Frères musulmans, combien d’options ?
22 11 2020Par Mohamed LOUIZI
Aucune structure associative islamiste n’avoue ses liens idéologiques et surtout organiques avec les Frères musulmans. Aucun activiste frérosalafiste n’assume publiquement sa filiation à la mouvance. Le mot d’ordre que les Frères musulmans donnent à tous les nouveaux membres de la mouvance, à toutes les nouvelles recrues cooptées, est de garder secrète leur allégeance à la guidance-suprême internationale. La culture du secret est une constance qui fait partie des rudiments de l’endoctrinement idéologique chez les Frères musulmans. A la page 193 de son essai « Appel à la réconciliation » (Plan-2019), le Frère Tareq Oubrou avoue : « Vous ne trouverez jamais quelqu’un qui vous dira qu’il est Frère musulman alors qu’il l’est. »
A cette première difficulté doctrinaire et comportementale, qui empêcherait de débusquer efficacement les structures frérosalafistes, se rajoute depuis quelques années une deuxième difficulté d’ordre organisationnel. Depuis sa création, la structure des Frères musulmans était pyramidale (et elle l’est toujours d’une certaine manière). Son modèle d’activisme correspondait plutôt à l’araignée qui tisse sa toile et se nourrit des proies qui s’y prennent au piège. Chemin faisant, la mouvance a compris que ce modèle est dangereux d’un point de vue sécuritaire. Car couper la tête de l’araignée, cela revient à condamner à mort tout le projet et toute l’organisation.
Raison pour laquelle, les stratèges internationaux de la confrérie, en particulier le Qatari Jassim Sultan, après avoir acté la dissolution, somme toute trompeuse, de la branche qatarie des Frères musulmans en 1999, pour se fondre incognito dans la société, a proposé un nouveau paradigme, un nouveau modèle : multiplier le nombre des structures fréristes d’influence, en prenant toutes les précautions pour qu’elles apparaissent non-fréristes et pour qu’elles ne soient pas repérées en tant que telles et demeurent indissolubles.
Et même lorsque cela arrive, primo, les autres structures semi-autonomes du réseau frérosalafiste peuvent combler le vide laissé par la structure dissoute et, secundo, les rescapés de cette dernière peuvent à nouveau fonder une ou plusieurs nouvelles structures tant que les moyens sont abondants. A la différence de l’araignée, faisait-il remarquer à ses disciples, quand on coupe le bras d’une étoile de mer, elle ne meurt pas. Mieux encore, en lieu et place du bras coupé, un nouveau bras se développe, se régénère, et la partie coupée du bras se transforme, à son tour, en une nouvelle étoile de mer autonome et ainsi de suite, dans une sorte de reproduction invasive à l’infinie.
Cela étant dit, le courant frérosalafiste en France répond exactement à ce schéma bipède et ésotérique. Bien que j’aie été moi-même frère musulman, jusqu’en octobre 2006, je ne saurais dire, avec précision, l’étendue réelle de la nébuleuse frérosalafiste quatorze ans plus tard. La forme ancienne est celle structurée, en partie, autour de « Musulmans de France » (ex-UOIF) et autour de l’ensemble de ses antennes régionales et locales. Dans l’orbite de chaque mosquée frérosalafiste gravitent de nombreuses structures associatives scolaire, estudiantine, sportive, sociale et féminine ainsi que des commerces, des entreprises et des sociétés immobilières.
Je dis bien « en partie », car il ne faut surtout pas perdre de vue et minimiser l’activisme effréné des antennes islamistes affiliées aux pays du Maghreb et à la Turquie. Anouar Kbibech, par exemple, président du RMF (Rassemblement des musulmans de France) et ex-président du CFCM (Conseil français du culte musulman) est issu de la mouvance islamiste MUR (Mouvement unicité et réforme), la branche au Maroc des Frères musulmans qui contrôle le PJD (Parti justice et développement) à la tête du gouvernement. Grâce à lui, le MUR bénéficie d’une présence structurée et effective en France depuis au moins l’année 1998.
A l’époque, il fut président de l’association « France Plurielle » qui s’activait déjà dans les banlieues. Au journal Le Parisien, il a dit : « Pour nous, il doit être possible en France de créer une tradition islamo-judéo-chrétienne, acceptée par tous et réellement enracinée. » En 2000, lors d’un séminaire à Paris, il m’a demandé de créer la branche du MUR/PJD à Lille. Désormais, il semble avoir très bien réussi son enracinement personnel en France, à tel point que Bernard Cazeneuve, l’ex-ministre socialiste de l’Intérieur, lui a remis en 2017, à la veille du premier tour des élections présidentielles, les insignes de chevalier de la légion d’honneur ! Certainement pour services rendus à la nation.
Il est écrit dans le Coran que Jacob a demandé à ses fils d’accéder à l’Egypte par diverses portes : « Ô mes fils, n’entrez pas par une seule porte, mais entrez par portes séparées », sourate 12, verset 67. L’islam politique et ses différentes facettes ont bien compris la leçon. Ils diversifient les appellations et multiplient les portes d’accès au cœur de la République. Leurs divergences tactiques apparentes ne doivent pas éclipser leurs accords tacites souterrains, leurs solidarités constantes et leurs convergences visant le même but lointain, mais avec des moyens et des outils différents. Combien de fois faut-il rappeler et insister sur le fait que l’islam politique est un et indivisible ? C’est un continuum idéologique, historique, géographique, financier, opérationnel et affectif. Dans l’intérêt de la France, il convient de le considérer comme tel. Certains disent « l’islamisme, combien de divisions ? », je dis au contraire : l’islamisme, combien d’options ?
En effet, au sein de l’espace public – dont les dômes et les minarets frérosalafistes figent la présence et l’inscrivent durablement dans le roman national, en vue de greffer le préfixe « islamo- » aux racines judéo-chrétiennes de la France – l’autre vaste réseau diffus s’étend. L’autre forme faite de cellules semi-autonomes se répand, sans que l’on connaisse ses limites. Tariq Ramadan, qui a toujours refusé l’étiquette de frère musulman, semble être l’un des leaders, en France et en Europe, de cette deuxième forme. Son réseau a infiltré des partis politiques, des syndicats, des rédactions de journaux et de sites d’information en ligne comme Mediapart, des médias audiovisuels, des municipalités, des associations de défense des droits de l’Homme, des unités de formation et de recherche ainsi que des collèges doctoraux dans des universités et des centres de recherche.
Son réseau bénéficie toujours du soutien de Co-Exister. Le compagnon de route des Frères musulmans, François Burgat, lui ouvre des portes. Les complaisances à répétition du mal nommé « Observatoire de la Laïcité », de son actuel président Jean-Louis Bianco ainsi que de son bras droit, Nicolas Cadène, l’aident dans sa croisade contre la laïcité. Notons que Jean-Louis Bianco a rencontré en janvier 2012 le guide-suprême des Frères musulmans au Caire, un an avant sa nomination à la tête de cet observatoire par François Hollande …
Bonjour Monsieur Louisi , je lis toujours votre blog avec beaucoup d’intérêt
et vous suis trés reconnaissant des informations précieuses que vous partagez.
Une fois n’est pas coutume , je me permets de vous demander si vous avez d’autres articles sur le CFCM (je n’en ai trouvé qu’un à propos de l’Autriche) ?
Merci d’avance, cher Monsieur .