Sarkozy, BHL, Moix … : deux poids, deux mesures.
28 04 2018Par : Mohamed Louizi
Est boiteuse toute comparaison entre, d’un côté, l’antisémitisme réel et assumé des pamphlets de Louis-Ferdinand Céline — Mea Culpa (1936), Bagatelles pour un massacre (1937), L’école des cadavres (1938), Les Beaux draps (1941) … — et de l’autre côté, « l’antisémitisme » supposé, fantasmé à dessein, du Livre saint des musulmans, appelé improprement «le Coran». On aime ou on n’aime pas, on y croit ou on n’y croit pas, le fait est qu’aucun verset du Livre saint, aussi « violent » pourrait-il paraître à certains néophytes, ne peut être comparé à la cruauté sans nom de ces pamphlets. Et pourtant …
Je dis bien «et pourtant…» car parmi les signataires de ce «Manifeste contre le nouvel antisémitisme»[1], qui appelle clairement à l’expurgation du Livre saint, pour ne pas dire à sa censure partielle, il y en a ceux qui, en même temps, trouvent des excuses à Céline. Ils en sont fans à l’image de l’ex-président de la République, Nicolas Sarkozy qui avait dit en 2008 lors de sa visite de l’Inde: «On peut aimer Céline sans être antisémite, comme on peut aimer Proust sans être homosexuel!»[2]. D’autres partagent le même intérêt pour Céline et encouragent la commémoration de son nom et la réédition de ses pamphlets. J’en cite deux et pas des moindres : Yann Moix et Bernard-Henri Lévy.
Le premier, un célinien de longue date[3], en plus de soutenir la réédition des pamphlets[4], s’oppose farouchement à leur expurgation des passages résolument antisémites. Il dit: «Retrancher à l’œuvre une part importante de l’œuvre, c’est en modifier l’ADN, c’est en truquer la vérité, c’est en modifier la portée.»[5], avant de rajouter: «Ôter de l’œuvre à l’œuvre, c’est la tronquer, c’est trahir le Céline admirable [!] en le coupant de cette part maudite ; car il n’existe pas «deux» Céline : il n’existe, dans cette histoire, que la complexité d’un écrivain, qui nous rappelle que le génie (on peut naïvement le regretter) n’est pas mécaniquement le contraire du pire…»[6]. Clair.
Et le chroniqueur d’ONPC de France 2 de plaider le contexte, l’évolution et la complexité d’une époque, les années 30 et 40, très proche de la nôtre, comparée à l’époque de production du Livre saint, il y a quatorze siècles. Il écrit: «Céline se déploie dans le temps, il n’y a que dans le temps, époque par époque, dans le déroulement des événements, que tenter de le «suivre» (je n’ai pas dit de le «comprendre») est possible. Il ne s’appréhende que dans l’aberration de ses «évolutions», dans l’aggravation progressive de ses tares, de ses paranoïas. Ses paniques, ses folies sont indissociables de la marche temporelle de l’Histoire.»[7] Ainsi, il tient compte du contexte de Céline, l’écrivain, mais pas de celui de Mohammed, le prophète. Il prend en considération l’historicité d’un pamphlet et pas celle d’un Livre de foi. Vent debout « contre » l’expurgation d’une œuvre antisémite. Et en même temps, vent debout « pour » l’expurgation d’une œuvre qui n’est pas antisémite. Quid de la cohérence? Deux poids, deux mesures? Indéniablement.
Le deuxième, c’est BHL. En 2011, il n’a eu que des mots doux à l’égard de Céline alors qu’une polémique tournait autour de la présence de son nom au sein de la «Liste des célébrations nationales»[8]. Sur le site de la revue « La Règle du Jeu », il a écrit: «Céline est, évidemment, et sans discussion possible, au nombre des très grands écrivains du XXe siècle français»[9]. BHL soutenait la commémoration de Céline. Une commémoration qu’il jugea «non seulement légitime mais utile et nécessaire» en la considérant comme «l’occasion de rappeler, notamment aux jeunes générations, comment le même homme peut donner l’admirable «Voyage au bout de la nuit» et les abjects pamphlets antisémites de son époque fasciste.» [10] Là aussi, la contextualisation desdits pamphlets est plus qu’évidente. Pourquoi accepte-t-on de contextualiser des pamphlets antisémites qui date de moins de 80 ans? Pourquoi refuse-t-on de tenir compte du facteur «temps» dans l’avènement d’un Texte qui date de plus de 1386 ans? Les citoyens musulmans de France ont-ils encore le droit d’admirer la presque totalité de leur Texte de foi et de contextualiser, dans un rapport critique à ce même Texte, les quelques versets qui sont décriés ici où là?
Aussi, lorsque les Éditions Gallimard avait annoncé en ce début d’année la publication des trois pamphlets interdits de Céline, BHL a pris sa plume pour certes dire: «l’auteur de «L’école des cadavres» et des «Beaux draps» fut bien un antisémite de la pire espèce.»[11] Mais aussi pour plaider en faveur de cette publication, en mettant en perspective, entre autres, arguments celui-ci: «et si la moins mauvaise des solutions était alors de donner à lire tout Céline, absolument tout, mais dans sa continuité? ainsi mesurerait-on ce qui fait qu’un même homme peut être, sous la pression d’une écriture novatrice et d’une vérité courageusement affrontée, un écrivain stupéfiant puis, quand il cède sur son désir et son éthique d’artiste, un fulminateur médiocre, grotesque et criminel: leçon de ténèbres.»[12] Là aussi, un clin d’œil est fait à l’endroit de deux époques, de deux conditions qui auraient favorisé le meilleur, dans un cas, et le pire, dans l’autre. Pourquoi BHL n’accepte-t-il pas que l’on lise tout le Livre saint, absolument tout, mais dans sa continuité?
Car bien que l’antisémitisme ne soit pas le fils légitime du Livre saint, loin s’en faut — ce Livre n’a d’ailleurs pas inspiré Céline ! — la continuité du Texte coranique, son évolution, ne peuvent être dissociés du contexte de sa production, de sa création, si on veut. D’ailleurs, le paradigme moyenâgeux du Coran « créé » ou « incréé », en plus d’être dépassé, il était, à son époque, plus politique que théologique. Les atrocités de l’histoire de l’islam politique (sunnite) le démontrent. D’autres paradigmes sont possibles et utiles pour approcher le Texte, tout le Texte. J’en fais la synthèse dans mon « Plaidoyer pour un islam apolitique » (Michalon-2017). Encore faut-il qu’on laisse aux citoyens musulmans le droit d’avoir accès à tout leur Texte de foi, sans hystérisation du débat à des fins peu claires, sans injonction paternaliste dans l’incohérence et la duplicité.
Notes :
[1] http://www.leparisien.fr/…/manifeste-contre-le-nouvel-antis…
[2] http://www.france24.com/…/20110121-celine-pas-celebre-2011-…
[3] http://www.lepetitcelinien.com/…/yann-moix-louis-ferdinand-…
[4] https://vimeo.com/251023326
[5] http://www.lemonde.fr/…/pamphlets-de-celine-l-homme-est-la-…
[6] Ibid.
[7] http://www.lemonde.fr/…/pamphlets-de-celine-l-homme-est-la-…
[8] http://www.france24.com/…/20110121-celine-pas-celebre-2011-…
[9] https://laregledujeu.org/…/pourquoi-il-ne-faut-surtout-pas…/
[10] Ibid.
[11] https://laregledujeu.org/…/toujours-charlie-le-j-accus…/
[12] Ibid.
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