L’importance du chat dans la méditation*
26062008Texte de Paulo COHELO
Lorsque j’ai écrit Veronika décide de mourir, un livre sur la folie, je me suis vu dans l’obligation de me demander quelle était la part de nos actes qui nous a été imposée par la nécessité, ou par l’absurdité. Pourquoi portons-nous une cravate ? Pourquoi la montre tourne-t-elle dans le « sens des heures » ? si nous vivons dans un système décimal, pourquoi le jour a-t-il vingt-quatre heures de soixante minutes ?
Le fait est que le nombre de règles auxquelles nous obéissons de nos jours n’ont aucun fondement. Pourtant, si nous désirons agir autrement, nous sommes considérés comme « fous » ou « immatures ».
En attendant, la société crée des systèmes qui, avec le temps, perdent leur raison d’être mais continuent d’imposer leurs règles. Une intéressante histoire japonaise illustre ce que je veux dire :
Un grand maître bouddhiste zen, responsable du monastère de Mayu Kagi, avait un chat, qui était sa vraie passion dans la vie. Ainsi, pendant les leçons de méditation, gardait-il le chat près de lui, afin de profiter le plus possible de sa compagnie.
Un matin, le maître, qui était assez vieux, fut trouvé mort. Le disciple qui avait le grade le plus élevé prit sa place.
« Qu’allons-nous faire du chat ? » demandèrent les autres moines.
En souvenir de son ancien instructeur, le nouveau maître décida de permettre que le chat continuât de fréquenter les leçons du bouddhisme zen.
Des disciples de monastères voisins, qui voyageaient beaucoup dans la région, découvrirent que dans l’un des temples les plus fameux du lieu, un chat prenait part aux méditations. L’histoire commença à se répandre.
Des années passèrent. Le chat mourut, mais les élèves des monastères étaient tellement habitués à sa présence qu’ils se débrouillèrent pour trouver un autre chat. Pendant ce temps, les autres temples introduisaient peu à peu les chats dans leurs méditations : ils croyaient que le chat était le vrai responsable de la célébrité et de la qualité de l’enseignement Mayu Kagi, et en oubliant que l’ancien maître était un excellent instructeur.
Une génération passa, et l’on vit apparaître des traités techniques sur l’importance du chat dans la méditation zen. Un professeur d’université développa une thèse – admise par la communauté académique – affirmant que le félin avait la capacité d’augmenter la concentration humaine et d’éliminer les énergies négatives.
Ainsi, durant un siècle, le chat fut considéré comme une partie essentielle de l’étude du bouddhisme zen dans cette région.
Et puis apparut un maître qui était allergique aux poils des animaux, et il décida d’éloigner le chat de ses pratiques quotidiennes avec les élèves.
Il eut une violente réaction de refus, mais le maître insista. Comme s’était un excellent instructeur, le rendement scolaire des élèves demeura le même malgré l’absence du chat.
Peu à peu, les monastères – toujours en quête d’idées nouvelles et lassés de devoir nourrir tant de chats – éliminèrent les animaux des leçons. Au bout de vingt ans, apparurent de nouvelles thèses révolutionnaires, portant des titres convaincants comme L’importance de la méditation sans le chat ou Equilibrer l’univers zen par le seul pouvoir de l’esprit, sans l’aide d’animaux.
Un autre siècle passa et le chat sortit totalement du rituel de la méditation zen dans la région. Mais il fallut deux cents ans pour que tout redevînt normal – personne ne s’était demandé, durant tout ce temps, pourquoi le chat se trouvait là.
Combien d’entre nous, dans la vie, osent se demander : pourquoi dois-je réagir de la sorte ? Jusqu’à quel point, dans nos actes, nous servons-nous de « chats » inutiles, que nous n’avons pas le courage d’éliminer, parce que l’on nous a dit que les « chats » étaient importants pour que tout fonctionne bien ?
Pourquoi, en cette dernière année du millénaire, ne cherchons-nous pas une manière d’agir différente ?
Note :
* Paulo COHELO, Comme le fleuve qui coule, Paris, Flammarion, 2006 : p.133-135
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