La démocratie tunisienne et le défi islamiste
1 07 2016Entretien avec Zyed Krichen [1]
Directeur de la Rédaction du journal tunisien Le Maghreb [2]
Mohamed Louizi : Le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, le jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, s’est immolé par le feu en contestation des autorités sous Ben Ali qui avaient confisquées sa marchandise. Un événement qui a enclenché la « Révolution du Jasmin » et, par ricochet, ce que l’on appelle désormais le « Printemps arabe » sur fond de revendications de justice sociale, de libertés et de démocratie. Presque six ans plus tard, l’on constate que partout dans le monde arabe, la force qui est sortie renforcée de cet épisode est l’islamisme, toute variante confondue. En Tunisie, la force politique qui s’est imposée est le mouvement islamiste Ennahda, la branche tunisienne des Frères musulmans. Quelques jours avant la tenue du dixième congrès de ce mouvement, qui s’est réuni du 20 au 22 mai, Rached Ghannouchi, son président, avait déclaré que son mouvement sépare « le religieux du politique » …
Zyed Krichen : En fait, il ne sépare pas tout à fait le « religieux » du « politique ». Il dit qu’il sépare la « politique » de la « prédication ». Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Pendant les dernières semaines avant la tenue du congrès, on ne parle plus de cela. On parle de la « spécialisation ». Donc le mouvement Ennahda va se spécialiser dans la politique, en laissant les autres spécialités, le religieux, le caritatif et autres, à la société civile. On va libérer l’initiative de la prédication. Le champ de la prédication ne sera plus fondamentalement le champ de la politique partisan mais le champ de la société civile.
M.L. : Est-ce qu’on peut toujours dire que le mouvement Ennahda est un parti islamiste ?
Z.K. : De toute façon, il le revendique lui-même. Même dans la conférence de presse du président du congrès, qui n’est autre que le secrétaire général du mouvement, Monsieur Ali Larayedh, il a dit : « nous sommes fiers de notre référentiel islamiste. Nous sommes un mouvement islamiste sauf que nous sommes un mouvement islamiste qui se spécialise dans la politique ». En même temps, ils disent : « nous nous conformons à la loi sur les partis », « nous agissons dans le cadre de la constitution ». Nous avons un mot en arabe (مدني), madani, qui peut être interprété de mille et une manières, comme cette interprétation littérale qui veut dire « non militaire », « civile ». Et donc eux, ils disent et le répètent : « pour nous, notre vision islamiste n’est pas contradictoire avec une vision civile de la société » et que, maintenant ce qu’ils disent de manière claire, et ça il faut le noter : « nous ne voulons pas détruire l’Etat présent. Pour nous l’Etat présent est un état musulman. Donc il nous satisfait. Nous nous réconcilions non pas avec la société mais avec l’Etat. Nous nous sommes tellement battus contre l’Etat, aujourd’hui nous estimons que cet état là, qui est un état démocratique, répond au critère de l’islamité telle que nous la définissons aujourd’hui. Et donc nous réconcilions avec l’Etat ».
M.L. : En disant cela, Rached Ghannouchi et son mouvement sont-ils sincères ou pas ? D’autant plus que leurs déclarations changeantes durant les vingt ou les trente dernières années, imposent la prudence …
Z.K. : Je crois les deux à la fois. En fait, ce que l’on appelle le double-discours – d’ailleurs je suis le premier à avoir utilisé cette expression en 1988 dans une série de papiers – n’est pas le synonyme du mensonge. C’est quoi le double-discours ? Cela veut dire que le mouvement islamiste Ennahda qui était fondé sur un discours clair, un discours qotbiste des Frères musulmans (relatif aux écrits de Sayyid Qotb), il se rend compte aujourd’hui que ce discours n’est plus adapté à sa réalité à lui, comme force sociale. Il ne peut plus l’assumer publiquement et en même temps il ne peut pas rompre avec lui.
Cet état de fait montre que c’est lui qui crée le double-discours. Quand ils sont à l’intérieur, ils ont plutôt un discours qotbiste. Quand ils sont avec d’autres forces politiques, ils ont un discours plus démocratiques. En fait, on peut même parler de triple voire de quadruple discours. Cela signifie qu’il n’y a plus la cohérence idéologique de départ. On est toujours dans un rêve de pouvoir concilier l’inconciliable, mais on n’a pas le courage, on n’a pas l’audace, on n’a pas la clairvoyance de développer une autre approche qui donnerait de la cohérence au mouvement islamiste.
Personnellement, je dirais que le mouvement islamiste tunisien depuis une bonne vingtaine d’années, mais surtout depuis 2014, a totalement perdu sa cohérence. Il est écartelé sur le plan intellectuel. Vous pouvez avoir tous les discours que vous voulez, du discours le plus rassurant au discours le plus inquiétant et sans qu’il y est, justement, la capacité de trancher. Être dans la cohérence, c’est pouvoir trancher. Mais trancher, c’est difficile. Trancher, c’est se séparer. Alors que le mouvement islamiste tend à gouverner, tend à avoir un poids électoral, s’il tranche, il va se séparer d’une partie de sa base, qui est de loin, beaucoup plus radicalisée que lui. Ça se comprend, parce que nous sommes dans un mouvement idéologique où la base chauffée à bloc et où les dirigeants négocient. C’est clair que les dirigeants ont plus d’expériences, plus d’ouverture, donc ils voient plus les dangers que la base. Ils n’arrivent pas à dire la vérité à leur base. Voilà le problème du double-discours.
J’ai une image, mais je ne sais pas si elle est vraie, si on prend n’importe quel dirigeant islamiste tunisien et si on fait un scanner à son cerveau, on va trouver des couches de sédimentations superposées. On va trouver bien sûr d’abord un peu de frérisme, ensuite un peu de salafisme wahhabite, ensuite un peu de religiosité à la tunisienne, ensuite un peu de modernité à la tunisienne, et ça fait ce qu’on appelle en Tunisie « un plat tunisien », composé de plusieurs produits, sans aucune cohérence entre eux et sans que ce scanner n’arrive à voir une vision syncrétique. On a des visions différentiées.
Alors, quand vous provoquez parfois une personne [dirigeante], elle vous sort une réponse wahhabite, ou salafiste, ou à la tunisienne ou je ne sais quoi d’autres. Elle pense que c’est une forme d’intelligence tactique. Je discute avec un certain nombre de dirigeants qui me disent « un grand mouvement comme le notre ne peut pas évoluer rapidement ». Donc, il lui faut un discours rassurant pour l’extérieur mais aussi un discours rassurant pour l’intérieur. Quand on dit « nous n’allons pas appliquer la charia » en 2012, on dit en même temps que « l’article 1 suffit ». On dit que la Tunisie est un régime républicain dont l’islam est la religion, donc ça suffit. Ça veut dire quoi ça suffit ? Cela veut dire que « ça nous permet le moment venu d’appliquer la charia selon notre vision à nous ».
Dans cet imbroglio, personne ne peut se retrouver parce qu’on est dans des finesses de langage, dans une forme de casuistique qui est développé par le mouvement islamiste tunisien, qui donne à chacun la tonalité qu’il veut entendre tout en n’ayant aucune de cohérence interne. Je suis persuadé que chez des individus, il y a de la cohérence, mais le mouvement, il n’arrivera jamais à avoir de la cohérence car il n’arrive pas, jusqu’à maintenant, à décider de la clarté. La clarté veut dire division, veut dire risquer de perdre des franges de son électorat et des franges de son corps militant et ils sont toujours dans l’esprit de la Jama’a [l’esprit du groupe], vouloir toujours rassembler. La division est vue comme étant un péché mortel, une fitna, quelque chose qui emmène en enfer, donc il faut surtout ne pas diviser quitte à ne pas être cohérent.
M.L. : Dans son discours inaugural du 10ème congrès, Rached Ghannouchi a rendu hommage à Habib Bourguiba. Le mouvement Ennahda peut-il revendiquer l’héritage de l’Habib Bourguiba (1903 – 2000) ?
Z.K. : Vous n’êtes pas sans savoir que Bourguiba en Tunisie, c’est comme Mustapha Kamel Atatürk. Quand on dit Tunisie, tunisien, la tunisianité, quand le veuille ou non, elle est fondamentalement teintée et imprégnée du bourguibisme, quel qu’en soit par ailleurs, le point de vue des uns et des autres. La preuve, c’est qu’aujourd’hui, à part quelques petits groupes, à part le jihadisme, à part quelques factions de nationalisme arabe, tout le monde de la gauche, à la droite, au centre, reconnait en Bourguiba la figure de la Tunisie, la figure emblématique de la Tunisie. Mais il ne faut pas oublier non plus que jusqu’en 2013 Rached Ghannouchi ne pouvait pas dire sur Bourguiba : « Allah y rahmou » – en français cela veut dire « Que Dieu lui accorde sa miséricorde » ou « Paix à son âme » …
M.L. : Incroyable !
Z.K. : … Jusqu’en 2013 ! Alors, le changement radical de 2013, l’objectif des islamistes, pour se réconcilier avec l’Etat, pour se réconcilier avec la société, pour se réconcilier avec l’environnement national, régional et international, a fait qu’il fallait se réconcilier avec Habib Bourguiba. Car le simple fait de se réconcilier avec Bourguiba est en soi la synthèse de toutes ces réconciliations. Maintenant, se revendiquer de l’héritage de Bourguiba, héritier selon lui des Lumières françaises, de la troisième République, d’une forme de laïcité assumée, n’est pas encore revendiqué par Ennahda. Il y a du chemin à faire.
On a même vu dans le discours inaugural de Rached Ghannouchi, une forme de mimétisme bourguibien. Rappelons que Bourguiba aimait parlait de sa maman avec de l’émotion. Il pleurait quand il parlait d’elle. Rached Ghannouchi a parlait de ses sœurs. Il a parlé de sa femme. Il a parlait de ses filles. C’est pour la première fois que Rached Ghannouchi nous parle de sa famille, à la manière bourguibienne. Les gens de mon âge qui ont connu un peu Bourguiba et qu’ils l’ont vu parlé de sa famille, trouve qu’il y a une différence de classe. Rached Ghannouchi veut imiter Bourguiba mais c’est quand même une pâle imitation, sans envergure, sans émotion donc sans conviction. Mais, je crois qu’il veut l’imiter. Il veut dire aux tunisiens qu’il n’est pas très différents d’eux, parce que les tunisiens ont un ressenti que les nahdhaouis – les membres du mouvement islamiste Ennahda – ne sont pas tout à fait des tunisiens, ni dans leur manière de parler et de s’exprimer, ni parfois dans leur manière d’être, et donc Rached Ghannouchi veut dire aux tunisiens : « je suis comme vous ». La preuve, « je suis comme Bourguiba ».
Il a parlé de Bourguiba dans son discours comme étant l’un des grands réformateurs et il a aussi parlé de Tahar Haddad (1899 – 1935). Alors Tahar Hadda qui est beaucoup plus moderne que Bourguiba. On ne sait pas comment il parle de Tahar Haddad, qui en 1930 dans son fameux livre : Notre femme dans la législation islamique et la société (امرأتنا في الشريعة و المجتمع), a revendiqué l’égalité totale homme-femme et revendique une lecture radicalement nouvelle de la loi islamique, en rapportant les textes sacrés à leurs contextes, et que quand le contexte change, la loi doit changer impérativement. Cela concerne l’héritage, la polygamie, etc. C’était en 1930 !
Quand on voit aujourd’hui les islamistes se revendiquer de Tahar Haddad, on est un peu choqué. La preuve, en mai 2016, il y a une proposition de loi voulant instaurer, de manière facultative et « au choix », l’égalité des parts d’héritage entre les hommes et les femmes. Les islamistes du mouvement Ennahda sont contre ce projet de loi. D’un côté, ils sont pour Tahar Haddad qui en 1930 a revendiqué l’égalité totale entre les hommes et les femmes mais ils sont contre une loi qui est moins exigeante et moins ambitieuse que les positions de Tahar Haddad. Vous voyez donc les contradictions entre les slogans affichés et la réalité de l’exercice du pouvoir et la réalité de l’idéologie.
M.L. : La Tunisie se trouve désormais au foyer d’un contexte géopolitique très instable. On a certes des Frères musulmans d’Ennahda et des salafistes à l’intérieur mais on a aussi des menaces jihadistes venant du Sud-est, de la Libye, mais aussi du Sud-ouest, du désert algérien, de la région du Sahel, du Mali, du Niger, etc. Comment voyez-vous l’avenir de la démocratie tunisienne au milieu de toutes ces menaces ?
Z.K. : Je ne vous cache pas, les tunisiens sont très inquiets. D’abord on a un mouvement jihadiste implanté dans le pays. En deux ans et demi, nous avons eu à déplorer plus de 200 morts, à peu près une centaine de morts dans les forces de l’ordre, de la police et de l’armée. Il y a plus d’une centaine de morts en marge des événements de Ben Guerdane. Entre 130 et 140 morts dans les rangs des jihadistes. Il y a des touristes qui sont morts, une soixantaine de touristes. Nous sommes dans un contexte extrêmement grave. La menace terroriste est très élevée. S’il en rajoute à cette menace locale très élevée, la menace venant de notre voisin de l’Est, la Libye ainsi que la menace qui viendrait de ces milliers de jeunes tunisiens opérationnels dans les foyers du jihadisme international en Syrie, en Irak et même au Mali et au Sahel, vous pouvez donc imaginer le degré d’inquiétude des tunisiens.
Maintenant, je ne dirai pas que les tunisiens se sont habitués à ce danger mais ils se sont habitués à le combattre. Je crois que les événements de Ben Guerdane, en mars 2016, ont marqué un tournant, pas uniquement tunisien, mais je crois, sans prétention, que c’est un tournant régional. Parce que c’est la première fois où des troupes de Daesh, qui veulent conquérir un territoire, sont rasées et balayées, attaquées vers l’aube. Ça ne s’est jamais encore produit de cette manière-là. Je crois que la Tunisie a des moyens propres à elle pour lutter contre ce fléau, qui est un fléau mondial.
Aucun pays ne peut lutter aujourd’hui contre le jihadisme tout seul. Parce qu’un acte en Libye ou au Yémen peut susciter des vocations à Paris, à Marseille, à Tunis, à Sousse, à Bruxelles et partout ailleurs. Je pense que le monde entier à intérêt à éradiquer le phénomène jihadiste. Ce n’est pas évident. Il n’y a pas que l’aspect militaire. Le jihadisme est un phénomène complexe. Mais on a besoin de casser la tête de l’hydre pour traiter ensuite le jihadisme sur le plan social, sur le plan intellectuel, sur le plan spirituel, etc. Mais on a besoin au niveau international de détruire la tête de l’hydre, de détruire la puissance militaire, la puissance organisationnelle du jihadisme pour qu’on puisse régler avec les individus et traiter le jihadisme à l’échelle nationale, sociale, religieuse et intellectuelle.
M.L. : Quel regard portez-vous sur la progression et l’expansion de l’islamisme (Frères musulmans, salafisme et jihadisme) en Europe et en France ?
Z.K. : Je crois que l’Europe était naïve face au défi islamiste et ensuite jihadiste. Vous savez très bien qu’on parle aujourd’hui de « Londonistan ». Les leaders des mouvements jihadistes dans les années 80 trouvaient refuge en Europe de manière tout à fait normale et naturelle. L’Europe est un peu naïve parce qu’elle croit que ses valeurs son naturelles. Elle se dit, puisque ces gens-là viennent de pays dont le régime n’est pas un régime démocratique, elle les considère donc comme des persécutés. L’Europe se dit nous sommes une terre d’asile. Elle se dit que ce n’est pas grave si ces gens-là sont un peu trop religieux. Ce ne sont que des arabes. Ils ne pourraient pas être aussi évolués que nous. Cette naïveté, cette assurance de la suprématie spirituelle et au niveau des valeurs, a fait que les européens, les décideurs européens, n’ont pas vu la nature du danger. Ils ont pensé que la violence, par exemple du GIA algérien et autres, n’était qu’une réaction à un pouvoir autoritaire, dictatorial et brutal. Et d’ailleurs, sous les deux cent mille morts, on estimait que le pouvoir algérien en avait commis au moins la moitié. Donc, du coup, il n’y avait pas tellement la vision du danger que pouvait représenter le jihadisme et l’islamisme pour le monde d’une manière générale et pour l’Europe.
La conscience de ce fait n’a commencé que quand le jihadisme a frappé l’Europe et a frappé des intérêts européens, en France et ailleurs. Sauf qu’avant de frapper, il y a eu une longue préparation, une période assez longue, où l’islamisme politique, surtout dans sa version jihadiste, a pu s’implanter d’une manière quasi durable en Europe. Et jusqu’à maintenant, l’Europe ne sait plus si elle doit réagir en vertu de ses valeurs, ou si elle doit réagir en vertu de ses intérêts, ou si elle doit réagir en vertu des dangers immédiats qui sont sur son sol.
Cela étant dit, je crois que la conscience de la menace est maintenant présente après les attentats terribles qu’ont connus Paris et Bruxelles et un peu avant Madrid et Londres. Il y a aujourd’hui une conscience du danger. Je ne jetterai pas la pierre à l’Europe parce qu’il n’y a aucun régime dans le monde, ni arabe, ni européen, ni américain qui a la vraie solution. Parce que la solution n’est pas que locale et nationale. En plus qu’elle pourrait être nationale, elle aussi régionale résidant dans une forme de coopération respectueuse. C’est-à-dire, ce n’est parce que nous sommes un petit pays, que nous n’avons que cinq ans de démocratie en Tunisie, que nous n’avons pas des choses intéressantes à dire qui peuvent vous intéresser, vous éclairer. L’Europe devra profiter de notre expérience en Tunisie. Et la Tunisie devra profiter de l’expérience de l’Europe. Nous devrions discuter librement sur un pied d’égalité, et de ne pas avoir, même de manière inconsciente ce sentiment de supériorité. Les européens n’ont pas montré une grande intelligence dans la gestion de l’islamisme. Je ne dis pas que les tunisiens ont la science infuse. Personne n’a la science infuse. Personne n’a la solution. La solution, nous la trouverons tous ensemble.
D’ailleurs, il n’y pas une autre possibilité. Par exemple, si moi j’ai un enfant qui immigre en France et qui est contaminé par le jihadisme, qui possède donc la solution ? Moi en tant que papa vivant en Tunisie ? Le fiston qui vit en France ? Les deux états français et tunisiens ? Qui possède la solution ? Il est clair que nous sommes face à une menace mondiale, tout le monde en est conscient, que la menace mondiale nécessite une réponse mondiale mais pas qu’à l’américaine uniquement, c’est-à-dire pas qu’en bombardant. Certes, parfois bombarder est nécessaire quand il le faut, mais encore faut-il savoir bombarder. Pour exemple, en Tunisie, en deux ans et demi nous avons quelques dizaine voire une centaine de jihadistes sur les montagnes orientales limitrophes de la Lybie. Et jusqu’à maintenant notre armée n’arrive pas à les décimer. D’abord parce qu’il y a des accointances avec des populations locales, mais essentiellement faute de moyens techniques, parce que nous n’avons pas jusqu’à aujourd’hui d’hélicoptères de combat, équipés pour les combats de nuits parce que les jihadistes se déplacent la nuit et pas le jour. Nous avions demandé pour acheter 8 hélicoptères de combat depuis 2014. Nous ne les avons pas encore reçus !
Je crois que combattre le jihadisme sur les montagnes tunisiennes, opération insignifiant e soit-elle, ça peut se faire, ça ne coute même pas une heure de bombardements sur l’Irak et la Syrie. Les européens et les occidentaux de manière générale, ne sont pas conscients de ces enjeux-là. Si vous aidez un petit pays, comme la Tunisie, pour éradiquer une forme de menace, cette éradication peut changer la donne. Elle est beaucoup moins couteuse que le bombardement parfois massif, parfois aveugle sur d’autres territoires. Je crois que nous avons besoin, je parle pour mon pays, de discuter autour d’une table, d’avoir un point de vue qui pèse, parce que nous avons l’expérience du terrain.
La Tunisie a toujours défendu l’idée qu’il ne fallait pas attaquer et bombarder la Libye d’une manière massive telle qu’on le fait, contrairement à l’opinion des puissances européennes. Je crois que ces puissances européennes se sont rendu compte que le point de vue de la Tunisie et de l’Algérie, contrairement à celui de l’Égypte, était le plus intéressant. Et que si on voulait régler les problèmes en Libye, il faudrait d’abord les régler politiquement, par un gouvernement de concorde. C’est déjà fait mais il faudrait que ce gouvernement soit un gouvernement réel. Cela n’est pas encore fait. Et donc aider à la solution politique va faciliter mille fois plus le traitement du phénomène jihadiste qu’en bombardant, en mélangeant les cartes, en redistribuant les rôles.
Enfin, je n’ai pas de regard très critique vis-à-vis de l’Europe. J’ai aussi un regard très critique vis-à-vis de mon pays. Je crois que ce problème nécessite une vraie coopération internationale, une vraie solidarité internationale. Il faut le traiter entre partenaires égaux, même si on a des dimensions différentes, même si on est une petite et nouvelle démocratie. Il faut savoir compter avec.
Propos recueillis par Mohamed Louizi.
26 mai 2016 – Tunis.
[1] Zyed Krichen (57 ans) est le directeur de la rédaction du quotidien tunisien indépendant Le Maghreb. Il connait parfaitement la littérature frériste et notamment celle de Sayyid Qotb. Philosophe de formation, il a été menacé puis agressé par des salafistes (Lire ici et ici). Intransigeant sur le droit à l’information, il s’exprime librement et fait vivre le débat d’idées en Tunisie. Animé par un esprit moderniste et laïc salutaire, il œuvre pour une Tunisie juste, libre, démocratique et pacifiée.
[2] http://ar.lemaghreb.tn/
J’ai commencé à lire cet article pour connaître assez bien le dossier tunisien avoir passé plus de 14h par jour en 2010 2011 avec les révolutionnaires tunisiens sur Facebook et avoir ensuite suivi l’évolution du complot terroriste DGSE CIA en Tunisie, en Egypte au Mali en Syrie etc….
Je considérais en lisant que tenter d’analyser le mille-feuille Ennahdha sans prendre en considération les donneurs d’ordre était absurde.
J’ai donc stoppé ma lecture et chercher le mot « CHOKRI BELAID »
Pas de Chokri ni de Belaid
Pas plus de Boubakeur
Parler de Tunisie sans parler de celui qui fut assassiné par les pantins de la CIA-Ennahdha pour avoir anticipé de 2 mois la création de DAECH
Et déclenché par sa mort la chute de la dictature islamofasciste
C’est absurde
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chokri_Bela%C3%AFd
CITATION WIKIPEDIA
Dans plusieurs prises de position publiques, Chokri Belaïd critique vivement la poussée de l’islam intégriste en Tunisie, s’en prenant aux promoteurs de ce qu’il désigne comme un « projet salafiste servant un plan de déstabilisation américano-qatari-sioniste » et reprochant au parti Ennahdha au pouvoir sa complaisance à l’égard de ces mouvements extrémistes.
« La Tunisie est transformée en marché pour les criminels américano-sionistes manipulant nos jeunes pour les envoyer mourir en Syrie et défendre un projet qui n’est pas le leur » déclare-t-il sur un plateau de télévision7 ; il va jusqu’à préciser que « 5 000 jeunes Tunisiens et d’autres nationalités suivent des entraînements (dans un camp de djihadistes situé dans la localité de Lewtiya, à proximité de la frontière libyenne) pour qu’une partie d’entre eux soit envoyée en Syrie et une autre pour s’occuper de semer la violence en Tunisie »7.
Yanick Toutain, l’article est une interview. Ce n’est pas mon propos, je n’ai fait que poser des questions pour approcher la situation aux lecteurs qui ne connait pas grand chose de la Tunisie. Il ne concernait pas Chokri Belaïd ou d’autres militants et intellectuels tunisiens, femmes et hommes, qui combattent l’islamisme depuis toujours. Merci de votre commentaire et de votre passage !