Antisémitisme : voilà pourquoi je n’ai pas signé la tribune de Philippe Val.
28 04 2018Par : Mohamed Louizi
«Serait-ce trop demander que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques, comme le furent les absurdités de la Bible et le dogme catholique antisémite aboli par Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime?». C’est bien ce passage, en particulier, figurant noir sur blanc sur la version tapuscrit du «Manifeste «contre le nouvel antisémitisme»»[1], que publie aujourd’hui Le Parisien, qui m’a convaincu de proposer sa reformulation dans le sens d’un appel à une réforme du rapport au Texte …
En effet, le 11 avril, on a sollicité mon «accord de principe» pour joindre mon nom à cette tribune, tout en précisant que ma signature ne sera considérée définitive qu’après validation de son texte que j’ai reçu le 13 avril. En retour, j’ai précisé que bien que je souscrive globalement aux termes de cette tribune, le passage précité me paraît problématique et polémique voire contre productif. J’ai donc proposé sa reformulation. Car, présenter la chose de cette façon, reviendrait, de mon humble point de vue, à valider le souhait des islamistes qui espèrent devenir, en France, cette «autorité théologique» qui contrôle le Texte et dicte le contenu de la foi, alors que dans la religion musulmane, il n’y a pas, et il ne doit pas y avoir d’autorité théologique. C’est méconnaître le Texte, son verbe, sa dynamique interne et son historicité, que de formuler une telle «demande». Dans ma réponse j’ai rajouté que j’ai abordé ces questions, sans tabous, dans mon «Plaidoyer pour un islam apolitique: immersion dans l’histoire des guerres des islams» (Michalon-2017). Par conséquent, avais-je écrit, sans une reformulation de ce passage je ne pourrai pas joindre ma signature à cette tribune qui, par ailleurs, a le mérite de dénoncer l’antisémitisme alimenté par des lectures idéologisées du Texte.
Alors qu’une «tribune» cosignée se doit de refléter, en principe, une analyse partagée d’une situation donnée et constatée, et aussi de synthétiser les points communs d’une vision démocratique tenant compte de la pluralité d’approches intellectuelles, sur des sujets autant urgents que sensibles, dans le cas présent, on m’a informé que « les rédacteurs » n’étaient pas disposés à modifier « leur » production. Dont acte! Pour autant, Comment est-il crédible d’exiger la modification d’un Texte — on aime ou on n’aime pas — qui a traversé l’Histoire et la géographie, depuis plus de quatorze siècles, alors que l’on n’est même pas disposé, soi-même, d’accepter la reformulation syntaxique justifiée d’une tribune journalistique, non sans conséquences sur le débat public, pour s’approcher un temps soi peu du réel et pour laisser bien des fantasmes de côté? Dans mon esprit, aucun Texte n’est sacré, y compris la tribune de Philippe Val. Par conséquent, constatant ce refus, j’ai souhaité ne pas figurer parmi les signataires. La nature du combat pacifique que je mène ne peut se prêter à cette façon de faire. Les mots ont un sens. Une «tribune» est une œuvre collective et non une dictée. C’est l’expression de nombreuses volontés et non la volonté d’une seule expression!
Toutefois, lorsque je lis et compare cette tribune, tel que publier sur le site du Parisien, avec le tapuscrit original, force est de constater qu’elle a bel et bien subit plus de 30 modifications, autant sur la forme que sur le fond, sauf, bien sûr, le passage précité concernant le Coran! Ladite tribune valide, je ne sais sur quels arguments, la présence de «versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants». Toutefois, on a remplacé, entre autres, l’expression «absurdités de la Bible» par l’expression «incohérences de la Bible». On a remplacé aussi «le dogme catholique antisémite aboli par Vatican II» par l’expression «l’antisémite catholique aboli par Vatican II». D’autres passages ont été supprimés purement et simplement. Certains pour des raisons évidentes. D’autres pour d’autres raisons que je ne comprends pas.
D’ailleurs, on pourrait se demander pourquoi, par exemple, le passage suivant, figurant dans la première version, n’a pas été maintenu, alors qu’il fait toujours sens, je cite: «Serait-ce trop demander que la démocratie cesse de flirter avec ce[ux] qui veu[lent] sa mort?». Cette question plus que légitime n’apparait plus dans la version définitive de cette tribune. Preuve que les «rédacteurs» étaient, quand même, disposés à reformuler, voire à supprimer, des passages un peu sensibles. D’autant plus que parmi la liste des signataires, il y a des noms comme Nicolas Sarkozy, comme Bernard Henri Lévy, … qui ont flirté et, pour certains, flirtent toujours avec des Frères musulmans et avec leur émirat protecteur, le Qatar, actionnaire du groupe LVMH[2] qui détient … Le Parisien[3].
Cela étant dit, confirmer l’existence de « versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants », cela ne relève d’aucune réalité textuelle vérifiable. En effet, les juifs — de l’époque de Moïse, de Jésus et ceux contemporains de Mohammed, et non les juifs de Paris ou de Lyon de l’année 2018 — sont cités dans le Livre Saint des musulmans 19 fois, sous deux vocables arabes distincts: «al-Yahoûd» (اليهود) — les juifs — et «al-ladhîna hâdoû» (الذين هادوا) — ceux qui sont judaïsés. Quant aux chrétiens, ils y sont cités 13 fois, désignés par le vocable arabe: «al-Nassâra» (النصارى). Aussi, le Livre cite «Ahl al-Kitâb» (أهل الكتاب) — les Gens des Écritures, juifs et chrétiens — 31 fois. Il cite «Banî Israël» (بني إسرائيل) — les fils d’Israël — 42 fois. Il les critiques, certes, à maintes reprises, sur leur rapport à leurs Textes et sur la façon dont certains parmi eux se servent de leurs statuts et pervertissent certaines vérités à des fins autres que spirituelles. Mais, le Livre saint n’essentialise jamais ceux qui critiquent. Encore faut-il rappeler que critiquer et appeler à tuer ne sont pas synonymes. Il n’est pas inhabituel de trouver dans le Livre saint des versets comme : «Parmi les Gens des Écritures, il en est à qui tu peux confier un quintal d’or et qui se ferait un devoir de te le restituer ; il en est d’autres, en revanche, à qui tu ne confierais même pas un denier, car, pour le récupérer, il te faudrait les harceler sans répit…»[4] ou comme celui-ci : «Ne discutez avec les Gens des Écritures que de la manière la plus courtoise, à moins qu’ils ne s’agisse de ceux d’entre eux qui sont injustes…»[5]
A aucun endroit, il n’est question d’appeler les musulmans, d’hier ou d’aujourd’hui, de Médine ou de Marseille, au meurtre ou au châtiment des juifs, parce que juifs, et des chrétiens, parce que chrétiens, comme le prétend cette tribune dans un passage problématique, clair par sa confusion, et pas sans risque d’alimenter indirectement des tensions au sein de la société française et de ramener de l’eau au moulin des islamistes.
Bien au contraire, dans le Livre saint, on trouve des versets comme: «En vérité, ceux qui ont cru, ainsi que les juifs, les chrétiens, ceux qui ont cru en Dieu, au Jugement dernier et qui ont fait le bien, seront préservés de toute crainte et ne seront point affligés»[6]. Et lorsqu’il évoque certaines animosités — datées et trouvant une signification dans les conflits de cette époque — nourries par le refus de certains religieux contemporains de Mohammed d’accepter le pluralisme des récits de la foi, le Livre saint faisait le distinguo entre les réactions des uns et les réactions des autres. Au sujet des chrétiens, par exemple, il est écrit: «Ceux qui sont les plus disposés à sympathiser avec ceux qui ont crus [les musulmans], sont ceux qui disent « nous sommes des chrétiens.» Cela tient à ce que ces derniers ont parmi eux des prêtres et des moines et à ce qu’ils ne font pas montre d’orgueil.»[7] A chaque fois, il est question de traiter juifs et chrétiens, contemporains de l’époque prophétique, loin de tout essentialisme, loin de tout absolutisme qui ferait peser sur les générations futures les fardeaux des générations passées. Ce n’est pas inutile de le rappeler!
Aussi, le contexte phrastique de ces passages, qui, rappelons-le, appartiennent tous à une époque historique révolue avec ses protagonistes et ses belligérants — il n’y avait pas que des «méchants musulmans» d’un côté et de «gentils incroyants et juifs» de l’autre — s’inscrit dans une dynamique narrative et pédagogique qui appelle, in fine, les croyants, quelque soit le récit de foi en lequel ils croient, à tenir compte des erreurs constatées dans le passé chez certains Gens du Livre, particulièrement à cause de l’instauration d’une autorité théologique rabbinique, post-Moïse, et d’un ordre clérical, post-Christ, se constituant en instance d’entremise, tel un passage obligatoire, entre la croyante/le croyant et Dieu. Jésus n’était-il pas un juif qui s’est rebellé contre l’ordre des pharisiens ? N’avait-il pas chassé les marchands du Temple ? C’est dans ce cadre là que le Livre saint cite les Gens du Livre. Le Coran, représentant uniquement une partie du Livre saint et pas sa totalité, n’est ni une déclaration de guerre, ni un testament de haine, ni une sentence de mort!
Par ailleurs, hormis quelques versets de la fameuse sourate 9, qu’il faut, par honnêteté intellectuelle, située dans un contexte de guerre exceptionnel qui n’échappe à aucune lecture historique objective, nulle part, dans ce que l’on nomme communément Coran, il n’est écrit qu’il faut tuer les juifs, les chrétiens et les incroyants. Nulle part dans ce Texte, il n’est écrit de tuer les apostats, non plus. La vérité, c’est qu’à côté du Livre saint, l’islamisme conquérant, depuis au moins le troisième calife, après la mort du prophète, dans une volonté politique visant à légitimer ses conquêtes, ses atrocités (d’abord contre des musulmans) et ses guerres (d’abord fratricides), a mis en place un autre corpus textuel, d’autres récits, nommés Hadiths, très influencés à ses débuts par l’institution rabbinique, notamment par un certain Ka’ab al-Ahbâr (كعب الأحبار), entre autres.
Dans ce corpus additif, constituant la matrice centrale du sunnisme (et du chiisme) politique, la haine des juifs est considérée comme un acte de foi. Bien des hadiths dits authentiques prônent le jihad armé permanent contre les juifs et font de la victoire des musulmans sur les juifs un signe eschatologique: «Ne viendra l’Heure [la résurrection] que lorsque vous combattez les juifs, que lorsque la pierre derrière laquelle se cache le juif crie: «Musulman! Voici un juif derrière-moi, tue-le !»[8]. Ce genre de texte n’existe pas dans le Livre saint. Dans les hadiths, si. Il est cité par des soi-disant «imams» dans bien des mosquées de France et de Navarre, durant les prêches de vendredi, et participe dans la production de cet antisémitisme mortifère, parfois (pour ne pas dire souvent) au vu et au su de la République et de certains signataires qui avaient cru bon, en 2003, d’intégrer les intégristes au sein du CFCM.
Une chose est certaine, l’antisémitisme, la haine des juifs parce que juifs, est le fils légitime de l’idéologie frérosalafiste, notamment celle des Frères musulmans qui ont pignon sur rue au sein de la République depuis bien avant l’ère de Nicolas Sarkozy. Aujourd’hui, on les invites aux salons de l’Élysée. Je n’ai pas attendu cette tribune pour m’exprimer, dénoncer et alerter contre l’endoctrinement islamiste qui fait de l’antisémitisme un puissant ingrédient irremplaçable. Sans parler de mes publications depuis 2007 sur mon blog, déjà dans mon essai autobiographique «Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans» (Michalon-2016), j’ai décrypté cette mécanique infernale, preuves et exemples à l’appui. Aussi, dans mon nouveau plaidoyer précité, je propose des actes que j’estime fondateurs d’une stratégie globale de réforme de l’objet «islam», pas uniquement au sujet de l’antisémitisme, mais s’agissant de toute une construction qui doit subir plus qu’un examen de conscience, fruit d’un changement de paradigme vital, pour mettre à mal, à terme, l’idéologie islamiste. Ici et ailleurs. Maintenant et demain.
Cette tribune dénonce le fruit dans une certaine confusion. Je m’attaque aux racines dans la clarté, dans ma clarté qui se fond sur 8 actes : «S’affranchir de l’islam califal» ; «Distinguer le Livre Saint de ses traductions» ; «Soumettre l’exégèse canonique à l’archéologie du texte» ; «(Re)mettre les points sur les lettres» ; «Abroger la croyance en «l’illettrisme» du Prophète» ; «Percer les secrets de fabrication de l’autorité des textes» ; «Différencier dans le Livre Saint entre le Coran et l’Ecriture-mère» ; «Rendre au Message son historicité, et à la Prophétie, son horizon». Des actes que j’ai expliqués et détaillés dans un plaidoyer. Je ne sais pas dire les choses autrement. Je ne sais pas signer des tribunes comme celle rédigée par Philippe Val tout en comprenant ceux qui l’ont fait. Cela est ma liberté et aussi ma limite sur des sujets tensiogènes qui fissurent déjà la communauté nationale, à la grande joie des islamistes, au moment où il est espéré un sursaut national dans l’unité contre l’islamisme et contre ses principaux vecteurs de diffusion : les Frères musulmans.
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