La France face à l’islam politique : connaître et comprendre pour agir (Interview-Le Point)
28 11 2020Après la décapitation de Samuel Paty, Le Point* m’a posé des questions au sujet de l’islam politique et des Frères musulmans. C’est en homme libre, et non en « repenti », que j’ai accepté de lui livrer, sans contrepartie, mon décryptage factuel et désintéressé. J’y ai mis toute mon énergie pour offrir à tout lecteur, qu’il soit néophyte ou expert, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, la synthèse de mes travaux à ce sujet depuis l’année 2006. J’y formule sans détour des propositions et des recommandations claires pour faire face à l’hydre islamiste. Je tiens à remercier la rédaction du site Le Point et le journaliste Clément Pétrault qui ont rendu possible cette publication. Aujourd’hui, conscient que ce décryptage est d’intérêt public, au moment où la France est à l’heure d’un choix décisif, je me permets de le mettre intégralement en accès libre, augmenté de nombreuses illustrations, pour qu’il soit lu par tout le monde et sans restriction. La connaissance est la clé de l’action. Bonne lecture !
Le Point : Vous avez quitté les frères musulmans en 2006. À quoi ressemble votre vie depuis ?
Mohamed Louizi : Depuis que j’ai quitté les Frères musulmans, ma vie s’est enrichie, pas d’un point de vue pécuniaire, entendons-nous ! Mon approche apolitique de l’islam m’ouvre des perspectives intellectuelles et spirituelles inattendues et me permet de faire sur moi-même tout un travail difficile, parfois très douloureux, d’introspection et d’autocritique sans limites. Tout passe, depuis maintenant quatorze ans, par le tamis de la raison, par le sas du doute qui sauve. Ce travail se poursuit toujours sur les strates de sédiments superposés depuis l’époque islamiste de mon existence. Je ne sais pas où tout cela va m’emmener. Je l’ignore. Je n’ai plus de vérités absolues à défendre. Ce que je sais, c’est que ce travail salutaire sur ma petite personne est plus que nécessaire. Il est indispensable et je ne le fais ni pour plaire, ni pour déplaire, ni pour vendre des essais, ni pour me venger, ni pour négocier une place médiatique, ni pour atteindre un statut politique. Je le fais à mes dépens et j’en paie un coût financier très élevé.
Pourquoi avoir choisi de renier votre engagement… au risque de vous retrouver seul ?
Quand j’ai décidé de rompre avec l’idéologie et l’activisme des Frères musulmans, j’ignorais que j’allais me retrouver presque seul, ma petite famille ostracisée. Je pensais naïvement que leur islam était tolérant. Je pensais que les méthodes punitives qu’ils utilisent ailleurs, contre leurs « ex », ne pouvaient entrer en action ici en France. Cette situation m’a convaincu que j’ai fait le bon choix. J’ai décidé donc d’en témoigner. Ce travail, je le fais d’abord par égoïsme assumé, pour me réparer et restaurer mon humanité altérée, éprouvée, par quinze ans de militantisme islamiste soft power. Je suis père de trois enfants. Quand j’ai quitté la mouvance, mon aînée n’avait que quatre ans, et pourtant ! A ses dix-huit ans, elle se souvient toujours d’un papa très engagé, très rigoriste, qui n’écoutait pas la musique, qui lui interdisait d’adresser la parole aux garçons de son école élémentaire et qui fut tout le contraire de ce que je suis devenu par la suite. Je le fais pour protéger ma petite famille, pour l’immuniser et l’aider à mettre des mots sur les ressorts de l’exclusion familiale qui m’est imposée par des proches scandalisés par mon usage de ma liberté de conscience, de pensée et d’expression. Ma femme et mes enfants ne sont pas hermétiques à toutes ces pressions punitives, exercées par un entourage qui me considère comme paria, comme « ennemi de l’intérieur ». Je le fais ensuite par altruisme au service de la France qui m’a révélé à moi-même et qui m’a sauvé des Frères musulmans. Ce travail de témoignage est d’intérêt public.
Avez-vous apostasié ?
Je n’ai pas renié ma foi musulmane en quittant les Frères musulmans en 2006 : Dieu n’a jamais été frère musulman et les Frères musulmans ne sont pas Dieu. Au nom de mon approche d’un autre islam, d’un islam apolitique, je différencie ma foi de ses divers récits. Foi et récits de la foi ne sont pas synonymes, ne sont pas confus dans mon esprit. J’ai ainsi libéré ma foi de la loi dite islamique et des griffes de l’idéologie islamiste. Je sépare l’expérience mystique, métaphysique, spirituelle, des enveloppes idéologiques et historiques figées qui aspirent depuis toujours à la contrôler. Ma foi a retrouvé sa juste dimension car, dans mon esprit, tout n’est pas islam et l’islam n’est pas tout.
A quoi occupez-vous votre nouvelle vie ?
En parallèle de mon métier d’ingénieur et de ma passion pour le dimensionnement des postes de transformation électrique haute tension, je décrypte, principalement par le biais de mon blog « Ecrire sans censures ! », l’idéologie et les actions des activistes et des structures de l’islam politique depuis mars 2007. Cela ne plaît pas aux islamistes et à leurs acolytes qui mènent, mordicus, des opérations de jihad judiciaire contre mes écrits. Pour l’instant, ils ne rencontrent pas de succès. Sur les six procès pour « diffamation » auxquels j’ai dû faire face, j’en ai gagné cinq définitivement. Le sixième est toujours entre les mains des juges de la Cour de cassation. Évidemment, tant que je peux écrire, je continuerai à le faire, comme dirait l’autre : « même pas peur ». Le poète égyptien Ahmed Shawqi chantait : « L’homme courageux n’abrège point sa vie en affrontant les dangers … Le lâche ne la conserve point en multipliant les précautions. » Je ne prétends pas être un homme courageux. Je suis juste moi-même depuis que j’ai quitté les Frères musulmans.
Pensez-vous possible et souhaitable l’émergence d’un « islam des Lumières » en France ?
Cette expression confuse bien que brillante « d’islam des lumières », ne dit pas grand-chose au sujet de la dimension politique, revendicative, identitaire que chérissent les islamistes. Elle ne dit presque rien sur la nécessité d’inhiber et de neutraliser définitivement la dimension juridique cancéreuse du corps de l’islam : la fameuse charia. Qu’il me soit permis de dire que le citoyen français lambda, y compris de confession musulmane, est sans doute fatigué, lassé, d’entendre parler de l’islam et de ses réformes souhaitées, presque matin, midi et soir, au petit lendemain de chaque attentat islamiste, alors que l’inquiétude le gagne au rythme de la multiplication des attaques jihadistes contre la France et contre notre peuple. La question de la réforme de l’islam, une question d’intellectuels, n’intéresse pas particulièrement ce citoyen. Il n’est pas dans le débat sur le sexe des anges, si vous me permettez l’expression, et il a raison. Pour cela, il y a bien des « spécialistes » et des « experts » sur les plateaux des chaînes mainstream. La question de fond qui le préoccupe est plutôt d’ordre sécuritaire : celle de savoir comment l’Etat va le protéger, lui et ses enfants, aujourd’hui et demain, au nom de ses responsabilités régaliennes, contre les attaques violentes et incessantes de l’islam politique ; comment le ministère de l’Intérieur va lui garantir de rentrer vivant le soir chez lui, la tête sur les épaules.
Alors, pour vous, cette expression d’« islam des lumières » ne serait qu’un slogan ?
Derrière les bonnes phrases, derrière les bonnes intentions, on est capable de dissimuler les pires misères de sa pensée totalitaire. Entendons-nous, en France, au nom de la liberté de conscience, on est libre de se réclamer soi-même d’un « islam modéré », ou d’un « islam du juste milieu », un islam frérosalafiste proclamé par les Frères musulmans, ou d’un « islam wahhabite », ou d’un « islam progressiste », ou d’un « islam des Lumières ». Soit. Ce qui compte à mes yeux, ce ne sont pas les titres ou les déclarations de bonnes intentions mais le contenu, les idées et aussi le point de départ que sont tous ces principes libérateurs, héritage des Lumières, qui animent l’individu. L’expression « islam des Lumières » n’est pas un point d’aboutissement, car les Lumières doivent d’abord être allumées pour éclairer la trajectoire spirituelle et intellectuelle de la femme ou de l’homme de foi musulmane qui choisirait sans pression du groupe, sans contrainte communautaire de son entourage, une expérience religieuse et spirituelle plutôt qu’une autre, ou une expérience philosophique sans Dieu, dans une société libre et sécularisée. Je plaide la cause d’un autre islam apolitique : au sens qu’il est débarrassé originellement de tout code civil ou pénal, de tout projet politique, de toute idéologie de conquête du pouvoir suprême et de la domination de la faune et de la flore au nom d’Allah. Un islam d’un Dieu désarmé et non violent.
Croyez-vous en une réforme possible ?
J’appelle à réformer l’islam, en faisant allusion à ma règle des « 3R » : Redéfinir le sacré, Repenser les textes et Réconcilier l’islam avec la modernité et la laïcité. Je ne prétends pas être un réformateur, simplement, j’interroge sans tabous, sans concession, les principaux facteurs dogmatiques, épistémologiques, culturels, historiques, politiques et juridiques qui ont structuré l’islam durant les trois premiers siècles fondateurs de sa ligne califaliste qui a dominé les onze derniers siècles suivants. J’invite mes coreligionnaires à réfléchir aux sens de cette foi et de son instrumentalisation par les islamistes pour dire la loi et justifier diverses revendications islamistes séparatistes telles que le voile, le halal, les carrés musulmans, la finance dite islamique, les mutilations génitales, le mariage non-mixte, et j’en passe.
On a le sentiment que malgré le soutien plutôt inattendu des Emirats Arabes-Unis, que la France serait devenue « l’ennemi public n° 1 un » des pays musulmans. Partagez-vous ce constat ?
Que la France soit, depuis toujours, l’ennemi public numéro un des Frères musulmans ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, en 1939, lors du Vème congrès de la mouvance islamiste des Frères musulmans, dans un discours incendiaire fondateur de la stratégie de domination globale (Tamkine) menée partout par ces islamistes, Hassan al-Banna, le guide-fondateur de la mouvance et, au passage, le grand-père des Frères Ramadan, avait menacé la France depuis l’Egypte. Il disait, je traduis : « La France qui avait prétendu, pendant un temps, être l’ami de l’islam, devra rendre des comptes aux musulmans aussi longtemps que possible. Nous n’oublierons jamais sa honteuse position à l’encontre de notre chère Syrie. Nous n’oublierons jamais sa position vis-à-vis de la question marocaine et du Dahir Berbère. Nous n’oublierons pas nos frères nombreux, tous ces jeunes de la patrie marocaine, libre et combative, jetés aux fonds des prisons et aux extrémités des exils. Viendra le jour où ce compte sera réglé. C’est ainsi que nous faisons alterner les jours fastes et les jours néfastes parmi les hommes ». Cette haine originelle que témoignent les Frères musulmans à l’égard de la France et de ce qu’elle représente comme idées, comme idéaux et comme principes, depuis le temps, ne faiblit jamais. Tel un phénix qui renaît de ses cendres, les Frères musulmans trouvent toujours le moyen de s’attaquer à la France et galvaniser leurs bases radicalisées contre elle.
D’accord, mais pourquoi spécifiquement la France ?
Certainement parce que la France est l’incarnation vivante et dynamique de tout ce que l’islam politique craint et n’aime pas, de tout ce que l’islam politique veut détruire : la liberté. Quand on observe bien les trente dernières années, une constance se dégage : les deux pays démocratiques ciblés constamment par la propagande de l’internationale frériste sont : Israël et… la France. C’est un fait même si le discours de Dominique De Villepin, en février 2003, prononcé contre la guerre en Irak, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, avait engendré un semblant de trêve qui, en vérité, avait été que de très courte durée et avait pris fin au moment du débat précédant le vote et la promulgation de la loi du 15 mars 2004 qui encadre le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
Pourquoi les islamistes semblent-ils avoir renoncé aux Etats-Unis – qui ont mené une politique ouvertement anti-islam –, mais pas la France ?
S’il est vrai que les Frères musulmans s’attaquent parfois aux Etats-Unis et à la Grande Bretagne, entre autres, cela dépend de la couleur politique du locataire de la Maison Blanche, d’un côté, et de celui de 10 Downing Street, de l’autre. Un président américain, issu du parti Démocrate, et un premier ministre britannique, issu du Labour, ont plus de chance d’être épargnés et à l’abri des attaques fréristes. Histoire, peut-être, de proximités et de convergence d’intérêts pas uniquement géostratégiques.
Face à la France, le cœur laïque battant de l’Europe, la couleur politique du locataire de l’Elysée importe peu. Les attaques sont constantes et les chantages à la déstabilisation se suivent et se ressemblent. Pour cela, les Frères musulmans s’accrochent à tout événement, quand ce ne sont pas eux-mêmes ses principaux instigateurs de l’ombre, pour orchestrer et entretenir ces attaques : les affaires du voile, les caricatures de Mahomet, le burkini sur des plages et dans des piscines, le positionnement de la France au sujet de la Syrie, de la Libye, du Kurdistan, de la Méditerranée orientale, de la Grèce, de l’Arménie, du Sahel, etc. Ils font feu de tout bois pourvu que ses flammes tiennent le plus longtemps possible, en attendant la prochaine provocation. N’oublions pas qu’Hassan al-Banna a promis à ses Frères que le bassin méditerranéen sera et redeviendra islamique. Sur le contexte actuel, on voit bien que les Frères musulmans voudraient bien que l’on considère leur manœuvre de boycott comme étant « représentative » du sentiment des musulmans à travers la planète mais la vérité est toute autre. De ce point de vue, le positionnement des Emirats Arabes Unis, qui, en 2014 a classé, à juste titre, les Frères musulmans et ses branches comme organisations terroristes, n’est pas un fait isolé. La France est soutenue par de nombreux musulmans, un peu partout dans le monde arabe, qui chérissent la laïcité et militent chez eux pour que la modernité soit et prospère.
Y a-t-il, pour vous, une ligne politique « frériste » derrière ces alliances contre la France ?
Sans aucun doute. Cependant, il ne s’agit nullement d’une simple ligne politique fantasmée ou d’un axe imaginaire sans intérêt. Au contraire, il s’agit bel et bien d’un croissant islamiste structuré, pragmatique, idéologique, identifiable, identifié, physique, géopolitique, économique, financier, militaire et va-t-en guerrier, rassemblant en son sein l’ensemble des composantes gouvernementales et non gouvernementales de l’islam politique en action, qu’elles soient sunnites ou chiites. L’alliance sunnite-chiite au sein de la famille islamiste n’est pas contre-nature. Ce croissant islamiste relie symboliquement l’Indonésie au Maroc, en passant par la Malaisie, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Iran, le Qatar, la Turquie, la Libye, la Tunisie et l’Algérie.
Comment se manifeste concrètement cette alliance ?
Lorsque les regards inquiets du monde entier, à la veille de Noël, étaient rivés sur les incendies en Australie et sur l’apparition à Wuhan en Chine des premiers cas de contamination au coronavirus, les parrains de ce croissant islamiste, eux, étaient tous rassemblés dans un sommet inédit et cinq étoiles à Kuala Lumpur, la capitale malaisienne, du 18 au 21 décembre 2019. On pouvait y voir un « sommet antisaoudien », anti-Emirats Arabes Unis, matérialisant ce mouvement conscient mais surexcité des plaques tectoniques islamistes, loin du régime saoudien qui semble décidé à s’engager sur la voie d’une réforme globale de son système et d’une limitation de ses influences religieuses extérieures.
On pouvait et on peut voir dans ce sommet la matérialisation de ce croissant islamiste qui, à desseins inavoués, a rassemblé à cette occasion les pièces de son puzzle pour faire le bilan d’étape d’une décennie écoulée ; pour en tirer les enseignements des expériences des islamistes après ledit « printemps arabe » ; et surtout, pour préparer la nouvelle décennie avec comme date anniversaire, marquée dans tous les esprits, l’an 2024 : le centenaire de la chute du califat Ottoman que les Frères musulmans œuvrent, par tous les moyens, à rétablir à terme.
Cette coalition menace surtout l’ordre mondial entre pays musulmans, non ?
Certainement. C’est peut-être pour cette raison que les oulémas officiels de l’Arabie Saoudite ont décrété un avis religieux, publié ce 10 novembre 2020, considérant les Frères musulmans comme « groupe terroriste qui ne représente pas l’approche de l’islam [...], attaque les dirigeants, attise la discorde, dissimule la religion et pratique la violence et le terrorisme. » Ce virage saoudien doit encore s’affirmer, on l’espère, par le rejet définitif du salafisme wahhabite.
Il serait imprudent de ne pas tenir compte de la réalité de cette coalition, de sa capacité de frappe, notamment jihadiste, et de ses menaces à l’égard de la France et de l’Europe aussi. Sur le papier, cette coalition revendiquerait, démographiquement parlant, un peu plus de 800 millions d’habitants quand l’Europe en compte environ 741 millions. Cela ne veut surtout pas dire que ces 800 millions partageraient la vision de l’islam politique, encore moins ses projets et ses projections, mais à l’ère des réseaux sociaux et des chaines satellitaires sous contrôle, cette coalition a fait la démonstration de sa capacité à mobiliser, à s’organiser et à engager, dans son jihad tout-terrain, des forces exogènes et aussi des forces endogènes, biberonnées au sein même de la France et de l’Europe.
Il y a une méthode frériste particulière appliquée à la géopolitique internationale ?
Ce croissant islamiste espère faire mal à la France et à l’Europe, en instrumentalisant, à échelle planétaire, le sentiment religieux musulman et l’image de Mahomet. Il peut y arriver, en particulier, si l’Europe continue de courber l’échine face à la Turquie d’Erdogan qui, rappelons-le, contrôle aux frais de l’UE, les flux migratoires (et accessoirement jihadistes) dans l’espace Schengen et en fait une carte de pression. Erdogan contrôlait déjà la porte Est de l’Europe. Il contrôle aussi, à travers ses subalternes en Libye et en Tunisie, la porte Sud menant vers Lampedusa. Il aimerait avoir le contrôle de la porte Ouest, Gibraltar, pour que son piège totalitaire se referme définitivement, complètement, sur le Vieux continent.
C’est bien cette coalition islamiste qui malmène l’image de la France après les déclarations du président de la République au sujet de l’islam politique et après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine. La plupart des pays musulmans qui ont condamné la France étaient présents officiellement ou représentés discrètement par des délégations officieuses au dit sommet de Kuala Lumpur.
Quels sont les responsables politiques à la manœuvre ?
On peut citer l’ex-premier ministre malaisien, Mahatir Muhammad, présent à ce sommet qui a enjoint récemment aux musulmans de « tuer des millions de Français ». Ou encore cette déclaration du Frère musulman Ali al-Qaradaghi, le secrétaire général de l’officine frériste UISM (Union internationale des savants musulmans) qu’héberge le Qatar et la Turquie, présent aussi à ce sommet. Il a accusé publiquement les services secrets français d’être les instigateurs de la décapitation de Samuel Paty. On peut citer des députés islamistes marocains et des politiques qataris, koweïtiens et jordaniens. On peut citer des exemples de cette propagande principalement menée par les brigades numériques des Frères musulmans, du Maroc jusqu’en Indonésie. D’ailleurs, l’administration de Facebook vient de supprimer des milliers de comptes pro-Frères musulmans, suivis par un million et demi d’abonnés et qui diffusent leur propagande mensongère et déstabilisatrice.
On note aussi, et c’est loin d’être anecdotique, qu’en Andalousie espagnole, ledit cheikh Abdullah ben Nasser Al-Thani, cousin de l’Emir du Qatar et président du club de Malaga, a menacé clairement, vulgairement, Emmanuel Macron et a réclamé des excuses officielles. En ligne de mire de la justice ibérique, soudain il s’est mué en défenseur de Mahomet ! Tout cela parce qu’Emmanuel Macron a déclaré que « l’islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui, partout dans le monde ». On n’a pas entendu ce cousin de l’Emir du Qatar tenir les mêmes propos à l’égard de l’ex-premier ministre malaisien islamiste, Mahatir Muhammad, qui, en ouverture dudit sommet de Kuala Lumpur, avait dit la même chose, presque à la virgule près, sans être inquiété. Il dit vouloir comprendre pourquoi « l’islam et les pays musulmans étaient en crise, sans espoir et indignes de cette grande religion ». Deux poids, deux mesures.
Peut-on affaiblir l’islamisme sans renoncer à l’orthopraxie religieuse ? En d’autres termes, l’islam mondial n’est-il pas en train de se repositionner sur des standards rigides ?
Le fondamentalisme islamiste, à l’image d’autres fondamentalismes juifs et chrétiens, fracture la communauté des fidèles et se positionne en juge des âmes : distribuant aux uns, les bons points, et autres, les mauvais. Il s’en sert aussi pour désigner les « bons » et les « mauvais » musulmans, selon ses standards extrémistes, et surtout, pour cibler ceux qui ont des fragilités psychologiques et des faiblesses financières. Il en fait son carburant et sa chair à canon.
Entre la belle pratique religieuse discrète de mon grand-père, Sidi, paix à son âme, et la pratique extrémiste, ostentatoire et revendicative d’un wahhabite zélé ou d’un frérosalafiste sombre et menaçant, il n’y a aucune comparaison qui tient. La prière de mon grand-père dans sa chambre, dans un village reclus de la campagne marocaine, fut une ascension mystique pour enchanter son âme. La prière collective dans une rue parisienne, conduite par un islamiste connu des services de l’Etat, est un acte politique : une déclaration de désobéissance à l’ordre républicain, une déclaration de guerre à la laïcité.
Ce sont évidemment des islams irréconciliables. L’islamisme est le cancer originel de l’islam. Son idéologie politique et ses structures en réseau ont fait une OPA religieuse sur l’islam, la religion, à tel point que les deux se confondent dans bien des esprits éclairés. La République a su mettre de l’ordre dans ses relations avec le judaïsme et le christianisme. En appliquant la loi, toute la loi, rien que la loi, elle saura, par un volontarisme pragmatique assumé, tuer le cancer et épargner le patient.
Les Frères Musulmans ont-ils, d’après vous, un projet pour la France ?
Partout où les Frères musulmans se sont installés, ils mènent un projet politique suprémaciste. Le même projet que leurs Frères musulmans des contrées lointaines et voisines. Ce projet porte un nom de code depuis 1928 : le Tamkine. Ce vocable arabe, que je préfère garder dans sa langue d’origine, au vu de sa charge symbolique et idéologique peut être approché et compris comme étant la domination politique pour soumettre les individus, la société et l’Etat à ladite loi d’Allah.
Il s’agit d’un plan stratégique sophistiqué, détaillé et adapté à chaque pays, visant à atteindre, à terme, le sommet du pouvoir politique pour que l’islam, tel qu’il est compris, promu et pratiqué par les Frères musulmans et par leurs idéologues transnationaux, s’infiltre dans toutes les sphères de la société pour imposer la loi islamiste totalitaire, rétrograde et liberticide. Cela passe d’abord, selon la littérature de la mouvance par l’islamisation de l’individu, puis de la famille, puis de la société, puis de l’État. Les états ainsi islamisés par étapes et par étages formeront, dans les projections des Frères, le califat islamique dont ils rêvent les yeux ouverts.
Vous sous-entendez que le scenario est comme écrit à l’avance…
Ce projet est écrit depuis 1928, la date de création des Frères musulmans. Les têtes pensantes de la mouvance ont imaginé quatre étapes pour le déroulement à long terme de cette stratégie de conquête : Premièrement, diffuser l’islam frérosalafiste par toutes les voies légales et possibles, notamment par la voie des mosquées, des associations culturelles et des rassemblements locaux, régionaux et nationaux. Deuxièmement, sélectionner parmi la masse populaire qui répond naïvement, ou par intérêt, à l’appel des Frères musulmans, les ressources humaines futures nécessaires, en particulier des jeunes, en vue de les structurer, de les endoctriner dans des cellules privées fermées et dans des structures associatives et scolaires ouvertes, pour en faire les cadres de l’infiltration qui se prépare. L’objet étant de les armer idéologiquement pour que, de là où ils se trouveraient demain, ils puissent diffuser l’idéologie islamiste et défendre ses intérêts : une sorte d’état dans l’Etat. Troisièmement, faire un bilan d’étapes pour s’assurer que l’entrisme opéré couvre toutes les sphères de la société et, le cas échéant, corriger les écarts constatés. Quatrièmement, prendre le pouvoir suprême par la voie des élections, si possible, ou par la voie des deux sabres croisés en-dessous d’un Coran dont ils puisent comme cri de ralliement : « Et préparez [pour lutter] contre eux tout ce que vous pouvez comme force et comme cavalerie équipée, afin d’effrayer l’ennemi d’Allah et le vôtre. », sourate 8, verset 60.
Ce projet Tamkine a-t-il déjà rencontré des succès ?
Oui le projet Tamkine a rencontré des succès dans le monde arabo-berbère. Même si les Frères musulmans ont toujours nié son existence, des perquisitions policières ont mis la main sur ses documents secrets, sur ses détails. En 1992, la police égyptienne avait découvert un plan Tamkine chez un leader de la confrérie. Vingt ans plus tard, en 2012, Mohamed Morsi est élu président après la chute d’Hosni Moubarak. Le coup d’état militaire des Frères musulmans soudanais, en 1989, n’était pas le fruit du hasard mais l’aboutissement d’un plan Tamkine adapté au Soudan. La victoire du FIS (Front islamique du salut) aux législatives algériennes de 1991 qui a précédé la guerre civile et la « décennie noire », n’était pas une erreur de casting. Au Maroc, en 1997, j’ai participé activement à Casablanca à la première campagne électorale des Frères musulmans aux législatives marocaines. Leur parti de l’époque, le MPCD, avait remporté 9 sièges malgré des fraudes et un nombre très limité de candidats. Aujourd’hui, leur parti, le PJD (Parti justice et développement), a 125 sièges et il est à la tête du gouvernement. La Tunisie laïque de Bourguiba n’a rien à voir avec celle de Kaïs Saïed, soutenu par le puissant parti islamiste Ennahda. On peut ainsi multiplier les exemples. Partout, les Frères musulmans ont matérialisé l’existence du projet Tamkine, en accédant au pouvoir, en profitant de l’opportunité offerte par le mystérieux « printemps arabe ». Les Frères yéménites et syriens n’ont pas pu valider la quatrième étape. Ces succès relatifs démontrent le niveau d’infusion de leur idéologie dans les couches populaires défavorisées qui votent massivement pour eux.
En dépit des excellentes fictions de Michel Houellebecq, on imagine quand même assez difficilement la domination des Frères Musulmans sur la France…
En France, en Europe et en Occident, les choses ne se présentent pas totalement de la même manière. Notons tout de même que le frère musulman Chakib Benmakhlouf, ex-président de la FOIE (Fédération des Organisations Islamiques en Europe), l’arbre des Frères musulmans en Europe, avait déclaré dans une interview en arabe accordée le 20 mai 2008 au journal londonien Asharq Al-Awsat, je traduis : « Au sein de la FOIE, nous avons un plan d’action, nous avons un plan d’action sur 20 ans ; sur le court terme, le moyen et le long terme. Certains événements, malheureusement, se déroulant de temps à autre perturbent l’avancement de notre action. Des musulmans sont vite attirés vers des combats marginaux. Notre plan d’action global se trouve parasité. »
Les choses ne se présentent pas totalement de la même manière, car si le monde arabo-musulman est considéré comme un territoire déjà acquis mais à réislamiser, l’Occident, lui, ne l’est pas encore aux yeux des stratèges de l’islam politique. Le projet Tamkine ne peut s’établir, par définition, que sur une plateforme solidement labourée, des années durant, par l’islamisme, toutes franges confondues. Pour cela, l’idée est de faire accepter d’abord la présence islamique sur des terres considérées comme étant non-musulmanes et d’ancrer les symboles religieux de cette présence, ses signes distinctifs, ses bâtiments cultuels et culturels, tels des balises, au sein de la demeure occidentale.
Est-ce que certains mouvements rigoristes appellent « l’islamisation du paysage » ?
Ce procédé, visant à banaliser cette présence et à la rendre acceptable aux yeux des Français et des Européens a aussi un nom de code dans la littérature des Frères musulmans : le Tawtine. Ou comment faire du récit islamiste, importé de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de la Turquie et des pays du Maghreb, un élément constitutif de l’identité et du roman national de chaque pays de l’Europe. Les Frères musulmans s’y emploient depuis le début des années soixante. Cette pré-étape s’est caractérisée certes par un prosélytisme effréné, mené conjointement par les Frères musulmans et aussi par le mouvement Tabligh et par les Wahhabites. Mais elle s’est caractérisée aussi par la construction des salles de prières, des mosquées-cathédrales, des aumôneries et par diverses acquisitions du foncier immobilier, entre autres acquisitions sociales et économiques, grâce à l’argent pétrodollar saoudien, koweïtien et qatari.
Existe-t-il des figures fréristes françaises connues du grand public ?
Dans l’essai de Caroline Fourest, Frère Tariq (Grasset-2004), on apprend qu’en 1991, le frère musulman Ahmed Jaballah a présenté l’UOIF comme « une fusée à deux étages. Le premier étage de lancement est démocratique ; le second sera de mettre la société islamique sur orbite. » Rappelons que l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) est la principale branche des Frères musulmans dans l’Hexagone. Aujourd’hui, elle usurpe le nom de « Musulmans de France ». Les deux « étages » dont parlait ce frère franco-tunisien, devenu président de cette officine en 2011, ne sont en vérité que les deux traductions des deux paliers de la stratégie islamiste globale, en dehors des terres dites musulmanes : le Tawtine et puis le Tamkine. Dans un article de l’Express datant de 2015, on lit : « Pour Amar Lasfar, président de l’UOIF, après la focalisation sur la construction des mosquées, « l’ère de l’école est venue ». » Cela veut dire que la construction des mosquées frérosalafistes, par la première et la deuxième génération immigrée, répandait aux besoins du lancement de la fusée. Le ciblage de l’école, entre autres, répond à l’impératif islamiste de formation des futures ressources humaines, choisies parmi la deuxième et la troisième génération issue de l’immigration, nécessaires pour atteindre l’orbite visée.
La mode est à la « lutte contre le séparatisme » et on voit l’exécutif prononcer des dissolutions d’associations à tour de bras. Pensez-vous qu’il faudrait interdire les Frères musulmans ?
Lutter efficacement contre l’islam politique et les Frères musulmans exige que l’on tienne compte de la cohabitation, en même temps, de leurs deux formes d’activisme : l’ancienne forme pyramidale de la première génération des Frères musulmans immigrés dans les années 70 et 80, et la nouvelle forme, celle de l’étoile de mer à cinq bras, de la deuxième et de la troisième génération des Frères musulmans, infiltrant ces « indigènes de la République ». S’il est relativement aisé, pour les services de l’Etat, de surveiller l’ancienne forme de l’activisme frérosalafiste, puisqu’on connaît les têtes, les lieux, les circuits de financement et les programmes, il est relativement difficile, mais pas insurmontable, de contrer la prolifération des cellules islamistes semi-autonomes.
Quelle méthode préconisez-vous ?
Il faut d’abord observer attentivement le réseautage en place, analyser les formes des cercles qui le composent et la nature de leurs liens, interactions et connexions. Identifier avec précision le socle idéologique commun qui les anime en se basant sur leurs activités connues, leurs publications sur les réseaux sociaux, leurs programmes, la liste de leurs invités, l’identité des membres actifs et les liens établis, mêmes éphémères, avec des structures-mères de l’ancienne forme. Identifier l’élément catalyseur dans chaque cercle. Celui-ci apparaît sans pouvoir réel sur les autres mais organise et veille au bon fonctionnement de la cellule associative, modère ses échanges et passe le relais quand il se sent surveillé, afin de protéger la structure. L’observation, la collecte d’informations et l’analyse selon une nouvelle grille organisationnelle adaptée, et mise à jour en permanence, permet aussi de dresser les portraits-robots des développeurs du réseau islamiste à défaut de préciser leurs vraies identités. Il s’agit de tous ces leaders charismatiques sulfureux, d’ici ou d’ailleurs, qui incitent insidieusement à la création des cellules islamistes semi-autonomes mais sans faire partie, organiquement parlant, d’aucune d’elles.
Comment sortir des effets d’annonce ?
Il est clair que la collecte d’informations ne sert strictement à rien si la volonté politique de frapper l’hydre islamiste n’y est pas ou ne s’exprime que timidement dans l’hésitation au lendemain de chaque attentat islamiste. Pour que la peur change de camp, vraiment, réellement, définitivement, ce n’est pas le ton martial et son verbiage destiné à la consommation médiatique qui fera le poids. L’effet d’annonce veut dire simplement des annonces sans effets. Les récentes déclarations du président de la République ne sont-elles pas brouillées par l’action de son ministre des affaires étrangères qui est parti jusqu’en Égypte faire une explication du texte auprès du mufti d’Al-Azhar : ce gardien du fondamentalisme islamiste et de sa matrice idéologique sunnite ancestrale, portant les empreintes du frérosalafisme et du wahhabisme ?
Je ne sais pas si vraiment l’exécutif prononce des dissolutions à tour de bras. Je reste prudent. Tout au plus, il s’agit de quelques branches (Barakacity, CCIF, etc.) presque flétries bien avant l’avènement de ce qui ressemble à un automne sécuritaire nécessaire, à confirmer. On constate que depuis que le ministre de l’Intérieur a notifié au CCIF sa dissolution, ce collectif botte en touche et dit avoir « déjà déployé une large partie de ses activités à l’étranger. » Il s’est trouvé certainement un paradis victimaire sûr quelque part, pour continuer à s’en prendre à la France et à salir son image.
Pour vous, la dissolution du CCIF n’était pas une bonne mesure ?
Ce n’est pas ce que je dis, mais le CCIF semble avoir perdu de sa hargne depuis quelque temps, depuis au moins la création d’une nouvelle plateforme associative puissante, redoutable et mobilisatrice : L.E.S Musulmans. Certes des anciens du CCIF font partie de l’équipage fondateur, notamment Marwan Muhammad, mais il y en a d’autres. En plus d’avocats, le comité de pilotage est composé de sociologues, d’anthropologues, de géographes, de statisticiens et de chercheurs au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), au CIDOB (Barcelona center for international affairs), à l’INED (Institut national des études démographiques) ainsi que des militants associatifs issus de l’extrême-gauche et de l’islamo-gauchisme. Ses visages sur le terrain sont des imams 2.0, ancrés dans des territoires difficiles, à l’image d’Abdelmonaïm Boussenna et de Rachid El-Jay, alias Abou Houdayfa, connus des services de l’Etat.
C’est bien cette plateforme qui était à l’initiative de la manifestation du 10 novembre 2019, contre ladite « islamophobie », où l’on a scandé « Allahou’Akbar » dans l’espace public et où l’on a fait porter des croissants et des étoiles jaunes à des enfants. Quel intérêt donc de s’attaquer au CCIF, une coquille équipée à sa création de l’option obsolescence programmée, alors que la plateforme L.E.S Musulmans a déjà pris le relais et a le vent en poupe ? Quand est-ce que l’Etat compte dissoudre cette plateforme nuisible et radicale ? C’est une question légitime.
Vous semblez dire que ces structures ne poursuivent pas réellement les objectifs qu’elles prétendent défendre…
Il est évident que les deux structures-sœurs radicalisent les esprits, institutionalisent la pleurniche communautaire et judiciarisent toute critique de l’islam. Au passage, elles mettent des cibles sur les têtes qui les dérangent, fidèles à un procédé idéologique constant chez les Frères musulmans depuis 1928 : la fameuse Madhlomiyya, la victimisation. Et ce, dans la droite ligne de toute une littérature frériste arabophone victimaire paraissant après chaque coup dur encaissé par ces islamistes dans le monde arabe. Cette littérature a désormais des équivalents en français tels que « La nouvelle islamophobie » écrit par Vincent Geisser et paru en 2003 ainsi que « Musulmans de France, la grande épreuve », paru en 2017, et coécrits par le même Vincent Geisser, Oméro Marongiu-Perria et Kahina Smaïl. Dans ce dernier essai victimaire, 28 personnalités interviewées sur un total de 39 sont des activistes de la nébuleuse des Frères musulmans. Aussi, pourquoi s’attaquer à Barakacity et épargner des structures des Frères musulmans, beaucoup plus puissantes et plus tentaculaires qu’elle ? Car dissoudre Barakacity, et c’est une très bonne chose, mais sans toucher aux autres structures frérosalafistes agissant derrière le paravent de l’action sociale et humanitaire, ne fera que renforcer ces dernières. L’argent à l’odeur islamiste, qui ne sera plus collecté par Barakacity, le sera sans doute par les frérosalafistes du Secours Islamique et de Human Appeal, entre autres.
Que préconisez-vous ?
La semaine dernière, j’ai cosigné à côté de femmes et d’hommes politiques ainsi que de nombreux intellectuels de tout horizon, une lettre ouverte adressée au président de la République, au Premier ministre et au ministre de l’Intérieur, appelant à dissoudre la fédération « Musulmans de France » (ex-UOIF). L’Etat démontre qu’il peut dissoudre des organisations islamistes telles que le CCIF et Barakacity. Il faut qu’il aille au bout de cette démarche sécuritaire justifiée et ne surtout pas s’arrêter en début de chemin. Il faut dissoudre toutes les représentations des Frères musulmans en France et toutes les associations qui leur sont proches ou affiliées.
Parmi ces associations, il y a aussi celles qui développent l’enseignement privé à l’échelle nationale et avec qui l’État a déjà signé des contrats d’association engageant l’argent du contribuable pour payer les salaires des enseignants… y compris d’enseignants qui peuvent difficilement ne pas être fichés « S ». Qu’attend-on pour dissoudre la FNEM islamiste (Fédération nationale de l’enseignement privé musulman) présidée par le frère musulman Makhlouf Mamèche et de casser unilatéralement tous les contrats d’association signés avec ses établissements, à commencer par le contrat signé avec le Lycée Averroès à Lille condamné en 2017 par la justice ? Le ministère de l’Education nationale devra suivre l’exemple de Xavier Bertrand à ce sujet.
En attendant, l’exécutif doit exclure, de toutes les discussions en cours autour de l’organisation du culte musulman, toutes les fédérations proches de près ou de loin des Frères musulmans, en particulier : « Musulmans de France », la confédération turque Milli Görüs pro-Erdogan, le Rassemblement des musulmans de France, proche des islamistes marocains ainsi que l’association AMIF co-présidée par Hakim el-Karoui et Tareq Oubrou. Si cela est fait, un acte fondateur symbolique aura été accompli. Il rompra ainsi avec la logique des années 2000 où l’on a décidé, au plus haut sommet de l’Etat, d’intégrer les intégristes au sein du CFCM. Les laisser autour de la table de la République, c’est leur donner les clefs et l’acte notarié de propriété de ce nouveau « conseil des imams ».
Vous ne croyez pas dans ce projet de charte des valeurs républicaines ?
C’est à l’Etat et non au CFCM de rédiger une charte républicaine gérant ses liens avec le culte musulman. Parmi les actes non-négociables de cette charte, hormis le rappel des dispositions relatives à la loi 1905 et à l’interdiction des financements étrangers, l’Etat doit insister particulièrement sur l’inviolabilité des libertés individuelles et des droits fondamentaux en France. Il doit rappeler à ces prétendus « représentants du culte musulman » la supériorité absolue de la loi républicaine sur toute autre loi ainsi que le principe constitutionnel de souveraineté nationale qui appartient exclusivement au peuple français et, en aucun cas, à Dieu.
Cette charte doit préciser que la liberté de conscience, permettant de pouvoir changer de religion, de quitter l’islam, de s’apostasier ou de devenir athée est une liberté fondamentale et un droit. L’apostat n’a plus à s’inquiéter pour sa vie. Il ne doit pas vivre sous protection policière ou caché, la peur au ventre du qu’en-dira-t-on communautariste et du harcèlement réel dans les rues ou virtuel sur les réseaux sociaux. Une fillette en bas âge n’a pas à être voilée dans une mosquée ou dans une école alors qu’elle n’est pas en âge de choisir sa religion. La République devra rappeler que les libertés de pensée et d’expression sont sacrées en France et que le blasphème exprimé dans des articles, des romans ou des caricatures est un droit et non un crime. Elle devra rappeler aussi que la haine anti-athées, anti-juifs, anti-chrétiens, anti-homosexuels, anti-musulmans lorsqu’ils sont d’une autre tradition spirituelle, n’est pas une opinion mais un délit et n’a pas sa place dans les prêches de vendredi, au même titre que les discours victimaires concernant le conflit israélo-palestinien et le sort des minorités musulmanes dites « persécutées » dans d’autres pays.
Qu’attendez-vous d’autre ?
Cette charte soulignera aussi, je l’espère, le droit des femmes de disposer entièrement, librement, de leurs corps. L’accès à l’IVG ne doit pas être empêché par des versets coraniques ou par des hadiths attribués à Mahomet. Elle précisera qu’une femme musulmane, au nom de l’égalité homme-femme et du partage des libertés, peut, si elle le décide, se marier sans tuteur avec un homme non-musulman de son choix, et vice et versa. Cela concerne aussi la reconnaissance par ce « conseil des imams » de la loi du mariage pour tous. Elle précisera que la sexualité en France est libre et égalitaire quelle que soit l’orientation sexuelle que l’on choisit. Une fille qui annonce sa liaison avec un garçon ou avec une fille n’a pas à être tondue ou brûlée vive. Le « crime d’honneur », cette abomination barbare, n’a pas sa place en France. Un enfant qui fait son coming-out ne doit être ni puni, ni exclu de la famille, ni menacé de quelque façon que ce soit, en raison de son homosexualité. Il doit être aimé, reconnu et protégé au même titre que ses frères et sœurs hétérosexuels ou bisexuels. Elle consacrera la protection de l’intégrité physique des enfants contre les mutilations génitales, excision comme circoncision. Elle rappellera le principe républicain de non-confessionnalité des cimetières. La paix entre les vivants ne dépend-elle pas de la paix entre les morts ?
Toutes les organisations devront ratifier cette charte et l’afficher en permanence dans les lieux de culte musulman. Tout refus devra signifier dissolution, fermeture du lieu de culte concerné, expulsion de l’imam s’il n’est pas Français ou poursuite judiciaire dans l’autre cas. Cela sera un autre acte fort qui remettra la République au milieu de tous ces « territoires conquis de l’islamisme ».
Pas de lutte sans approche globale ?
Lutter contre l’islam politique c’est lui déclarer frontalement une guerre globale, par choix stratégiques, par décisions politiques volontaristes et non par effet de mode. Il faut cibler le cœur du réacteur idéologique de l’ancienne forme ainsi que ses réacteurs de secours. Il faut assécher et tarir ses sources. En même temps, il faut cibler les hubs et les switches du réseau islamiste, nouvelle génération. Sans cela, l’islam politique continuera à se développer, peut-être à un rythme moins prononcé qu’avant, mais il continuera à se développer quand même. Les Frères musulmans savent très bien bomber le torse en phase ascendante d’apogée. Ils savent aussi se faire oublier, faire profil bas, montrer patte-blanche, un tant soit peu, en phase descendante de latence.
Êtes-vous confiant ?
Oui, je me force de l’être même si la réalité paraît compliquée et la guerre contre l’islam politique s’annonce rude, longue et incertaine. Il faut savoir que quand un frère musulman taille bien sa barbe le matin avant d’enfiler son costume italien trois pièces, pour se rendre à une réunion de lobbying à la Commission Européenne, il pense à ce rêve-promesse d’Hassan al-Banna qui expliquait que « la bannière d’Allah » sera arborée au-dessus de l’Occident et que la Méditerranée et la Mer rouge redeviendront « islamiques comme avant. » Son petit-fils Tariq Ramadan écrivait dans un essai paru en 2014 : « Nous sommes en Occident pour y rester, s’il plaît à Dieu… c’est entendu. » On se dit rendez-vous dans dix ans, si la guerre civile n’éclate pas avant. Pour l’éviter, l’Etat sait ce qu’il doit faire et il faut qu’il le fasse tout de suite.
… … …
Boîte noire :
* Cette interview a été publiée une première fois par le site Le Point, en quatre épisodes :
Premier épisode (24/11/2020) : « Mohamed Louizi : «Les Frères musulmans ne sont pas Dieu» » à lire ici.
Deuxième épisode (25/11/2020) : « Mohamed Louizi : «La France est l’ennemi n°1 des Frères musulmans» » à lire ici.
Troisième épisode (26/11/2020) : « Mohamed Louizi : «Les Frères musulmans mènent un projet politique suprémaciste» » à lire ici.
Dernier épisode (27/11/2020) : « Mohamed Louizi : «Il faut dissoudre les Frères musulmans» » à lire ici.
Bonjour, article toujours didactique, merci pour vos analyses, constats et solutions.
Cordialement
Sophie Menin
Merci à vous !
Très précis document très important
Tellement juste et précis Mohamed. Merci à vous. Si E. Macron pouvait vous écouter…
Merci Mohamed pour cet éclairage puissant des stratégies suivies par l’islamisme des frères musulmans.
Puissent les services de l’Etat en tirer les actions qui s’imposent.
Merci d’avoir partagé ta vision des évènements, d’un claquement de doigt le gouvernement peut faire cessé leurs agissement mais malheureusement j’ai comme l’impression que ces personnes sont des cartes dans un jeu qui nous dépasse. Si un couillon comme moi trouve des liens fort entre le CCIF et L.E.S Musulmans alors une personne de la DGSI doit avoir une vision bien plus large.
Merci Monsieur Louizi pour tous ces éclairages en parallèle de ceux contenus dans vos ouvrages. Vous êtes entendus et vous avez tout notre soutien dans ce combat qui est aussi le nôtre ! Merci