Mosquée dans la Cité : réalités et espoirs (2)
22022008
Par Mohamed LOUIZI
Pour Sadek Al-Nayhoum,humaniste de cœur et de plume,
Vous qui étiez engagés pour la Liberté, reposez en paix,
Votre combat je le porterai jusqu’à ma mort!
Animosités ; guerres ; intolérance ; violences ; …
Avarice ; commerce inéquitable ; exploitation ; usure ;…
Clanisme ; oligarchie ; ploutocratie ; tribalisme ; …
Discriminations ; inégalités ; injustices ; machisme ; …
Esclavage ; servitude ; subordination ; traite négrière ;…
Oppressions ; persécutions ; phallocratie ; supplices ; …
Ceux-ci étaient les traits distinctifs du visage pâle de la Mecque et de son voisinage à la veille de l’avènement du message de Mohammad.
La ville « sacrée » semblait dénouer avec les vertus et valeurs humaines du temps d’Abraham. La Ka’ba paraissait attristée et hantée, de fond en comble, par ces préjudices moraux, intellectuels, sociaux, économiques et politiques.
Tout, ou presque tout, ne semblait pas se tenir correctement. Le marasme était généralisé témoignant d’un déficit moral excédent touchant non seulement l’organisation sociale et économique mais aussi, et surtout, la place et la valeur de l’être humain au sein de cette organisation tribale qui était profondément narcissique et extrêmement hiérarchisée et discriminatoire.
Humanité brisée
L’être humain, féminin ou masculin, et à l’exception de quelques favoris chanceux, ne jouissait pas de ses droits et libertés fondamentales. La majorité des gens n’était ni écoutée, ni consultée, ni estimée. Dans ce contexte, le fait de jouir pleinement de ses droits et libertés dépendait, essentiellement, de la « classe » socioéconomique à laquelle on appartenait, de l’affiliation familiale et tribale, de l’éloquence linguistique, du talent poétique, de l’aptitude et du génie militaire… et encore !
L’organisation tribale se faisait autour d’une personne charismatique – le Cheikh – assisté d’une minorité oligarchique restreinte de seigneurs qui, en s’obstinant à sauvegarder leurs privilèges socioéconomiques et politiques, ne se gênaient pas à imposer unilatéralement leurs visions, à défendre leurs intérêts et à pérenniser, de génération en génération, leurs prérogatives.
La religion a bien servi d’instrument fatal dans ce jeu d’asservissement forcé ou volontaire. En effet, l’oligarchie s’est bel et bien montrée dévouer aux cultes des dieux statufiés au parvis de la Ka’ba en incarnant ainsi et pour des raisons d’intérêts personnels, le rôle des « marchands de la prière et du pèlerinage». Quoi de mieux alors pour garder sous contrôle la masse et d’éterniser sa loyauté et son abrutissement !
Quant aux autres – femmes, hommes, esclaves, enfants, pauvres,… – qui ne faisaient pas partie des rangs de l’oligarchie nantie, ils n’avaient pas grand-chose à dire, si ce n’était de vociférer inlassablement des louanges au Cheikh et à ses collaborateurs, des espérances voués désespérément au ciel, et des gratitudes adressées, à contre cœur, aux seigneurs tyranniques et ploutocratiques !
Les seigneurs décidaient de la guerre comme de la paix ; de la mort comme de la vie. Seuls leurs mots comptés. Seules leurs paroles pesées. Les autres humains, qui ne pouvaient pas – non par incapacité mais par asservissement – prétendre à de tel statut, n’avaient qu’une existence accessoire, et de surcroît, ils « vivaient » dépendants, soumis et tributaires des obligations cultuelles et des nécessités tribales et seigneuriales.
Renaissance de l’espoir
La Ka’ba, prise en otage, par les intérêts des « marchands de la prière et du pèlerinage » avait perdu de vue presque toutes les valeurs enseignées du temps d’Abraham. Le culte mercantile a occupé tout l’espace cultuel, en faisant de la maison de Dieu un lieu de culte (certes), mais aux couleurs du profit. La mosquée était redevenue tel un hypermarché au milieu du désert, sans foi ni loi, où seul le profit matériel comptait.
Dans ce contexte, qui était humainement désastreux, apparaissait Mohammad tel un souffle d’espérance, pour rappeler une nouvelle fois, ce que professait Abraham dans cette même terre, 2500 ans auparavant, à savoir : améliorer la condition humaine ; lutter pour la justice ; faire redécouvrir le sens de la liberté ; faire connaître le chemin du salut ; inculquer la solidarité ; prêcher l’humanisme ; éclairer les ténèbres des âmes ; abolir l’asservissement et appeler les gens à se remettre à un Dieu qui croient en eux et non à se soumettre à des dieux qui se servent d’eux.
Par conséquent, le contenu du message que professait Mohammad commençait, petit à petit, à déranger sérieusement les « marchands de la prière et du pèlerinage ». Parce que, me semble-t-il, la substance de ce message avait de quoi les inquiéter et non, comme le prétend l’interprétation dogmatique dominante qui elle, laisse entendre que la raison essentielle de la gêne occasionnée, était due au fait que Mohammad prêchait exclusivement « l’unicité de Dieu ».
Cette interprétation réduit à tort le message mohammadien dans son attestation de foi anti-associationnisme. Elle le vide aussi de sa vocation à vouloir soulager l’être humain des divers jougs (servitude, violences, clanisme, identitarisme, superstition,…) et des difficultés sociales et économiques qui pèsent sur lui. Elle considère que la question majeure de l’époque était exclusivement d’ordre théologique, métaphysique et cultuelle et du coup, il fallait un nouveau prophète pour redire Dieu, l’Unique, le Grand et le Tout-Puissant et pour apprendre aux gens le formalisme de la prière et les rites du pèlerinage, entre autres ! En oubliant au passage qu’avant même l’avènement de Mohammad, il existait – sans parler des autres religions monothéistes – des « monothéistes purs » (Al Ahnaf en arabe) qui vivaient leur foi en un seul et unique Dieu depuis toujours, sans que cela puisse gêner qui que ce soit !
Il me paraît évident que la question théologique/cultuelle, malgré sa centralité dans le message mohammadien, n’était pas la principale raison du conflit qui opposait les « marchands de la prière et du pèlerinage » à Mohammad. Mais ils y avaient d’autres raisons substantielles d’ordre humain, moral, social, économique et politique qui justifiaient les atrocités commises par l’oligarchie à l’égard de Mohammad et de ses compagnons.
Prophétie dérangeante
Mohammad gênait, à priori, par son discours, dépassant de loin la question théologique et métaphysique, et aussi par son courage, sans équivoque, à s’opposer ouvertement aux injustices subits par les uns et par les autres en rappelant avec obstination la définition de l’humain et de sa juste condition en tout lieu, plus particulièrement dans le contexte déplorable de la Mecque et de l’Arabie à cette époque.
Mohammad rappelait que l’être humain est fondamentalement libre et qu’il doit pouvoir savourer ses libertés comme il l’entend. L’oligarchie, quant à elle, se sentait menacée par ce nouveau discours qui risque de soulever les « esclaves » contre les « maîtres » et de causer des dérèglements dans l’organisation hiérarchique ségrégationniste des tribus.
Il rappelait que l’être humain a droit de vivre dignement. Ce qui posait la question du partage équitable des richesses ; il dénonçait, par la même, l’exploitation, l’avarice, la cupidité, l’égoïsme et qui interpellait les consciences sur les dangers sociaux réels que représentent, pour toujours, des pratiques financières telle que l’usure et la logique du « tout profit » profitant exclusivement à une poignée de nantis et appauvrissant davantage les nombreux nécessiteux.
Il rappelait que les violences, de tout genre, devaient cesser ; que l’on doit mettre un terme aux tortures, aux enterrements des filles vivantes, aux maltraitances des femmes et des esclaves, aux guerres intertribales interminables.
Il rappelait que derrière l’idée de l’humain il y a une autre idée, aussi belle et inoffensive, celle d’un divin créateur et invisible auquel on peut, si on le souhaite, se remettre volontairement en toute quiétude sans pour autant faire soumettre, sous une quelconque contrainte, les autres à ce choix spirituel.
A bas la servitude !
Mais l’idée ingénieuse – à cette époque – et très dangereuse pour la survie de « l’ordre tribal établit » était celle qu’a suggéré Mohammad avec énergie et conviction, déclarant que chaque être humain –non seulement les Cheikhs, les maîtres et leurs inféodés – est responsable. Et qu’il en va de cette responsabilité le droit de chacun à pouvoir choisir, dire librement ses choix, sans craindre pour sa vie, et participer effectivement aux prises de décisions engageant la collectivité tribale, dans son entièreté, en temps de guerre comme en temps de paix. De ce fait, l’oligarchie devait cesser de confisquer les droits des autres et d’imposer ses décisions sur l’ensemble.
Il a fait découvrir à ces mecquois soumis qui ne faisaient pas parti de l’oligarchie du pouvoir et qui n’étaient pas du nombre des seigneurs ou des « marchands de la prière et du pèlerinage », qu’ils « sont ». Et qu’ils doivent justement « être » dans la dignité et non dans l’abaissement ; dans l’affranchissement et non dans la servitude ; dans l’élévation de l’esprit et non dans la stupidité de l’intellect.
Avec lui, ces mecquois, longtemps exploités, subordonnés et asservis à un « ordre » qu’ils n’ont pas choisi, ont découvert qu’ils avaient leurs mots à dire et qu’il fallait justement, dès à présent, un espace pour le faire entendre. Et ce, parce que, d’un côté, l’oligarchie ne leur reconnaissait pas ce droit et de l’autre côté, elle ne prévoyait pas non plus d’espace/institution pour la parole et le débat publique. L’expression de l’opinion publique n’était pas à l’ordre du jour de cet « ordre » et seules les opinions/décisions des Cheikhs des tribus étaient prise en considération que l’on soit pour ou contre.
Prix de l’insoumission
Dans un premier temps, Mohammad – nous racontent les biographes – avait choisi la discrétion comme stratégie d’action et de rassemblement. Et ce fut la maison du jeune Al Arqam Ibn Abî Al-Arqam qui, pour des raisons de sécurité, était pendant quelques années le lieu de rencontre du mouvement mohammadien et son espace, restreint soit-il, de l’expression libérée.
Cependant, ce mouvement commençait progressivement à prendre de l’ampleur en présageant la fin de la discrétion et le début des épreuves et des souffrances sur la place publique, malgré que celle-ci fût totalement verrouillée et contrôlée par les « marchands de la prière et du pèlerinage ». Par conséquent, ce mouvement se voyait privé d’un lieu de rassemblement et interdit, que ce soit pour la prière ou pour toute autre chose, de se rassembler dans le parvis de la Ka’ba – maison de Dieu.
Par ailleurs, les anciens « esclaves » ont pris conscience de leur liberté fondamentale et commençaient à se délier des chaînes de la servitude et à désobéir, sans aucune crainte, les ordres des « maîtres ». Un élan de solidarité sociale s’est produit entre les nouveaux convertis qui comptaient parmi eux certains notables et beaucoup plus de nécessiteux. Le mouvement mohammadien paraissait endurant, résolu et uni. De quoi irriter l’oligarchie qui semblait être déboussolée, désarmée et très embarrassée.
Celle-ci conjuguait à la fois négociation, répression, intimidation pour tenter de rétablir « l’ordre » et pour contrecarrer éventuellement le mouvement grandissant. Aucune de ces mesures ne semblait être efficace face à la détermination et au dévouement des nouveaux convertis à la cause qui était la leur. L’oligarchie profitait de sa mainmise sur le lieu de culte, surtout pendant la période du pèlerinage pour salir l’image de Mohammad auprès des autres tribus de l’Arabie. Néanmoins celui-ci était, de son côté, infatigable. Il ne ménageait aucun effort qui pouvait lui permettre de trouver une terre d’accueil où l’on peut vivre son humanité pleinement, librement et dignement. Et ce fut l’émigration vers Médine, après 13 ans passée dans la lutte incessante et pacifique contre l’horrible cruauté mecquoise.
Génie collectif
A peine arrivés à Médine, Mohammad et ses compagnons –autochtones et immigrés – se sont mis et investis physiquement dans la construction d’une « mosquée/Al-Jami’i » au cœur de la cité. Ce lieu servait notamment à la célébration de la prière – d’où la nomination « mosquée » ou « masjid » en arabe – et il représentait en même temps l’espace de rassemblement et de vie commune – d’où le qualificatif de « Al-Jami’i » en arabe.
Ce lieu favorisait la rencontre, la consolidation des liens sociaux, l’intégration des nombreux immigrés dans ce nouvel espace vital, la gestion des affaires de Médine (sociales, économiques, judiciaires, militaires, politiques,…), l’accueil des autres communautés de foi et des députations des autres tribus, l’alphabétisation des jeunes et des âgées,… et bien sûr, il servait aussi à la pratique cultuelle.
Les fonctions de la « mosquée/Al-Jami’i » s’étendaient, de plus en plus, en corrélation avec l’ampleur que prenait, jour après jour, la communauté naissante et aussi avec la recrudescence des défis, intrinsèques et extrinsèques, qu’a posé l’émigration massive et l’installation du mouvement mohammadien à Médine.
Mohammad créa ainsi un nouveau modèle contractuel d’organisation sociale, différent de celui de la tribu, prenant de la « mosquée/AL-Jami’i », nouvellement construite, une base centrale au sein de la cité de manière à ce que l’humain et le divin, l’éphémère et l’éternel, le temporel et le spirituel, le séculier et le régulier, puissent s’alimenter réciproquement et que l’un puisse donner du sens et de la place à l’autre.
Ce modèle hybride – qui ne recèle aucun caractère sacré – se justifiait, me paraît-il, par l’absence à Médine, à cette époque ancienne, d’autres structures et institutions spécialisées qui pouvaient soulager et désengorger la « mosquée/Al-Jami’i » des diverses fonctions qu’elle assurait simultanément et qui pouvaient conduire ainsi à une séparation organique du temporel/séculier au spirituel/régulier.
A Cette époque, il n’y avait pas d’établissements scolaires, pas de partis politiques, pas d’institutions économiques, pas de mass médias, pas de centrales syndicales, pas de fondations sociales, pas de structures judiciaires, pas de ministère de la défense,… et il n’y avait pas non plus un lieu de rassemblement – hormis le souk des commerçants caravaniers – permettant aux uns et aux autres – citoyens – de participer au débat public tels étaient « l’agora » chez les grecques et le « forum » chez les romains.
De ce point de vue, la « mosquée/Al-Jami’i » avait permis la libération de l’expression de la parole publique, surtout pendant le rassemblement du vendredi. La communauté naissante a trouvé enfin un temps hebdomadaire et un espace où chacun, homme et femme et sans discrimination aucune, pouvait exprimer son opinion sur les affaires temporelles et ses questionnements et réflexions d’ordre spirituel. Point de censure au sein de la mosquée/Al-Jami’i puisqu’il n’y avait plus de Cheikhs despotes ni de « marchands de la prière et du pèlerinage » comme c’était le cas à la Mecque. Mohammad, le prophète, veillait au maintien et au développement de cet état d’esprit émancipateur. Le peuple de Médine a trouvé donc sa voix dans cette voie.
Expression libérée
Au sein de la « mosquée/Al-Jami’i », le peuple de Médine se consultait en permanence pour mieux gérer sa vie collective. Aucune décision – de guerre comme de paix – n’était prise par une minorité et imposée à la majorité. Le citoyen lambda pouvait prendre la parole, en toute spontanéité et franchise, pour proposer et parfois même pour s’opposer à une proposition qui ne le convenait pas. Mohammad était très attentif aux opinions exprimées, aux débats contradictoires et il faisait en sorte que le consensus soit observé et recherché et que ses propositions à lui ne soient pas prévalues comparées à celles des autres, juste parce qu’il était prophète !
Par le biais de la « mosquée/Al-Jami’i », la communauté gérait, dans l’esprit de corps, la vie au quotidien de la cité et se donnait un rendez-vous hebdomadaire, le vendredi, dont la présence était obligatoire, pour faire le bilan et pour rappeler les principes auxquels il fallait rester très attachés.
En effet, ce rassemblement était l’occasion pour que chacun puisse savoir ce qui se passe dans sa cité et l’état des menaces et des défis extérieurs qui pèsent sur elle. Par ce même biais, la communauté surveillait le mouvement de l’argent (le capital) dans la cité, réglementait les tarifs dans le marché, trouver des solutions à la pénurie de quelques biens élémentaires, se consultait sur les choix défensifs à envisager, se partager les tâches,… et enfin, achever la réunion publique par la prière comme contrat morale et comme gage de bonne foi.
Paradoxe sunnite
Le rassemblement était tout sauf un spectacle d’exhortation, de prêches et de monologue, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Car si c’était le cas, on devait normalement conserver le contenu exact de tous les sermons prophétiques comme on a conservé les soi-disant « Hadiths authentiques » – citations présumées être prononcées par Mohammad.
D’ailleurs, si l’on fait un calcul simple, le nombre de sermons que Abou Hourayra devait nous rapporter – puisqu’il est considéré par les sunnites comme la mémoire prodigieuse et infaillible de ladite « sunna prophétique » – et que Al Boukhari devait authentifier s’élève à environ 520 ou 530 sermons ! Car, dans une année, il y a bien 52 ou 53 semaines donc 52 ou 53 vendredis et d’après les biographes, on sait que Mohammad a vécu à Médine pendant 10 ans et par conséquent, il aurait célébré 520 ou 530 vendredis qui devraient correspondre à 520 ou 530 sermons !
Cependant, et bien que certains s’obstinent à croire davantage que le savoir prophétique a été intégralement protégé et transcrits à la virgule près, sous forme de « Hadiths authentiques », il est quasiment impossible aujourd’hui de mettre la main sur ces 520 ou 530 sermons de vendredi, auxquels il faut rajouter les 20 discours de fêtes (Khoutbah de l’Aïd), que le prophète aurait prononcé de son vivant !
Les seuls discours que l’on trouve désormais à la lecture des livres de biographie de Mohammad et des recueils des Hadiths sont, en effet, le discours prononcé lors de son « Pèlerinage de l’Adieu » et quelques très rares passages tirés d’autres discours mais qui ne représentent en réalité que moins de 2 % de l’ensemble des Hadiths, soi-disant authentifiés !
Dès lors, deux suppositions me travaillent l’esprit laissant place à plusieurs interrogations. Premièrement, soit Mohammad ne prononçait pas de discours d’exhortation – à la manière de ce que fait l’imam de mon quartier tous les vendredis – et consacrait l’intégralité du temps du rassemblement de vendredi au débat publique. Alors au nom de qui et au nom de quoi, on persiste aujourd’hui à imposer au peuple des mosquées de supporter chaque vendredi et pendant plus d’une heure, dans un mutisme imposé à coup de Hadiths, les nuisances sonores et les bizarreries idéologiques de l’imam ? Cela pose aussi la question du rôle de l’imam, du pourquoi de sa présence,…
Deuxièmement, soit Mohammad prononçait justement un sermon chaque vendredi alors comment explique-t-on ce trou noir titanesque dont souffrent les sources et les recueils des Hadiths, dits authentiques ? Où sont passés ces discours ? Pour quelles raisons n’ont-ils pas été conservé ? Ces discours, n’étaient-ils pas des paroles/Hadiths à transcrire et à transmettre ? Comment se fait-il que Abou Hourayra – par exemple – n’ait rapporté le contenu intégral d’aucun discours hebdomadaire ? Ces discours ne méritaient-ils pas d’être transmis aux générations futures au même titre que l’histoire de « la vache qui parle » ? Qui a décidé que l’on ôte ou que l’on ne conserve pas, dans les recueils des Hadiths, cette substance orale de sagesse que le prophète aurait laissé ? A qui profite ce trou noir, s’il y a vraisemblablement un trou noir ?…
En attendant des explications que je souhaite, tout au moins, cohérentes et intelligibles, je continuerai à penser que le rassemblement du vendredi à Médine, au temps de Mohammad, était un temps imparti aux citoyens présents pour qu’ils puissent produire et exprimer leurs propres réflexions sur l’organisation sociale de la cité et non de consommer et de se soumettre stupidement à la seule et unique réflexion de Mohammad.
La traversée du désert
Toutefois, après la mort de Mohammad, les choses commencèrent à se défigurer foncièrement. D’abord, l’organisation sociale non étatique, qu’il a initiée de son vivant a pris l’allure d’un Etat – le Califat – le lendemain de sa mort. Ce Califat était présidé par une personne – le Calife – choisie par le peuple médinois selon des modalités critiquables certes, mais qui restent, plus ou moins, démocratiques au vu de ce que c’étaient les us et coutumes tribales de l’époque.
Les quatre premiers califes orthodoxes – malgré leur tendance à soulager la mosquée du poids des fonctions qu’elle assurait auparavant et à créer des institutions parallèles spécialisées pour ces fonctions – ont toujours préservé le rôle de consultation populaire que la « mosquée/Al-Jami’i » assurait si bien. Il n’était pas question pour eux de faire volte-face sur cet acquis démocratique majeur et révolutionnaire des habitudes tribales.
Le revirement significatif dans la conception du rôle de la « mosquée/Al-Jami’i » était ressenti de façon sensible lorsque les Omeyyades, en la personne de leur pionnier Mouawiyah Ibn Abî Soufiane, se sont emparés illégitimement de la gouvernance, en faisant parler le cliquetis des sabres et non la voix du peuple. Et ce, après l’assassinat du quatrième calife. Dès lors, ils ont déclaré, unilatéralement et de manière démentielle la naissance de la dynastie royale Omeyyade à Damas, en substitution du Califat, relativement légitime, installé depuis la mort de Mohammad à Médine.
La dynastie omeyyade n’était pas prête à entendre la voix du peuple. D’ailleurs, elle ne représentait pas son choix, et encore moins, ses aspirations. Elle était l’expression intempestive du sabre et du complot, en rupture fulgurante et catégorique avec l’héritage récent de la prophétie car sa proclamation était survenue après environ trente années seulement de la mort du prophète. Elle témoignait plutôt de l’effondrement hâtif de presque toute l’organisation sociale, centrée sur l’être humain et sur sa valeur, qu’avait initiée Mohammad à Médine. L’héritage récent de la prophétie s’est fait anéanti sous le poids des traditions tribales et bédouines anciennes.
Il s’agissait bien évidemment d’un retour aux temps de la tribu, du Cheikh et des « marchands de la prière et du pèlerinage ». Sauf que cette fois-ci, la tribu était caractérisée par son immensité babylonienne et expansionniste ; le Cheikh/empereur Mouawiyah se proclamait de Dieu – en dissimulant judicieusement son affiliation à Abou Soufiane, son père, qui était depuis peu le Cheikh de la tribu omeyyade à la Mecque et qui a été déchu de ses pouvoirs au moment de la reconquête pacifique de celle-ci par Mohammad. On dirait même que Mouawiyah s’est vengé, trente ans plus tard, de la défaite de son père ! – et les « marchands de la prière et du pèlerinage » étaient, sans conteste, des « théologiens mercenaires » et des « religieux de service » qui prêtaient main-forte à la dynastie. A l’image du fameux Abou Hourayra qui n’hésitait pas, malgré son allégeance franche et loyale aux omeyyades, à s’approprier sans pudeur le patrimoine prophétique !
Depuis, toutes les mosquées de l’empire se sont vues standardiser selon les caprices et les intérêts du palais sultanesque. Une nouvelle fois, la maison de Dieu était retombée hélas entre les mains de l’oligarchie d’un côté, et des « marchands de la prière et du pèlerinage » de l’autre.
Silence ! On vous abrutit !
A partir de ce moment précis, la « mosquée » a cessé d’être « Al-Jami’i ». Le divorce entre les deux concepts était plus que consommé. Elle devait dire l’intérêt général, elle ne diffusait plus que les désirs de sa majesté le monarque. Elle devait dire comment s’épanouir collectivement dans la vie, elle ne disait plus que comment se préparer individuellement à la rencontre de la mort. D’ailleurs, elle ne parlait de vie que lorsqu’il fallait prier le bon Dieu pour accorder une heureuse et longue vie à sa majesté, et que le peuple aille en enfer. Elle devait dire la justice mais elle ne faisait plus que justifier, au nom de l’obéissance et de l’allégeance, les injustices du palais. Elle devait interpeller le pouvoir sur la pauvreté et sur la détérioration des conditions de vie mais elle faisait la sourde oreille en acquiesçant la tyrannie et en promettant aux sujets de sa majesté un monde meilleur – le paradis – après la mort. Elle devait inciter les sujets à prendre conscience de leur condition et à demander justice et réparation mais elle ne faisait que les encourager à perdre toute conscience et attendre patiemment le jour du jugement dernier !
La mosquée est devenue la tribune hebdomadaire et exclusive du palais – qui a placé ses serviteurs en fonction d’imams, de conteurs, d’anecdotiers, de moralisateurs presque corrompus,… – et son outil fatal servant à anesthésier les esprits et à inhiber l’intelligence collective. Depuis, et jusqu’à nos jours, il est plus question en son sein de traiter des questions du paradis et de l’enfer, des supplices de la tombe et des signes de la fin du temps, des menstrues et des ménorragies, du formalisme technique de la prière et du pèlerinage, de la lapidation de Satan et des sacrifices des moutons,…
Les questions d’ordre sociétal et moral et les questionnements d’ordre philosophique et métaphysique n’étaient pas, et ne sont pas toujours, les bienvenues au sein de la mosquée parce qu’ils peuvent conduire, paraît-il, au réveil indésirable du raisonnement et de la conscience collective. Ces questions n’y ont été abordées, débattues et traitées que lorsqu’il y avait un intérêt politique certain qui a poussé le souverain à les tolérer momentanément ou lorsque certains intellectuels et philosophes ont osé les aborder en public sans craindre la colère du palais.
Généralement, pour le (ou les) palais, vaut mieux abrutir qu’éveiller. De ce fait, seules les questions touchant les détails techniques des rites, du partage de l’héritage, du statut de la femme,… y ont été abordé excessivement. Cela explique en partie, pourquoi par exemple, le fiqh – la jurisprudence dite islamique relative à la pratique cultuelle entre autres – s’est développé de manière tentaculaire alors que la pensée philosophique n’a pas réussi à pousser ses ailes et à tirer son épingle du jeu.
Et à nous de constater désormais au sein du monde arabe, dit musulman, et même au sein des dites communautés musulmanes orientales et occidentales, les conséquences chaotiques et les dégâts d’un abrutissement collectif, millénaire et intensif administré au nom des palais, depuis belle lurette, par des imams sous-ordres – Denis Diderot avait raison de constater dans sa « lettre sur le commerce de la librairie », je cite : « La condition d’un peuple abruti est pire que celle d’un peuple brute » !
Le peuple des mosquées d’antan a joué le jeu de l’abrutissement – peut être forcé et contraint – en acceptant l’inacceptable, en tolérant l’intolérable et par-dessus tout, en préférant l’apparence de la « mosquée » à l’essence de « Al-Jami’i ». Le peuple des mosquées d’aujourd’hui a hérité de cette tradition qu’il considère comme sacrée et irréprochable. Il est conditionné – peut être à son insu – à la conception omeyyade despotique et dirigiste de la « mosquée » et il est loin d’être initié et ouvert sur l’idée inventive, humaine et révolutionnaire que fut jadis « Al-Jami’i ».
Un monde qui marche sur la tête
L’abrutissement intellectuel dont il est question, ne cesse de se décliner sous diverses formes anecdotiques. En effet, que dire donc d’un peuple des mosquées qui, en assistant au sermon assourdissant d’un imam tous les vendredis, a toujours peur que l’on lui dérobe ses paires de chaussures – car les mosquées ne sont pas d’ailleurs des lieux surs ! – sans qu’il se rende compte que l’imam en face de lui, lui a déjà volé, et depuis les omeyyades, sa liberté d’expression, sa raison, son droit à dire « non »… et il ne lui a laissé que le devoir de dire « Amen » !
Que dire donc d’un peuple des mosquées qui ne cesse, malgré les injustices subites à cause du régime en place, de prier Dieu pour qu’Il puisse accorder sa grâce, sa miséricorde, sa générosité et son salut à ce même régime qui n’est ni gracieux, ni miséricordieux, ni généreux à l’égard de ses sujets !
Que dire d’un peuple des mosquées qui continu à croire sur parole l’imam qui prétend que la pauvreté, la misère, l’illettrisme, le chômage dont souffre la majorité n’est qu’une épreuve et un « heureux » destin céleste, auquel il faut témoigner soumission et bonne foi. Au moment même où le pouvoir et ses hommes richissimes prospèrent dans la surabondance !
En constatant cela, je ne peux qu’être en accord, sans que je sois nécessairement marxiste, avec ce qu’a écrit Karl Marx dans sa «Critique du Droit politique hégélien », je cite : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple ». Je crois que la religion professée par de nombreux imams est un opium à effet collectif et que la mosquée – dont sa configuration omeyyade passée et présente – en est la seringue !
Devoir d’avenir
Il est temps désormais, de se dire, entre peuples des mosquées, les quatre vérités en face et sans langue de bois. Au risque même d’offenser quelques sensibilités vulnérables, afin d’opérer radicalement les modifications tant attendues en jetant dans la poubelle de l’histoire ce qui doit être jeté, en réformant ce qui doit être réformé et éventuellement, en inventant de toute pièce, un nouveau concept et une configuration moderne de la « mosquée/Al-Jami’i » de France, d’Europe et d’ailleurs.
Un nouveau concept qui tiendra compte de la dynamique de l’Histoire, de l’évolution des mœurs, des spécificités culturelles, de l’organisation sociale, des dispositions juridiques, de l’imaginaire collectif, des défis sociétaux, des aspirations futures,…
Un nouveau concept qui se refusera, du moins pour le contexte français, aux arrangements politiciens de forme auxquels on assiste et auxquels sont attachés d’un côté, les présents « gardiens des mosquées », les actuels « marchands de la prière et du pèlerinage », leurs références théologiquo-politiques et leurs commanditaires supranationaux et consulaires. Et de l’autre côté, les services de la République qui, par une bonne foi me paraît-il, veulent traiter égalitairement au nom de la laïcité, toutes les religions, et c’est leur devoir après tout. Cependant, ils approuvent, consciemment ou inconsciemment, les dérives, les atteintes et les restrictions des libertés fondamentales caractéristiques de nombreuses mosquées «en» France.
Un nouveau concept qui ne veut aucunement que la « mosquée/Al-Jami’i » de France et d’Europe souhaitée soit identique – dans sa forme et ses fonctions,… – de ce que c’était jadis, la « mosquée/Al-Jami’i » du prophète qui était marquée par la coexistence et par la juxtaposition du temporel et du religieux. Cela serait une absurdité grotesque de ma part et un contresens d’une stupidité monumentale.
Il n’est pas question pour moi de faire l’apologie d’une structure qui se chargerait, à nouveau, des affaires sociales, familiales, éducatives, économiques et politiques. La République laïque a d’ailleurs ses innombrables structures et établissements publics qui gèrent au quotidien, et séparément de la sphère religieuse et de ses institutions, la vie sociale, éducative, économique, et politique. Et c’est un atout républicain formidable au demeurant, auquel je souscris volontiers et sur lequel aussi, tout revirement de situation me paraît préjudiciable au vivre ensemble et aux équilibres sociétaux.
En guise d’introduction…
Le concept/modèle que je compte promouvoir, avec humilité et franc-parler, dans le prochain et dernier article de cette série, tente de revivifier l’esprit collectif – et non la forme ou les détails fonctionnels – qui régnait autrefois au sein de la « mosquée/ Al-Jami’i » de Médine.
Ce concept sauvegardera de ce modèle prophétique son « esprit libérateur » de l’expression individuelle et collective et aussi son « essence éthique » visant à mieux gérer les divergences d’idées et d’approches, engendrées naturellement par l’expression libérée.
Comme cela a été déjà mentionné auparavant, cette réflexion visant à repenser la « mosquée/AL-Jami’i » se fait en tenant compte du contexte qui est le notre. A travers ce travail, des idées qui me préoccupent seront exposées, des propositions concrètes d’ordre pratique seront présentées pour qu’enfin, la mosquée de mon quartier, comme toutes les mosquées de France et de Navarre, puisse retrouver son originalité et sa vivacité d’autrefois.
Des propositions qui toucheront à la fois, la raison d’être d’une structure nommée « mosquée/Al-Jami’i » au sein de la cité ou comment faire de cette structure un cap spirituel aux couleurs de la liberté et de l’épanouissement humain ; la gestion contractuelle et multi associative de cette structure ou comment faire pour qu’elle ne soit plus pris en otage par une seule association ou un courant idéologique dominant ; l’ouverture de celle-ci sur la cité ou comment faire en sorte que « la journée portes ouvertes » soit célébrée pendant les 365 jours de l’année ; le rassemblement de vendredi ou comment libérer l’expression et rendre la parole confisquée aux fidèles ; la formation des présumés imams ou comment délivrer définitivement la structure des imams carriéristes et des recteurs autoproclamés ; le rôle du CFCM ou comment sauver la structure d’une mainmise idéologique nationale et supranationale et bien d’autres propositions.
Enfin, le moment est certes venu pour que le peuple des mosquées « en » France exprime sa voix, libère sa parole et cesse d’être le sujet de l’abrutissement à outrance. Sans doute, cela nous permettra un jour de nous débarrasser définitivement des entraves idéologiques ancestrales empêchant la cité de France et d’ailleurs de concevoir sa propre « mosquée/Al-Jami’i » qui contribuera à la pacification des esprits et à la renaissance de l’unité plurielle et solidaire par sa spécificité spirituelle, par sa dimension humaine, par son esprit libérateur de l’expression et par sa vocation de l’ouverture à qui le souhaitera.
A suivre très prochainement.
Catégories : Mosquee dans la cite
Commentaires récents