à lui, il a confirmé qu’il a lu les idées de Sayyid Qotb après sa mort. Il y avait découvert, dit-il, l’islam et sa vision globale. Mohamed Morsi avait regretté l’ignorance d’Al-Qaradawi, qui n’aurait pas compris la pensée qotbiste, car souffrant d’un déficit en … langue arabe ! Morsi disait que si vraiment Al-Qaradawi connaissait bien la langue arabe, il aurait compris que ce que disait Sayyid Qotb dans ses livres, était simplement l’islam dans sa globalité et dans sa grandeur. Mohamed Morsi proposa implicitement, au court de cette émission, à Al-Qaradawi de demander renseignements aux « grands », ceux qui maitrisent la langue arabe !   

Avant la fin de l’émission, Mohamed Badie décrocha son téléphone pour appuyer, à son tour, les propos de ses deux « frères » présents sur le plateau, dans leur défense de la pensée qotbiste et pour renvoyer Al-Qaradawi à « ses » graves ignorances de la vraie pensée « salutaire » de Sayyid Qotb ! Pour l’anecdote, Mohammed Badie déclare avoir découvert le Coran et le sens de la foi islamique, le jour où il a lu le livre : « A l’ombre du Coran » (في ظلال القــرآن) de Sayyid Qotb. Tout un symbole ! Ceci explique cela.

10_Sayyid_Qotb_tanzim_des_dizaines.png Hassan Al Banna
© ML

Dans son livre susmentionné, Tharwat al-Kharabawi raconte que, suite à cet événement, lorsqu’Al-Qaradawi avait vu la réponse de la direction des « frères » et leur défense acharnée de la pensée qotbiste, il était très surpris. Quelques jours plus tard, lorsqu’ il a rencontré le penseur islamiste et réformiste Mohamed Salim Al-Aoua, il lui a posé la question au sujet de cette riposte surprenante de la direction. Mohamed Salim Al-Aoua lui a confirmé que ceux-là – Mahmoud Ezzat, Mohamed Badie et Mohamed Morsi – se sont les jeunes membres dudit « Tanzim des dizaines », des années soixante-dix, que le troisième guide suprême Omar Tilmisani avait averti à leur sujet dans sa fameuse lettre datant de 1977. 

A l’époque, ils étaient jeunes, voire très jeunes, et très minoritaires. Aujourd’hui, ce sont eux qui dirigent les « Frères Musulmans », en rupture partielle avec la pensée du fondateur et en fidélité aveugle à la pensée takfiriste et violente de Sayyid Qotb.En effet, ce sont bel et bien des membres de ce même groupe, jeunes à l’époque de Sayyid Qotb, qui dirigent désormais la confrérie islamiste en Egypte. Ce groupe, selon les révélations de Tharwat a-Kharabawi a réussi, depuis les années quatre-vingt, à écarter, petit-à-petit, avec toutes sortes de manipulations et de coups tordus, les « frères » réformistes et à les rendre très minoritaires dans les organes décisionnels.

tharwat_al_kharabawi.png jeunesse
© ML

Parmi les membres de ce « Tanzim des dizaines », on trouve évidemment Mohammed Mahdi Akef, né en 1928, devenu « frère » en 1940, à l’âge de douze ans,  et qui, entre 2004 et 2010, avait assuré les fonctions du septième guide-suprême. 

L’on trouve aussi Mohammed Badie, le huitième guide-suprême, devenu « frère » en 1959, à l’âge de seize ans. La police égyptienne l’a arrêté en août 2013, et la justice l’a condamné à mort en 2014, puis en avril 2015, pour motifs de « planification de recours à la force contre l’Etat », « incitation au chaos et à la violence », etc.L’on trouve aussi l’actuel guide-suprême, par intérim, Mahmoud Ezzat – vivant caché dans la clandestinité à Gaza, ou au Qatar, ou au Yémen, ou en Turquie – toujours recherché par la justice égyptienne. Il est né en 1944 et avait bénéficié visiblement des activités « ludiques » de la confrérie, dès ses neuf ans en 1953. Il est devenu officiellement « frère » en 1962. Il faisait parti, bien avant le « Tanzim des dizaines », de la brigade paramilitaire secrète de la confrérie « al-Tanzim al-Khas ». Il était considéré comme étant le bras droit de Sayyid Qotb.  Certains le surnomment désormais  «L’homme de fer», « le monsieur X des frères », « le chef de fil du courant qotbiste » ou bien « Le renard » !

A côté de son « frère » de toujours, Mohammed Khayrat al-Chater, il avait joué un rôle sous-terrain déterminant dans la formulation du plan stratégique « Tamkine » (خطة التمكين), découvert par la police égyptienne en 1992, en marge de ladite « Affaire Salsabîl ». Un plan qui expliquait la stratégie et les étapes de l’ascension de la confrérie vers le pouvoir suprême, en infiltrant, en priorité, les corps de « l’armée », des « médias » et de la « justice », ainsi que d’autres secteurs vitaux de la vie politique et économique. Parmi ses élèves les plus brillants, on trouve un certain … Mohamed Morsi !

Ce sont bel et bien des « jeunes » qui, il y a presque un demi siècle, avait apprit  l’idéologie takfiriste  et la nécessité du recours à la violence. Ils avaient appris cela tout jeune au collège, au lycée et à l’université, directement à la source : Sayyid Qotb. Depuis, ses idées ne les quittent plus.

« Jeunesse » d’Hassan Al-Banna et le terrorisme islamiste !

Ainsi, cette jeunesse ciblée, hier, par Hassan Al-Banna ; éduquée dès l’enfance dans ses cellules spirituelles fermées ; embrigadée au sein du fameux « al-Tanzim al-Khas » ; formée à manier des pistolets et des armes ; missionnée pour accomplir des actes de guérilla urbaine et des assassinats politiques, une fatwa dans une main et un pistolet dans l’autre, endoctrinée par la suite par de redoutables idéologues de l’acabit d’ Abou Ala Al Maududi et de Sayyid Qotb ; emprisonnée des années durant pour des motifs sérieux de criminalité secrète en bande organisée et radicalisée derrière les barreaux, etc. Cette jeunesse qotbiste, vidée de toute substance humaniste, sacrifiée sur le chemin du Tamkine politique, devenue « adulte » depuis, elle continue désormais de rythmer hélas le quotidien troublant d’une Egypte au bord du chaos généralisé, et d’une « bonne » partie de la planète, qui demeure en larme et en sang, et peut-être pour des dizaines d’années encore !

 

abou_mousaab_al_souri.png Jihad armé
© ML

Au-delà de ces exemples concrets, un récent rapport britannique[21], datant d’avril 2015, réalisé par des avocats et autres juristes, démontrent que les « Frères Musulmans », et particulièrement leur pensée dominante, dans sa représentation qotbiste, takfiriste et violente, est à l’origine des principaux mouvements terroristes contemporains : Al-Qaïda ; l’Etat Islamique (Daesh) ; Boko Haram ; Mouvement Al-Shabaab somalien (Al-Shabaab veut dire « la jeunesse ») ; Ansar Bayt Al-Maqdes (les Partisans de Jérusalem), etc. Ce rapport démontre, entre autres, les liens réels existants, ou qui ont existé, entre les principaux fondateurs et leaders de ses organisations terroristes et la maison-mère « les Frères Musulmans », et plus particulièrement sa branche paramilitaire « al-Tanzim al-Khas » !

Par ailleurs, lorsque l’on se plonge dans la lecture attentive des quelques mille six cents pages de ladite « Bible du Jihad », intitulée « Appel à la résistance islamique mondiale »[22], disponible gratuitement en arabe sur Internet,  rédigée en arabe par le syrien Mustafa Ben Abdelkader Setmariam Nassar, connu sous le pseudonyme d’Abou Moussab Al-Souri, qui avoue clairement les liens de parenté entre le jihadisme actuel et les « Frères Musulmans », et qui démontre les liens entre le terrorisme internationale et la pensée qotbiste. Sur sa page officielle, Abou Moussab Al-Souri propose le téléchargement gratuit de nombreux livres de Sayyid Qotb[23]. Dès lors, le doute et la prudence n’ont plus aucune de raison d’être. En tout cas, pas dans mon esprit.

« Épître des enseignements », ce sermon militaire qui permet d’adhérer à l’UOIF !

Lorsque l’on sait, premièrement, que, depuis au moins une trentaine d’années, le courant qotbiste – à l’origine de l’UOIF – est devenu majoritaire, ici comme ailleurs, et qu’il a depuis, éduqué et endoctriné d’autres jeunes recrues en leur servant la pensée qotbiste jihadiste et takfiriste comme matière spirituelle principale.

Lorsque l’on sait, deuxièmement, que les cadres de la confrérie considèrent les actes violents, commis par « al-Tanzim al-Khas », comme des actes d’adoration permettant de se rapprocher du Seigneur, comme l’avouait, avec fierté à provoquer le dégoût, un certain Mamoun Al-Houdaybi (1921-2004) – qui fut sixième guide-suprême entre 2002 et 2004 – lors du débat qui l’avait opposé, en 1992, au penseur égyptien Farag Fouda, peu de temps avant l’assassinat de ce dernier par un jihadiste.

Lorsque l’on découvre, troisièmement, cette chose qui me scandalise – sur laquelle je m’arrêterai un peu plus au prochain article – que « l’épître des enseignements » (رسالة التعاليم[24]), qui était au temps d’Hassan Al-Banna exclusivement réservée aux recrues de la branche paramilitaire, dans un contexte d’une Egypte colonisée, et qui n’était pas destinée à l’ensemble des « Frères Musulmans ». Lorsque l’on sait que cette épître est devenue désormais, par les qotbistes du Caire comme par ceux de Paris, la base de l’endoctrinement et de l’allégeance.

 

12.png JMF
© ML

Pire encore, lorsque l’on sait qu’une bonne partie de cette épître, destinée il y a quatre-vingts ans, uniquement aux « frères moujahidouns », et qu’elle est désormais enseignée officiellement à des jeunes français, filles et garçons, dans le cadre de « l’Institut Al-Qods », à la Mosquée de Lille-Sud et au « Centre Islamique de Villeneuve d’Ascq » par un « frère » professeur de mathématique au « Collège-Lycée Averroès », parmi d’autres !

Lorsque l’on sait tout ceci, et plus encore, et sur la base de tous ces constats amers, l’on est obligé de se poser la question pour savoir si derrière chaque membre de l’UOIF, qui avait fait allégeance à cette mouvance islamiste en apprenant les rudiments d’une « épître des enseignements » pour paramilitaire, ne se cachait pas, en vérité, un redoutable jihadiste potentiel.

Lorsque l’on sait tout ceci, l’on est forcé, par conscience, de craindre un avenir commun sombre, tâché de sang et peuplé de cadavres ! L’Histoire, une certaine histoire, pourrait se reproduire si l’on persiste à ne pas vouloir retenir les leçons qui s’imposent et à engager les mesures qui protègent.

Hassan Al-Banna et ses « jeunes » en Europe !  

Ce qui est sûr et certain, c’est qu’une partie de la jeunesse musulmane, française et européenne, est désormais piégée entre les mailles du filet qotbiste, que ce soit dans un établissement scolaire privé à Lille, ou dans un institut de formation religieuse ici ou ailleurs, ou dans une association de jeunes ou d’étudiants, ou pendant les colonies de vacances.

J’ignore si les « frères » ont des camps d’entrainement paramilitaire, quelque part en Europe ou à l’étranger. Il y a tellement de secrets dans ce genre d’organisation opaque. Ce que je sais, est absolument infinitésimal comparé à ce que j’ignore. Mais, je sais que le programme éducatif et spirituel « secret » de la « Fédération de Organisations Islamiques en Europe » (FOIE) recommande aux « frères » d’encourager leurs jeunes à s’engager dans le « sport du combat » et les « exercices de tirs ». Je sais, preuves à l’appui, que la FOIE encourage ses organisations membres – l’UOIF en l’occurrence – d’apprendre à cette jeunesse comment conduire, par exemple, une manifestation dans la rue et comment organiser des sit-ins de contestation. Tout cela, voudrait-il dire quelque chose ?

Par ailleurs, il faudrait rappeler, comme évidence, que la jeunesse « frériste » est désormais très bien installée et organisée, localement et à l’échelle de l’Europe. L’organisme qui regroupe et fédère toutes ces énergies associatives, s’appelle le FEMYSO[25]. Il siège à Bruxelles. Créé en 1996, à partir de dix-neuf organisations de jeunes, représentant onze pays européens. Il contient désormais trente-deux associations de jeunes et d’étudiants, venant de vingt-et-un pays.

Son pouvoir d’influence – s’inscrivant dans la stratégie frériste du Tamkine – ne cesse d’augmenter. Il est souvent consulté par les organes centraux de l’Europe : « Le Conseil de l’Europe », « La Commission Européenne » et le « Parlement Européen ». Il est même subventionné par les instances européennes. Le FEMYSO est l’un des acteurs très actifs, depuis quelques temps, sur le terrain « fertile » de la lutte contre ladite islamophobie. Une stratégie permettant d’attirer des victimes de la xénophobie, d’instrumentaliser politiquement une cause, et de se trouver un créneau porteur, au sein du tissu associatif luttant pour les « Droits de l’Homme » ! 

Force est de constater que l’islamophobie – Cette arme dégainée à l’encontre de toute personne qui oserait critiquer les travers et les dangers de l’idéologie islamiste, y compris lorsque cette personne est musulmane – rapporte beaucoup en ces temps de crises. Les « frères » excellent dans l’art de la victimisation à outrance !

Hélas, les manœuvres de cette jeunesse « frériste », issue du FEMYSO ou faisant parti de la frérosphère de Tareq Ramadan, sont désormais soutenues par d’honorables universitaires et personnalités de gauche française. L’attitude et les motivations de ces derniers me sont totalement étranges. Je ne peux que les constater et les regretter au passage. Se dresser contre tout racisme et contre toute haine est, certes, un caractère de noblesse. Mais servir, inconsciemment, la pure idéologie qotbiste, au nom de la lutte contre l’islamophobie, ne permet que de faciliter son installation durable, ici en France et en Europe, après qu’elle a semé, additionnée à d’autres facteurs politiques, sociaux et économiques, le chaos ailleurs. Cela me paraît – ici le verbe est faible – d’une imprudence gravissime et sidérante.

Les « Frères Musulmans » continuent d’organiser et de surveiller la jeunesse du FEMYSO qu’ils ont fondé pour honorer la mémoire d’Hassan Al-Banna et d’avancer, petit-à-petit, sur le chemin du Tamkine planétaire. Une simple observation de la composition de l’équipe dirigeante de cette fédération européenne en ont dit long.

Pour exemples[26], la présidente actuelle du FEMYSO, Intissar Kheriji, est la fille de l’islamiste tunisien Rached al-Ghannouchi, le leader du mouvement Ennahdha.

 

13.png Mahmoud Ezzat
© ML

La vice-présidente, Hajar Al-Kado, est la fille du « frère » irakien Noah al-Kado, président du « Centre Culturel Islamique Irlandais » (ICCI) et membre de la fondation émiratie « Al-Maktoum ».

Le deuxième vice-président, Youssef Himmat, est le fils du « frère » Ali Ghaleb Himmat, actionnaire de la banque des « frères », nommée « Banque al-Taqwa », soupçonnée d’être le bras financier de la confrérie à l’échelle internationale, et qui était domicilié aux Bahamas, dans un « paradis » … fiscal !

Le responsable de la communication, Khaled Ghrissi, un grenoblois proche du Centre Culturel des Musulmans de Grenoble (CCMG) – UOIF ! – qui vient de préfacer un livre intitulé « Agir en démocratie », qui, à en croire sa quatrième de couverture, veut répondre aux questions : « Comment s’organiser pour peser sur les décisions ? Comment être à la fois critique et efficace ? Être représentatif sans être élu ? Être en conflit et coopérer ? Avoir du pouvoir sans le capter ? ».

Quant au trésorier du FEMYSO, Anas Saghrouni – ancien élève du « Lycée Averroès » – en plus qu’il est l’actuel président national de l’association des « Etudiants Musulmans de France », il est le fils aîné d’un « frère » ultra-qotbiste, Mohamed Taïeb Saghrouni – membre avec sa femme de l’équipe de direction nationale de l’UOIF – qui m’avait repéré et « chassé » dans une salle de prière, un vendredi du mois de décembre 1999, au campus universitaire de Lille 1, et qui, ensuite, m’avait invité à rejoindre sa cellule de formation fermée, tous les vendredis soir chez lui, ou chez d’autres membres de la même cellule.

C’était chez ce « frère » où se passait mon endoctrinement, censé être initiatique, pour exprimer mon allégeance à l’UOIF. Les supports idéologiques étaient, premièrement, « l’épître des enseignements », écrite par Hassan Al-Banna exclusivement pour sa branche paramilitaire « al-Tanzim al-Khas », et, deuxièmement, l’exégèse du Coran, qu’avez écrit Sayyid Qotb dans sa cellule de prison et que ses disciples avaient rassemblé et classé dans son livre : « A l’ombre du Coran ».

Ce « frère » ultra-qotbiste était là, à côté d’un certain Amar Lasfar, le jour de l’expression de mon allégeance à l’UOIF, il un peu moins de quinze ans. Ce jour-là, y avait aussi d’autres candidats. La lumière était adaptée, presque normale, mais sans être intense. Personne n’était caché derrière un voile intégral ou déguisé d’une cape. J’avais vu et lu le Coran, ce soir là, mais il n’y avait pas de pistolet, ni dans ma poche, ni dans mon esprit. Peut-être, y’avait-il un autre symbole remplaçant les deux sabres et le pistolet ? Un symbole qui aurait échappé à ma vigilance ? Peut-être.  

A suivre !

 


[1] Lire en arabe ici : http://www.ikhwanwiki.com/index.php?title=الجوالة

[2] Lire en arabe ici : http://www.ikhwanwiki.com/index.php?title=جهود_الإمام_البنا_وجوالة_الإخوان

[3] Cette information détaillée par quelques sources en arabe est synthétisée dans ce papier, à lire ici : http://www.bertrand-renouvin.fr/freres-musulmans-les-peres-du-djihad/

[4] Lire en arabe ici : http://www.ikhwanwiki.com/index.php?title=النظام_الخاص

[5] Mustafa Machhour fut un ex-dirigeant très remarqué de cette brigade armée. Il est le fondateur de l’organisation internationale de la confrérie, le fameux « Tanzim al-Dawli », à Munich en Allemagne, le 29 juillet 1982, presque un an, jour pour jour, avant la création de l’UOIF en août 1983, qui sera présidée, bizarrement, par son gendre Ahmed Nachatt, étudiant égyptien à cette époque à Nancy. Mustafa Machhour fut aussi guide-suprême de la confrérie entre 1996 et 2002.

[6] Lire en arabe ici : http://www.ikhwanwiki.com/index.php?title=الإخوان_المسلمون_وحكومة_صدقى_سنة_1946

[7] Lire en arabe ici : http://www.ikhwanwiki.com/index.php?title=سعيد_رمضان

[8] Kamel al-Sharif, 1987,  Les frères musulmans pendant la guerre de la Palestine (en arabe), al-Zahra lil’ialami wa al-nachr,  p. 56.

[9] Kamel al-Sharif, Ibid., p. 100.

[10] Kamel al-Sharif, Ibid., p. 101.

[11]Mahmoud Assaf, 1993, Avec l’imam martyr Hassan Al-Banna, Maktabat Aïn Chams,  p.146-150.

[12] Lire en arabe ici : http://www.ahl-alquran.com/arabic/show_article.php?main_id=11094

[13] Lire en arabe ici : http://www.islamist-movements.com/2303

[14] Lire un aperçu en français ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Takfirisme

[15] Avocat égyptien, « frère musulman » jusqu’à sa démission en 2002, après avoir été jugé par de curieux tribunaux d’inquisitions internes à la confrérie, selon ses dires, assigné à résidence et interdit de sortir de  chez lui pendant une période pour des raisons liées aux élections au sein du syndicat des avocats au Caire.

[16] Je consacrerai prochainement un article sur les conditions de conquête réussie du Qatar par la confrérie depuis plus d’un demi-siècle. 

[17] Tharwat al-Kharabawi, 2012,  Secret du temple (en arabe), Dãr Nahdat Misr, p. 293.

[18] Voir l’intégralité de cette intervention, en arabe, ici : https://www.youtube.com/watch?v=d0OpyARJS-E

[19] Visionner l’émission en arabe, ici : https://www.youtube.com/watch?v=lirXeL9NsA4

[20] Visionner l’émission ici : https://www.youtube.com/watch?v=b_XbHSxWuyk&list=PLB1PlgroC5hHbxpe0gNswkclu3DpXfqr7

[21] A télécharger ce document en format PDF ici : http://9bri.com/wp-content/uploads/2015/04/Report-on-the-History-of-the-Muslim-Brotherhood1.pdf

[22] Ce document est à télécharger en format PDF, ici : https://ia600505.us.archive.org/6/items/Dawaaah/DAWH.pdf

[23] Lire en arabe ici : https://www.tawhed.ws/c?i=63

[24] Télécharger le texte arabe de cette épître ici : http://www.ikhwanwiki.com/images/1/1c/رسالة_التعاليم.pdf

[25] Voir le site officiel ici : http://www.femyso.org/

[26] Ici, les noms des membres du comité exécutif : http://www.femyso.org/about/executive-committee


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