Islamisme : ce que l’Autriche apprend à Macron
6 12 2020Par Mohamed LOUIZI
En se rapprochant de la date anniversaire du 9 décembre, les militants islamistes «pour un islam de France», à la sauce des Frères musulmans et de l’Institut Montaigne, s’agitent désespérément et tentent de jouer leurs dernières cartes. Depuis quelques semaines, ils multiplient les tribunes pour faire pression sur l’exécutif. Le 25 novembre 2020, Cécile Chamberaud relaie dans Le Monde les états d’âme et la frustration du frériste Mohamed Bajrafil, un autre coéquipier d’Hakim el-Karoui au sein de l’AMIF. Toujours dans Le Monde, l’islamiste Tareq Oubrou signe une tribune, le 1er décembre 2020, pour s’opposer, avec vanité perceptible, à la vraie-fausse proposition du gouvernement de créer un «conseil des imams», adossé au CFCM. Cette tribune est cosignée par des «imams» fréristes notoires.
Bien que le CFCM soit noyauté par les Frères musulmans depuis sa création en 2003, ces islamistes redoutent le risque d’être empêchés, au sein de ce «conseil des imams», par d’autres fédérations marocaines et algériennes, de dérouler la suite de leur programme politique, depuis les minbars et les rangs de la prière. La «labélisation» des imams leur fait peur. Ils la contestent. Le projet qu’ils ont conçu au sein de l’AMIF, co-présidée par le banquier Hakim el-Karoui – Monsieur «islam» de l’Institut Montaigne – et l’islamiste Tareq Oubrou, devait leur garantir d’avoir les mains libres et surtout de disposer de l’argent du halal, du pèlerinage à la Mecque et de l’aumône : une manne financière intarissable qui viendrait compenser le manque à gagner quand les robinets pétrodollars seraient complétement fermés. Il semble que ce projet ait désormais du plomb dans l’aile. Néanmoins, on doit toujours se méfier de la bête blessée et du «en même temps» marconien, quand on sait le temps, l’argent et la patience que les architectes de l’AMIF ont engagés pour tromper la vigilance nationale et duper les médias.
Ce projet trouve ses racines dans un premier rapport publié par l’Institut Montaigne en septembre 2007 : «Au nom de l’Islam … Quel dialogue avec les minorités musulmanes en Europe ?». Il est signé par l’Italienne Antonella Caruso, ancienne conseillère du PDG de la société pétrolière italienne ENI. Entre autres propositions, qui sous-tendent étrangement celles d’Hakim el-Karoui dans les récents rapports qu’il a signés pour le compte de l’Institut Montaigne, Antonella Caruso a proposé, la mise en place d’une autorité religieuse «musulmane» dans chaque pays de l’Europe et d’y établir une «faculté de théologie islamique» qui, dit-elle, doit être «indépendante de tout contrôle d’Etat mais cependant jouir d’une forme de financement public». Elle a présenté le cas de l’Autriche, comme un cas d’école, qui, dès 1979, a mis en place l’IGGiÖ : Communauté religieuse islamique en Autriche. C’est bien ce modèle autrichien que l’Institut Montaigne érige en modèle sous la plume, cette fois-ci, d’Hakim el-Karoui. Son rapport «Un islam français est possible», datant de septembre 2016, s’en inspire.
En 2015, l’Autriche, un pays concordataire, a adopté une nouvelle loi qui ressemble à celle que l’exécutif pourrait faire adopter dans les prochaines semaines pour lutter contre les «séparatismes». A cette époque, Sébastien Kurz, l’actuel chancelier, occupait le poste de ministre de l’Intégration. Il avait présenté cette loi comme étant un outil qui «accorde davantage de droits aux musulmans» et qui veut, en même temps, «combattre clairement les dérives». L’Institut Montaigne dit à peu près la même chose, je cite : «la loi du 25 février 2015 donne tout à l’islam autrichien et prend tout à l’islam étranger.» Ledit «islam autrichien» pourrait-il, pour autant, servir de laboratoire au dit «islam français» ?
Pour répondre à cette question j’invite à lire ce rapport factuel de 50 pages, «Les Frères musulmans en Autriche», rédigé par Lorenzo Vidino, le directeur du programme sur l’extrémisme à l’Université George Washington et publié en anglais en août 2017. On y apprend comment les Frères musulmans ont pu infiltrer et instrumentaliser l’IGGiÖ, depuis sa naissance, dans la diffusion de leur idéologie politique islamiste aux frais d’honnêtes contribuables autrichiens. Le cas du jeune islamiste Amir El-Shamy y est évoqué parmi tant d’autres. Il avait occupé des responsabilités au sein de l’IGGiÖ et surtout au sein du parti SPÖ, Parti social-démocrate d’Autriche, avant de le quitter sous la pression médiatique.
En 2017, ce jeune frérosalafiste, Amir El-Shamy, a fait parler de lui quand on a découvert ses liens factuels avec le salafisme et ses prises de position islamistes concernant les femmes. Toujours en 2017, le mufti de cette instance officielle, un certain Mustafa Mullaoglu, avait déclaré que «les femmes musulmanes qui atteignent la puberté doivent se couvrir le corps, à l’exception du visage, des mains et des pieds.» Position on ne peut plus normale de la part d’un frérosalafiste qui siège au CEFR (Conseil européen de la fatwa et des recherches) fondé par Youssef al-Qaradawi et ses Frères musulmans.
En 2018, changement de paradigme politique, l’autorité autrichienne souveraine avait pris des décisions sécuritaires contre l’islam politique, en fermant des mosquées et en expulsant des imams extrémistes. Preuve que la loi de 2015 n’a pas produit l’effet souhaité, bien au contraire. Et c’est le petit sultan grossier, Erdogan, qui s’est ingéré dans la politique intérieure de l’Autriche pour proférer des menaces claires : «croyez-vous que nous ne réagirons pas, disait-il, si vous faites une telle chose ? Cela signifie que nous allons devoir faire quelque chose.» Il a même averti que les mesures du gouvernement autrichien allaient entraîner «une guerre entre les Croisés et le croissant». Le soir du 2 novembre 2020 à Vienne, un islamiste a tué quatre personnes et en a blessé plusieurs.
Indéniablement, l’IGGiÖ est un échec. L’ «islam autrichien» est une chimère, et pourtant, l’Autriche lui a donné un statut légal, une reconnaissance officielle, une loi généreuse, un cadre juridique, des bâtiments et des subventions publiques. L’Autriche, qui n’est pas un pays laïque et qui n’a pas de passé colonial, a voulu montrer l’exemple et prouver qu’un «islam autrichien», qu’un «islam européen», était possible et que cet islam allait produire la paix, l’amour, la fraternité, au-delà même de ses frontières. Il n’en est rien. L’attentat de Vienne, entre autres, a douché tous les espoirs et a démontré, froidement, que ce pays a perdu beaucoup de temps et d’argent pour avoir, in fine, l’islamisme et ses violences terroristes. Triste constat.
La vérité, c’est que l’islam politique n’est pas domptable. Il ne peut être apprivoisé par quelque moyen que ce soit. Il peut se montrer docile au besoin tactique et selon les impératifs de la conjoncture. Il multiplie les outils, les artifices, les dénominations, mais le but unique reste le même : le Tamkine. Quand le bulletin de vote et les pressions communautaristes sur les élus ne sont pas ou plus opérantes, ce sont les balles réelles, les véhicule-béliers, les ceintures explosives et les couteaux de sa jeunesse radicalisée qui entrent en jeu. Et ce n’est certainement pas le chancelier Sébastien Kurz, qui a rencontré récemment le président Macron, qui dira le contraire.
Certains ont cru en l’émergence d’un «islam autrichien» qui devait entraîner, à l’échelle de l’Europe, une vague de copier-coller dans chaque pays de l’union et c’est l’islam politique qui en sort renforcé et l’Europe incapable de parler le même langage et d’avoir le même discours face au frérosalafisme. Des proches de l’Elysée voient en l’IGGiÖ un modèle pour un «consistoire musulman français» ou pour un «conseil des imams», la vérité c’est que le réveil sera douloureux, quoi qu’il en soit, si de telles instances théologico-politiques sont intronisées à Paris. L’Autriche semble avoir compris la leçon à ses dépens, elle tente de se relever pour faire demi-tour. Il serait irresponsable de mimer l’Autriche de 2015 au moment où l’Autriche de 2020 veut «faire de l’islam politique un délit pénal». À bon entendeur, salut !
L’islam n’ai pas réformable, tous au plus ont peut contenir ou constater ces velléités mais l’islam reste ce que les gens veulent en faire et dans la facilité le plus court chemin reste celui emprunté par l’homme.